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Harcèlement moral, pénalement la victime n’est pas toujours celle que l’on croit. Par Gabrielle Fingerhut, Avocat.
Parution : jeudi 12 avril 2018
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Il apparait ici que le traitement de la responsabilité de l’employeur et que la notion de victimes sont différents selon que l’on se place en droit pénal ou en droit du travail. La solution de la Chambre criminelle de la Cour de cassation ouvre donc une voie indemnitaire pour l’entreprise victime des agissements d’un salarié harceleur.

En principe, quand il est devant un Conseil de prud’hommes, le salarié harcelé sur son lieu de travail peut mettre en jeu la responsabilité civile de l’employeur tant sur le fondement de son obligation de sécurité de moyens que sur le plan du harcèlement vécu en lui-même.

Toutefois, du point de vue pénal, cette fois-ci c’est l’employeur qui peut désormais porter plainte avec succès contre le salarié harceleur et obtenir indemnisation des faits de harcèlement.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation [1] en a décidé ainsi en raison du dommage résultant pour l’employeur en termes d’atteinte à l’image auprès des autres salariés.

Ici, on ne fait pas référence à l’atteinte à l’image de marque de la Société auprès de ses clients/fournisseurs, mais après de ses salariés, en interne, ce qui, une fois peut surprendre.

Faits et procédure.

En l’espèce le salarié « harceleur » avait été licencié à ce titre.

Celui-ci a alors porté plainte au pénal pour dénonciation calomnieuse à l’encontre des salariés victimes des faits de harcèlement moral et sexuel à l’origine de son licenciement.
Et la longue procédure a débuté.

D’abord, c’est le parquet qui, de son propre chef, et comme il en a la prérogative, a étendu l’information judiciaire, selon un réquisitoire supplétif, aux délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral.

En premier instance, le Tribunal correctionnel, a accueilli l’exception de nullité soulevée par le salarié « harceleur » s’agissant de l’application de l’article 222-33 du Code pénal, alors abrogé par le Conseil constitutionnel relatif au harcèlement sexuel [2]. Le salarié a en outre été relaxé sur le fondement du harcèlement moral.

C’est alors que l’employeur et plusieurs salariés de la société ont interjeté appel de la décision.
La Cour d’appel de Fort-de-France a quant à elle déclaré l’auteur des faits coupable de harcèlement moral et l’a condamné à une peine de 4 mois d’emprisonnement avec sursis [3].

Décision.

Et c’est là que cette décision est particulièrement intéressante : le salarié a également été condamné à réparer le préjudice non seulement des salariés victimes, mais également de celui de la Société considérant qu’il avait « outrepassé, pour les commettre, les pouvoirs hiérarchiques qui lui avaient été dévolus par son employeur dont il a, ce faisant, terni l’image auprès des autres salariés » de Société.
Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation, aux termes duquel notamment, l’employeur ne pouvait être considéré comme une victime directe du harcèlement moral.

La Cour de cassation a rejeté ces moyens et a confirmé l’analyse des juges du fond, aux termes de laquelle ils ont reconnu à l’employeur la qualité de victime directe des agissements de harcèlement moral du salarié et condamné ce dernier à réparer le préjudice causé à son employeur.

L’article 2 du Code de procédure pénale dispose en effet que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ».

Il en ressort sans ambiguïté que la Cour de cassation reconnaît l’employeur comme une victime directe du harcèlement commis par un de ses préposés.

Cet arrêt semble en conséquence ouvrir une nouvelle voie pour les employeurs...

Gabrielle FINGERHUT Avocat à la Cour Droit du travail - Droit pénal - Droit pénal du travail - Droit de la famille Ancien secrétaire de la Conférence http://www.cabinetfingerhut-avocat.com/ gf@cabinetfingerhut-avocat.com

[1Cass. crim. 14-11-2017 n° 16-85.161 F-PB : RJS 2/18 n° 95.

[2Cons. const. 4-5-2012 n° 2012-240 QPC : RJS 7/12 n° 615

[3CA Fort de France ; 26 mai 2016.