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Répression de la fraude fiscale et esprit de confiance. Par Sahand Saber, Avocat.
Parution : jeudi 12 avril 2018
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Le projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale qu’a présenté le Premier ministre Édouard Philippe le 28 avril dernier a tenu ses promesses. Des mesures fortes, avec un message politique en filigrane : la loi doit œuvrer au rétablissement de la confiance des citoyens dans les pouvoirs publics.

Parmi les principales mesures annoncées, l’instauration du « name and shame » [1] automatique en cas de condamnation pénale et la possibilité pour le Parquet de proposer au redevable poursuivi la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (dite « CRPC »).

Le name and shame, directement des venus des États-Unis, semble inspirer les ministres français qui, manifestement soucieux de satisfaire la vindicte de l’opinion publique, ne l’excluent plus de l’arsenal des réformes qu’ils ont à mener. La Ministre du travail Muriel Penicaud l’évoquait déjà en février dernier pour lutter contre le détachement illégal de travailleurs.

Il serait devenu un outil de dissuasion que les tribunaux ne doivent plus avoir la liberté d’appliquer, au moyen des dispositions déjà existantes de l’article 131-10 du Code pénal qui prévoient, entre autres, la peine complémentaire d’affichage et de diffusion d’une condamnation pénale par voie de presse.

Pourtant, la systématisation d’une telle pratique emporterait avec elle des conséquences néfastes, à l’heure où internet et les réseaux sociaux produisent une réputation numérique difficilement contrôlable. Songeons à la réinsertion du redevable condamné dont le nom serait diffusé : pour un individu, une difficulté supplémentaire s’opposerait à sa réinsertion dans la légalité ; pour une entreprise, les conséquences s’étendraient aux salariés qui porteraient avec eux l’infamie causée par la condamnation.

Plus encore, une telle systématisation exprimerait un déséquilibre dans le traitement des condamnations pénales qui, pour l’écrasante majorité des cas, ne connaissent aucune peine complémentaire d’affichage et de diffusion, et cela alors qu’une infraction consiste en une violation par un justiciable d’une règle participant à la préservation de l’ordre social, intéressant de ce fait la société entière.

En plus du name and shame, le gouvernement voudrait accroitre le nombre de condamnation et rendre les procédures plus rapides : il a ainsi décidé de soumettre au Parlement le projet d’extension à la fraude fiscale de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le plaider-coupable à la française. A ce jour, cette procédure ne s’applique pas à la fraude fiscale qui tombe sous le coup de l’exception prévue par les dispositions de l’article 495-16 du Code de procédure pénale, empêchant le Procureur de la République de la mettre en œuvre lorsqu’une loi spéciale prévoit les conditions de la poursuite, ainsi qu’il en est le cas en matière de fraude fiscale.

Si l’extension de la CRPC devait être votée, c’est une pénalisation accrue de la fraude fiscale qui s’annoncerait. La CRPC, véritable moyen de désengorgement des tribunaux correctionnels, tempèrerait le rôle très discuté de la Commission des infractions fiscales (également appelée « Verrou de Bercy ») qui pourrait autoriser la mise en œuvre de l’action publique pour réprimer un nombre plus important d’irrégularités. Aussi, les fraudes qui donnaient lieu à de simples redressements, au vu du montant éludé, exposeraient leurs auteurs à des procédures pénales.

Plus simple et plus rapide. Mais peu efficace pour une problématique toujours aussi complexe.

En réalité, ce projet de loi renonce à traiter le sujet de la fraude fiscale, préférant des mesures plus spectaculaires qu’efficaces, et cela alors que les tribunaux nous montrent qu’elle est régulièrement le fait d’individus rémunérant des gérants de paille et autres prête-noms et sachant disparaitre lors des premières interventions des agents de la DGFiP.

Le recouvrement des sommes éludées devient alors impossible et l’État, esseulé et impuissant, finit par financer une justice pénale qui réprime sans apporter au Trésor la satisfaction pécuniaire attendue. Les moyens de la répression envisagés risqueraient ainsi de participer à la restauration de la confiance, mais sans mieux dissuader les fraudeurs d’agir.

Sahand Saber Avocat au Barreau de Paris s.saber@hiro-avocats.com [Mail->contact@saber-avocat.com]

[1N.D.L.R : Littéralement "Nommer et couvrir de honte". Consiste à dénoncer publiquement une personne, une entreprise, une institution pour ses mauvais agissements. Source Francetvinfo.fr