Village de la Justice www.village-justice.com

Prélèvements sociaux des non-résidents : où en est-on ? Par Paul Creusat, Elève-avocat.
Parution : mercredi 11 avril 2018
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/prelevements-sociaux-des-non-residents-est,28213.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Depuis son instauration en 2012, l’assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux sur les plus-values du patrimone est contesté. La dernière décision du Conseil d’Etat ne clôturera sans doute pas le débat.

Par une décision du 5 mars 2018, le Conseil d’Etat a repris la solution rendue le 18 janvier 2018 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’arrêt Jahin. Nouvelle pierre à l’édifice du contentieux des prélèvements sociaux des non-résidents, cette décision (CE, 5 mars 2018, n°400329) écarte l’exonération de ces prélèvements aux personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale au sein d’un État membre de l’Union Européenne ou de Suisse.

Elle permet ainsi de revenir sur l’historique du contentieux lié aux prélèvements sociaux des non-résidents et de faire le point sur le droit positif en la matière.

I. Le contentieux lié aux prélèvements sociaux des non-résidents : un sujet d’actualité depuis 2012

A la suite de l’élection présidentielle de 2012, le législateur français avait soumis les revenus du capital (plus-values immobilières et sur valeurs mobilières notamment) des non-résidents aux prélèvements sociaux (CSG, CRDS, prélèvement social et autres, pour un total à l’époque de 15,5%).

Cette innovation législative avait nourri un contentieux de masse, les contribuables non-résidents arguant principalement du fait que ces prélèvements avaient pour objet le financement du système de sécurité sociale français dont ils ne bénéficiaient pas.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’État avait précisé que dans le cadre du règlement européen sur la sécurité sociale, les résidents membres de l’UE et de Suisse (qui est liée à l’UE par un accord spécifique sur ce point) ne pouvaient être assujettis qu’à une seule législation et donc, n’être amenés à financer qu’un seul système de sécurité sociale (CJUE, 26 février 2015, C 623/13).

Tirant les conclusions de l’arrêt de la CJUE, le Conseil d’État a jugé dans une décision du 27 juillet 2015 que l’assujettissement des non-résidents membres de l’UE et Suisses à la CSG et la CRDS étaient non conforme au droit de l’UE (CE, 27 juillet 2015, n°334551). Cette décision a conduit un grand nombre de contribuables ayant supporté ces prélèvements à en réclamer le remboursement.

Restait néanmoins la question de l’applicabilité de la solution aux non-résidents non affiliés à un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE ou de Suisse. C’est cette question qui vient d’être tranchée par le Conseil d’État le 5 mars 2018.

II. Être non-résident et non affilié au sein de l’Union : mauvaise pioche

Des ressortissants français habitant à Monaco contestaient leur imposition au titre des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, auxquels ils avaient soumis au titre des années 2007 et 2008.

La question de la résidence fiscale en France des époux ne nous intéresse pas au cas particulier, dès lors que les demandeurs au pourvoi étaient affiliés à la Sécurité sociale à Monaco (donc, hors de l’Union) et non en France.

Le cas d’espèce permettait donc au Conseil d’État de trancher la question qui restait en suspens : le législateur français peut-il faire supporter le financement de la Sécurité sociale française à des personnes n’en bénéficient pas ?

Au cas présent, le Conseil d’État n’a pas eu besoin de faire preuve d’inventivité pour juger que :

  1. le règlement européen de sécurité sociale ne s’appliquait qu’aux personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE ou de la Suisse et qui en sont ressortissants ;
  2. la différence de traitement observée entre les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers et celles affiliées à celui d’un État membre ou de la Suisse était justifiée par la différence de situation objective existant entre ces personnes.

En effet, la CJUE avait déjà jugé que la différence de traitement opérée entre les non-résidents selon qu’ils soient ou non affiliés à un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE ou de la Suisse était conforme au droit de l’UE (CJUE, C 45/17 du 18 janvier 2018, Jahin).

Si cette décision du 5 mars 2018 semble clore en France le chapitre du contentieux lié aux prélèvements sociaux selon le régime créé en 2012, on peut toutefois s’attendre à ce que l’assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux continue de susciter le débat (et le contentieux !).

III. Régime actuel des prélèvements sociaux sur les non-résidents : contentieux en vue !

On l’a vu, le droit de l’Union Européenne prohibe que des résidents de l’Union soient assujettis à plus d’un système de sécurité sociale.

C’est pourquoi dès 2016 le législateur français a souhaité couper tout lien entre les prélèvements effectués sur les plus-values réalisées par les non-résidents et le système de sécurité sociale français.

Ainsi, l’article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a modifié l’affectation budgétaire des prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Le législateur a considéré que ne relevaient du système de sécurité sociale que les prestations directement financées par les cotisations versées par les redevables (on retrouve ici le critère de distinction existant entre le système de sécurité sociale - financé par des cotisations individualisées - et le système d’assistance sociale - financé de façon globale par l’impôt -).

Il a donc été décidé par le Parlement de ne plus affecter le produit des prélèvements sur les plus-values à des organismes chargés de verser des prestations considérées par le législateur comme directement financées par des cotisations.

Ainsi :

Pour un montant total de prélèvements de 17,20% à ce jour, la CSG ayant été augmentée de 1,7 points par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Les choix d’affectation réalisés par le législateur permettent néanmoins de s’interroger sur l’effectivité de la séparation entre système de sécurité sociale et système d’assistance sociale. Donc, par ricochet, sur la conformité du dispositif actuel avec le droit de l’Union.

En effet, au-delà du caractère contributif ou non des prestations financées par les organismes bénéficiaires, la CJUE semble avoir comme critère de distinction entre les différents prélèvements leur caractère de prélèvement à caractère fiscal ou à caractère social. Cette distinction pousse le niveau de finesse de l’interprétation un peu plus loin que la position qu’a adopté le législateur en 2016.

Ainsi, et par exemple, la CADES (désormais financée par une fraction de CSG et la CRDS) ne verse effectivement pas de prestations à des personnes physiques, puisqu’elle a pour objet le remboursement de la dette sociale : dès lors, on ne peut pas considérer qu’elle verse des prestations à caractère contributif, ce qui était l’objectif affiché par le législateur.

Néanmoins, on sait depuis l’arrêt C-34/98 du 15 février 2000 rendu par la CJUE que les sommes perçues par la CADES servant au remboursement de la dette sociale et donc au financement de la sécurité sociale, elles entrent dans le champ du règlement européen de sécurité sociale.

Ainsi, la soumission de non-résidents membres de l’UE ou Suisses au financement de la CADES via la CSG et la CRDS ne semble pas respecter pas le principe d’unicité de législation prévu par le règlement européen.

On peut dès lors considérer que les non-résidents membres de l’UE ou Suisses seraient fondés à ne pas supporter ces prélèvements.

Conclusion

Eu égard aux montants concernés, il est probable que la question de la conformité du nouveau dispositif au droit de l’Union sera un jour posée devant les juridictions nationales et européennes.

Ces éléments de réflexion devront être pris en compte dans le débat politique actuel sur les modalités de financement de la protection sociale puisque le Président de la République a fait savoir qu’il avait pour objectif d’accroître le financement de la protection sociale par l’impôt au détriment des cotisations sociales.

En tout cas, le contentieux portant sur le régime créé en 2012 arrive à son terme. Il devrait désormais faire place aux critiques du régime datant de 2016.

« Repetition ». Comme un air de David Bowie.

Paul Creusat Élève avocat Retrouvez-moi sur LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/paul-creusat/
Comentaires: