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L’agression physique de l’employeur : une faute lourde non privative du droit aux congés payés. Par Gabrielle Fingerhut, Avocat.
Parution : vendredi 13 avril 2018
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Dans un arrêt du 28 mars 2018, la Cour de cassation apporte deux précisions importantes.
L’une est relative à la qualifiions de la faute lourde et l’autre aux conséquences de cette faute lourde sur les indemnités du salarié.

(Cass. soc. 28-3-2018 n°16-26.013 FS-PB, J. c/ Sté Net Eclair).

1. La distinction entre la faute grave et la faute lourde.

La définition constante et historique de la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise [1].

La faute lourde quant à elle est celle qui est commise par un salarié avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise [2].

La caractérisation de la faute lourde réside dans l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise qui doit impérativement être établie sans ambiguïté.

Elle ne saurait donc être déduite :
- de la gravité des faits ou du préjudice de l’employeur [3],
- du fait que le salarié a été reconnu coupable d’un délit intentionnel et à titre d’exemple d’un vol devant la juridiction pénale [4].

Ainsi, la faute lourde est d’appréciation stricte et elle est en conséquence rarement retenue du fait de la difficulté de retenir dans le geste du salarié, une volonté indépendante et précise de nuire.

A titre d’exemples, ont été considérés comme une faute lourde par la Cour de cassation :
- la participation active d’un salarié cadre de l’entreprise au détournement d’un client de son employeur actuel au profit d’une société concurrente à son profit [5] ;
- l’utilisation par un cadre dirigeant des connaissances techniques acquises par l’entreprise et des relations commerciales nouées dans le cadre de ses fonctions pour créer une société faisant concurrence [6] ;
- le sabotage des machines d’une entreprise par un de ses salariés [7] ;
- les falsifications commises par un directeur administratif et financier pour masquer ses malversations financières [8].

En revanche, le simple fait de dénigrer la politique tarifaire de l’employeur devant les clients sans que ne soit caractérisée l’intention de nuire n’a pas été jugé comme constitutif d’une faute lourde [9].

Ainsi, cela illustre combien la faute lourde doit être calibrée avant d’être évoquée dans une lettre de licenciement.

2. La violence et la qualification de la faute du salarié.

De jurisprudence constante, la violence justifie la qualification de faute grave du salarié [10].

Or, dans le présent arrêt… c’est la faute lourde qui a été retenue. Pourquoi ?

En l’espèce c’est le fait d’agresser violemment son employeur de manière volontaire et préméditée qui procède, pour la Cour de cassation, d’une intention de nuire caractérisant une faute lourde.

Ainsi, les critères qui font la différence entre la faute grave et la faute lourde sont la préméditation et le caractère volontaire des violences, exclusives d’un emportement ou d’un débordement se rapprochant de la faute simple.

En outre, les conséquences de cet accès de violence furent particulièrement graves étant entendu que l’employeur a souffert d’un traumatisme crânien avec une incapacité temporaire de travail de 15 jours procède d’une intention de nuire à ce dernier.

Ainsi, ce sont à la fois la gravité des blessures et l’intention et la préméditation qui procèdent d’une intention de nuire.

3. Les conséquences de la faute lourde.

La faute lourde ne prive plus le salarié de l’indemnité compensatrice de congés payés.

De fait, dans une décision du 2 mars 2016, le Conseil constitutionnel répondant à une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l’article L 3141-26 du Code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur, en ce qu’il privait d’indemnité compensatrice de congés payés le salarié licencié en raison d’une faute lourde [11].

Cette déclaration d’inconstitutionnalité reposait sur une violation de l’égalité devant la loi puisque la perte du droit aux congés payés n’atteignait pas les salariés dont l’employeur était tenu d’adhérer à une caisse des congés payés. Ainsi, une inégalité de traitement était créée de fait.

Ainsi, depuis la déclaration d’inconstitutionnalité de ce texte, le législateur est intervenu par la loi 2016-1088 du 8 août 2016 supprimant, la référence à une faute lourde dans le nouvel article L 3141-28 du Code du travail.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, la Cour de cassation intègre cette déclaration d’inconstitutionnalité en relevant d’office qu’elle était applicable aux instances en cours.

Il en résulte que, outre la privation des indemnités de préavis et de licenciement, commune avec la faute grave, la faute lourde n’a désormais d’intérêt propre qu’en ce qu’elle permet d’engager la responsabilité civile du salarié envers son employeur ou de le licencier pour des faits commis pendant un mouvement de grève.

Ainsi, il apparaît qu’en cas de doute, désormais l’employeur a tout intérêt à qualifier le licenciement de faute grave.

Cass. soc. 28-3-2018 n°16-26.013 FS-PB, J. c/ Sté Net Eclair

Gabrielle FINGERHUT Avocat à la Cour Droit du travail - Droit pénal - Droit pénal du travail - Droit de la famille Ancien secrétaire de la Conférence http://www.cabinetfingerhut-avocat.com/ gf@cabinetfingerhut-avocat.com

[1Cass. soc. 27-9-2007 n° 06-43.867 FP-PBR.

[2Cass. soc. 16-5-1990 n° 88-41.565 P.

[3Cass. soc. 8-2-2017 n° 15-21.064 FS-PB.

[4Cass. soc. 6-7-1999 n° 97-42.815 PB.

[5Cass. soc. 15-12-2011 n° 10-21.926 F-D.

[6Cass. soc. 5-6-2001 n° 99-41.483 F-D.

[7Cass. soc. 23-9-2009 n° 08-42.913 F-D.

[8Cass. soc. 8-6-2017 n° 15-25.193 F-D.

[9Cass. soc. 8-2-2017 n° 15-21.064 FS-PB.

[10Cass. soc. 22-3-2007 n° 05-41.179.

[11Cons. const. 2-3-2016 n° 2015-523 QPC : RJS 5/16 n° 343.