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Les clauses compromissoires dans les contrats de franchise sont-elles abusives ? Par Rafael Dias Martins de Paiva, Avocat.
Parution : mercredi 11 avril 2018
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Plébiscité par les commerçants, le succès de la franchise ne se dément pas. L’arbitrage peut être un mode de résolution tout à fait approprié dans les litiges entre franchiseurs et franchisés. A condition que les clauses compromissoires n’introduisent pas de « déséquilibre significatif » entre les droits et obligations des parties.

En 2017, la Fédération Française de la Franchise (« FFF ») recensait 1976 réseaux de franchise représentant 74.102 points de vente (Enquête Annuelle de la Franchise 2017). Le succès de ce mode de distribution est donc considérable. Il se devrait principalement à son aspect « gagnant-gagnant », permettant à des futurs entrepreneurs de profiter de la notoriété d’une enseigne, de la force et des outils d’un réseau [1].

En effet, comme il ressort de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, dans un système de franchise, le franchiseur, qui s’est installé dans un marché et qui a ainsi pu mettre au point un ensemble de méthodes commerciales, accorde, moyennant rémunération, à des commerçants indépendants, les franchisés, la possibilité de s’établir dans d’autres marchés en utilisant son enseigne et les méthodes commerciales qui ont fait son succès. Pour le franchiseur, il s’agit d’une manière d’exploiter financièrement, sans engager de capitaux propres, un ensemble de connaissances. Ce système ouvre aux franchisés dépourvus de l’expérience nécessaire l’accès à des méthodes qu’ils n’auraient pu acquérir qu’après de longs efforts de recherche et les fait profiter de la réputation de la marque [2].

Les contrats de franchise comportent souvent une convention d’arbitrage sous la forme d’une clause compromissoire. Par application de l’article 1448 alinéa 1 du Code de procédure civile (« CPC »), lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente, sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Il s’agit là de l’effet négatif du principe compétence-compétence, selon lequel l’arbitre est compétent en priorité pour déterminer sa propre compétence.

Par conséquent, la convention d’arbitrage a pour effet d’empêcher, au moins dans un premier temps, les parties d’accéder aux tribunaux étatiques français. En effet, l’accès au juge aura lieu pendant le contrôle éventuel de la sentence arbitrale, où le franchisé pourra argumenter, par exemple, de l’incompétence du tribunal arbitral, ou de la violation d’une règle d’ordre public qui le protégerait (Articles 1492 ou 1520 CPC).

Encore faut-il arriver à la sentence, donc pouvoir concrètement avoir recours à l’arbitrage. Or, les franchiseurs et les franchisés sont souvent en position de déséquilibre quant à leur accès à ce mode de résolution des litiges.

D’un côté, le franchiseur dispose, la plupart du temps, de plus d’expérience avec l’arbitrage, de l’accès à un avocat spécialisé, donc une maîtrise de spécificités de ce mode de résolution de litiges, et des ressources financières nécessaires pour faire face aux coûts de l’institution et des arbitres.

De l’autre côté, la majorité des franchisés (76% selon la FFF) sont des anciens salariés en reconversion professionnelle, qui investissent leurs économies pour l’apport personnel nécessaire au financement de leur intégration au réseau. A leur égard, les coûts de l’arbitrage peuvent se révéler prohibitifs. Les franchisés peuvent également avoir des craintes concernant l’indépendance et l’impartialité des arbitres, qui pourraient être tentés de favoriser le franchiseur, par hypothèse un repeat player, afin d’obtenir d’autres désignations.

Or, depuis la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’article 1171 du Code civil dispose que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

S’agissant du droit commun des contrats, cette disposition trouve à s’appliquer même entre professionnels d’une même activité. Professionnels qui n’étaient pas, sous l’empire du droit antérieur, protégés par le droit de la consommation. Tel est le cas des parties au contrat de franchise, désormais protégées contre les clauses abusives dans les contrats d’adhésion. Reste à déterminer les conséquences de cette protection sur la clause compromissoire.

I. Clause compromissoire et franchise en arbitrage international.

La question de l’applicabilité de l’article 1171 ne devrait pas se poser dans l’arbitrage international, où la clause est gouvernée par des règles propres. En arbitrage international, l’existence et l’efficacité de la convention d’arbitrage s’apprécie, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique [3]. La Cour de cassation consacre même un principe de validité de la convention d’arbitrage en arbitrage international [4].

Il reste à savoir si un arbitrage donné doit être qualifié d’interne ou international. Cette question a une portée pratique considérable en l’occurrence, mais sa réponse ne peut être apportée qu’au cas par cas. En effet, l’article 1504 du CPC prévoit simplement qu’« est international l’arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international ».

Une jurisprudence constante précise que le caractère international de l’arbitrage résulte de l’internationalité économique de l’opération, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la loi applicable ou encore du siège arbitral. Il suffit, à cet égard, d’un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnel. Autrement dit, l’arbitrage est international si l’opération ne se dénoue pas dans un seul État.

Appliquant ces critères extensifs à la franchise, il semblerait que l’arbitrage doive souvent être qualifié d’international lorsque l’enseigne est étrangère. En effet, même si la nationalité des parties est en principe indifférente, cela impliquera d’ordinaire que les redevances donnent lieu à un transfert international de fonds ou que l’exploitation du concept implique l’importation de marchandises. L’assistance du franchiseur au franchisé, inhérent au contrat de franchise, comporte normalement la prestation de services et le partage de technologies.

Or, si l’arbitrage est qualifié d’international, il sera très difficile pour le franchisé d’y échapper. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il puisse facilement s’y opposer dès lors qu’il s’agirait d’un arbitrage interne.

II. Clause compromissoire et franchise en arbitrage interne.

Si l’arbitrage est un arbitrage interne, nombre de conditions devront être réunies pour que l’article 1171 du Code civil trouve à s’appliquer.

Tout d’abord, il est important de rappeler les dispositions transitoires de l’ordonnance n°2016-131. Celles-ci excluent du nouveau régime les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, et cela vaut également pour l’article 1171, comme l’a rappelé récemment la Cour d’appel de Metz [5].

Ensuite, si le contrat a été conclu après le 1er octobre 2016, il doit bien s’agir d’un contrat d’adhésion. Celui-ci est défini à l’article 1110 alinéa 2 du Code civil comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».

Or, s’il est vrai que tel est souvent le cas, cette circonstance n’est pas systématique. Un commerçant exploitant quelques points de vente avec succès et souhaitant développer son concept en franchise, trouvera difficile d’imposer « son » contrat à ses premiers franchisés. A cette étape de croissance du réseau, il n’est pas impossible que les contrats puissent être réellement négociés entre les parties, donc qualifiés de gré à gré.

Enfin, pour les contrats d’adhésion conclus après le 1er octobre 2016, la seule présence d’une clause compromissoire dans un contrat ne peut fonder sa nullité. La clause doit revêtir un caractère déraisonnable. Comme l’explique un auteur : « A les supposer saisis dans ce cadre, il faudra que les juges soient vigilants de manière à ne pas affaiblir la force contraignante de la clause compromissoire. En elle-même, la clause compromissoire ne saurait engendrer un déséquilibre significatif, car elle ne fait qu’aménager le droit d’agir en justice » [6].

Même en droit de la consommation, la clause compromissoire n’est pas présumée abusive de manière irréfragable (Aticle R-212-1 du Code de la consommation), mais seulement jusqu’à preuve contraire par le professionnel, par application de l’article R-212-2 10°. On voit mal pour quoi un régime encore plus hostile serait adopté contre la clause compromissoire entre professionnels. Ainsi, dans le domaine de la franchise, il sera possible au franchiseur de démontrer que, dans le cas concret, la clause compromissoire ne provoque pas un déséquilibre significatif.

A cet égard plusieurs critères peuvent être pris en compte par le juge, par exemple : le siège de l’arbitrage, le droit applicable, la langue de l’arbitrage, les coûts encourus et la possibilité financière pour le franchisé d’y faire face.

Si les franchisés et leurs conseils doivent analyser ces critères afin de déterminer s’il convient de saisir les tribunaux français en argumentant du caractère abusif de la clause compromissoire, les franchiseurs, pour leur part, ont tout intérêt à les prendre en compte et à veiller à l’équilibre de la clause compromissoire qu’ils proposent à leurs futurs franchisés.

L’on sait les avantages du recours à l’arbitrage pour l’intégrité d’un réseau : une solution rapide du litige évite une confrontation longue, à laquelle d’autres franchisés sont tentés de prendre part ; la possibilité de rendre la sentence confidentielle protège le réseau d’une contestation généralisée de la part des franchisés, cet « effet de contagion » tant craint par les franchiseurs lorsqu’une décision leur est défavorable.

Dès lors, et concernant notamment le critère relatif aux coûts de l’arbitrage, les franchiseurs des grandes enseignes seraient bien inspirés de prévoir, dans la clause compromissoire insérée dans leurs contrats d’adhésion, une répartition des coûts qui a priori leur paraît défavorable. En effet, cela retirerait un facteur de déséquilibre de la clause, et priverait les franchisés d’un argument qui risquerait fort d’être systématisé. A cet égard, il est possible de suivre l’exemple du Centre National d’Arbitrage du Travail, où jusque ¾ des coûts sont à la charge de l’employeur et ¼ à la charge du salarié. Mais cela n’est qu’une possibilité parmi d’autres. L’important c’est de veiller à ce que le franchisé puisse concrètement avoir recours à un tribunal arbitral, ou le franchiseur ne pourra se plaindre de le voir accéder au juge étatique.

Par Rafael Dias Martins de Paiva Avocat au barreau de Paris

[1Source : « Encore et toujours plus de franchisés en France », Le Parisien Éco, 19 mars 2018.

[2CJCE, 28 jan. 1986, Pronuptia, aff. 161-84, § 15.

[3Dalico, Civ. 1re, 20. Déc. 1993.

[4Zanzi, Civ. 1re, 5 janv. 1999.

[5C.A. Metz 1er fév. 2018, n°16/038711.

[6J-B Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016.