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Vade-mecum du bail emphytéotique. Par Christophe Degache.
Parution : mardi 17 avril 2018
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Le bail emphytéotique semble à première vue être un instrument juridique d’un autre temps. C’est une impression trompeuse car son utilité est toujours d’actualité comme ce bref vade-mecum va le rappeler.

I. Notion.

A - Définition.

C’est un contrat de louage d’immeubles moyennant le paiement d’une redevance par le preneur, appelé également emphytéote, d’une durée obligatoirement comprise entre 18 et 99 ans.

B - Immeubles concernés.

L’immeuble objet du contrat peut être à usage d’habitation, rural, industriel ou commercial.

C - Nature juridique.

Le bail emphytéotique est une variété du contrat de louage mais obéit à un régime propre différent de celui visé à l’article 1709 du Code civil. Il doit être distingué d’autres contrats proches seulement en apparence :
- du contrat de bail de droit commun et le bail rural à long terme n’offrent au preneur qu’un droit personnel ;
- du bail à construction met à la charge du preneur l’obligation principale d’édifier des constructions et de les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail.

D - Compétence des tribunaux.

Les conflits relatifs au bail emphytéotique relèvent de la compétence du tribunal de grande instance, à l’exception des contrats portant sur un immeuble rural qui sont rattachés au tribunal paritaire des baux ruraux.

II - Régime.

Le régime du bail emphytéotique peut sur certains points se rapprocher d’autres contrats, mais il obéit à un régime juridique qui lui est propre. Ce qui a pour conséquence que les dispositions législatives concernant le fermage, le métayage ou les baux commerciaux ne sont pas applicables à ce contrat de bail, sous la seule exception de celles relatives à la révision du loyer pour les immeubles industriels, commerciaux ou artisanaux.
Il faut également noter que les baux emphytéotiques administratifs, de par leur objectif de servir l’intérêt général, sont soumis à des règles spécifiques codifiées aux articles L1311-1 et suivants du Code Général des Collectivités Territoriales.

1°) Formation du contrat de bail.

A - Élément constitutifs.

L’article L 451-1 du Code Rural impose la réunion de 2 éléments afin que le contrat soit qualifié de bail emphytéotique :
- la longue durée du louage et au minimum 18 ans ;
- le caractère du droit conféré au preneur : un droit réel librement cessible, saisissable et hypothécable.

a) Durée du contrat.

Comme sus-évoqué, le bail emphytéotique doit avoir une durée comprise entre 18 et 99 ans.
- Si elle est inférieure à 18 ans : la jurisprudence refuse de reconnaître l’existence d’un contrat de bail emphytéotique [1] ;
- Si elle est supérieure à 99 ans : la Cour de Cassation a précisé que cette durée est une limite extrême et par conséquent qu’elle ne pouvait être dépassée [2]. La même solution sera applicable si la durée du contrat de bail est dépendante d’un évènement indéterminé dans le temps qui ne s’est pas encore réalisé au terme de cette durée maximum ;
- Si le contrat peut prendre fin à tout moment avec une faculté de résiliation offerte au bailleur, par exemple pour vendre ou démolir l’immeuble, la jurisprudence refuse la qualification de bail emphytéotique car ladite clause porterait atteinte à la durée minimum et à la nature du droit attribué au preneur [3].
En outre, au regard de cette durée maximum l’alinéa 2 de l’article susvisé pose le principe d’interdiction de reconduction tacite du contrat. Néanmoins, la jurisprudence admet la volonté contraire des parties exprimée dans le contrat de bail, sous réserve que cette reconduction de contrat ne dépasse pas les 99 ans fixés par la loi [4].

b) La nature du droit attribué au preneur.

Le preneur de bail emphytéotique obtient, en contrepartie de son engagement, un droit réel immobilier de jouissance. Le droit conféré obéit aux règles de droit commun relatives à la propriété immobilière (cession, hypothèque, saisie, accession, sous location), sous la réserve de son caractère nécessairement éphémère et des dispositions contractuelles qui peuvent exclure le principe d’accession au profit du preneur (alors même qu’elle ne jouerait que pendant la durée du contrat).
En outre, la nature particulière du droit attribué au preneur lui permet de changer l’activité des biens loués ou d’opérer des transformations sur les bâtiments, sous la seule réserve de ne pas diminuer la valeur du fonds au regard des dispositions de l’article L 451-7 du Code Rural et selon la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation du 13 mai 1998 [5].
D’ailleurs, la jurisprudence protège les prérogatives attachées à ce droit réel immobilier en refusant la qualification de bail emphytéotique à un contrat qui leur porte atteinte avec, par exemple, une clause de responsabilité solidaire du locataire avec le cessionnaire [6]. ou une clause subordonnant la sous-location à l’accord du bailleur [7].

B - La question délicate de la redevance.

La législation relative au bail emphytéotique n’évoque pas le montant de la redevance (ou canon emphytéotique) que devra verser le preneur.
Elle est traditionnellement en dessous du prix du marché locatif immobilier eu égard à l’obligation qui pèse sur le preneur d’améliorer, de planter ou de construire sur l’immeuble loué.
En outre, il faut remarquer que l’obligation d’investir à la charge du preneur n’existe que si une clause spéciale du bail le prévoit selon la doctrine récente et la jurisprudence de la Cour de Cassation [8].
A l’opposé, lorsque la redevance est plus élevée, la position de la Cour de Cassation est fluctuante sur l’existence ou non d’un bail emphytéotique dans cette hypothèse. La doctrine est également partagée sur le caractère essentiel ou non de la modicité du loyer.
Ainsi, il semblerait qu’il convient d’analyse la "justesse" du montant du loyer eu égard aux améliorations, constructions, plantations qui doivent être réalisées par le preneur afin que soit assuré un équilibre contractuel des obligations.
Par ailleurs, il faut noter qu’en ce qui concerne les baux emphytéotiques portant sur des immeubles industriels, commerciaux ou artisanaux, les dispositions du statut des baux commerciaux relatives à la révision du loyer sont applicables.
Cependant, le propriétaire bailleur bénéfice d’une totale liberté pour les modalités de paiement de la redevance, sans qu’il soit tenu par la tradition historique ou d’éventuelles coutumes locales [9]. Il peut même indexer le loyer, par exemple, à l’indice INSEE du coût de la construction lorsque l’immeuble loué comporte des bâtiments.
Enfin, le propriétaire bailleur ne bénéficie pas du droit de réajustement lorsque la redevance versée par le sous-locataire est supérieure au montant du loyer principal.

C - Exigence de la pleine capacité des contractants.

Au vu de la longue durée du contrat, l’article L 451-2 du Code Rural exige que le propriétaire bailleur ait la capacité d’aliéner.
De ce fait, les incapables mineurs ou les majeurs sous tutelles qui voudraient louer leurs biens sous la forme d’un bail emphytéotique doivent y être autorisés en vertu d’une délibération du conseil de famille.
De plus, lorsque le bien immobilier est commun aux deux époux, est en indivision ou encore fait l’objet d’un démembrement de propriété, il faudra recueillir l’accord des tous propriétaires pour que le bail soit valablement conclu.
En ce qui concerne l’emphytéote (preneur), il doit avoir la capacité d’acquérir et de s’obliger. Il faudra donc pour le mineur non émancipé ou le majeur sous tutelle une autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles selon les personnes concernées.

D - Formalités relatives à la construction du contrat de bail.

La nature du droit attribué au preneur et la longue durée minimum du bail implique que le contrat soit publié à la conservation des hypothèques dont dépend l’immeuble loué. Cette publicité foncière est requise pour l’opposabilité du contrat aux tiers. L’absence d’accomplissement de cette formalité empêche d’opposer les dispositions du contrat aux tiers même s’il a pu en avoir connaissance d’une autre manière [10].
En outre, la jurisprudence a précisé que la promesse de bail emphytéotique n’était pas équivalente à un bail et qu’il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions de l’article 1840 A du Code Général des Impôts avec les conséquences de nullité attachées à cette formalité d’enregistrement [11].
De plus, la conclusion d’un contrat de bail portant sur un immeuble nécessite, depuis ces dernières années, qu’il y soit annexé des diagnostics immobiliers. Ils sont classiquement au nombre de 4 en cas de location d’un bien :
- un diagnostic sur l’état des risques naturels et technologiques datant de moins de 6 mois à la date de la conclusion du contrat et si l’immeuble se situe dans une zone couverte par un plan de prévention des risques ou de sismicité.
- un diagnostic amiante si le bien loué comporte un bâtiment d’habitation, un local professionnel ou industriel dont le permis de construire a été délivré avant le 1er juillet 1997. Le diagnostic amiante réalisé à une "durée de vie illimité" et n’a pas à être réalisé si le permis de construire a été délivré à une date postérieure.
- un diagnostic plomb si l’immeuble loué est à usage d’habitation et qu’il a été construit avant le 1er janvier 1949. Sa validité pour la location est de 6 ans à la date de conclusion du contrat.
- un diagnostic de performance énergétique pour les immeubles loués à usage d’habitation et les bâtiments d’exploitation dont la durée de validité est de 10 ans.

Par ailleurs, la nature agricole d’un immeuble implique que le preneur obtienne une autorisation d’exploiter délivrée par le contrôle des structures en application des dispositions de l’article L 331-2, I du Code Rural. L’obtention de cette autorisation administrative n’est requise que dans le cas où le preneur envisage une exploitation personnelle du bien loué.

Il convient également de noter qu’il n’y a pas lieu de purger les droits de préemption civils, urbains, ou ruraux de par la qualification de bail emphytéotique.

Néanmoins, la règlementation sur les lotissements s’applique au bail emphytéotique lorsqu’il habilite à construire et que cette division entraîne la création de plus de 2 lots à construire [12]

2°) Vie et mort du bail emphytéotique.

La règlementation sur les baux emphytéotiques est supplétive de volonté en vertu de l’article L 451-3 du Code Rural, saufs les deux éléments constitutifs liés à la qualification du contrat.

A - Droits et obligations du bailleur.

En premier lieu, le bailleur a droit au paiement de la redevance dans les conditions ci-dessus détaillées.
Lorsque son preneur ne procède pas au versement de la redevance pendant deux années consécutives, le bailleur doit le sommer de payer et peut, par la suite, faire prononcer en justice la résolution du contrat en vertu de l’article L 541-5 du Code Rural. Le même dispositif est prévu à son profit lorsque le preneur n’a pas exécuté ses autres obligations du contrat ou encore qu’il a commis des détériorations graves sur le fonds, sous réserve des délais de grâce que peuvent accorder les magistrats.
Secondement, le bailleur bénéfice aux termes du contrat de bail de l’ensemble des améliorations, constructions, plantations qu’a réalisé le preneur. Cependant, la jurisprudence valide les clauses de rachat des constructions par le bailleur insérées dans le contrat [13] ou encore celle qui lui permet de reprendre l’immeuble nu [14].

B - Droits et obligations du preneur.

Le preneur a un droit réel immobilier de jouissance tel qu’il est sus-explicité. La nature de ce droit attribué au preneur lui permet de bénéficier de la protection instaurée par l’action possessoire et aussi pétitoire.
Il ne bénéficie de l’accession des améliorations, constructions et plantations qu’il a réalisées que pendant la durée du contrat de bail et sous réserve de disposition contractuelle contraire.
Par contre, il a seul le droit de chasse et de pêche et exerce à l’égard des mines, carrières et tourbières tous les droits de l’usufruitier en vertu de l’article L 451-11 du Code Rural.
De plus, il a la possibilité de grever le fonds loué de servitudes actives ou passives pour une durée limitée à celle du contrat de bail et d’avoir préalablement averti le propriétaire conformément aux dispositions de l’article L 451-9 du Code Rural.
En contrepartie, il est tenu des réparations locatives et des grosses réparations sur les constructions existantes à la date de conclusion du bail et pour celles réalisées en vertu des termes du contrat. Il doit également répondre de l’incendie. Néanmoins, l’alinéa 2 de l’article L 451-8 du Code Rural délimite cette obligation en l’excluant lorsque l’origine des réparations à faire est la force majeure, le cas fortuit ou un vice de construction existant antérieurement à la conclusion du bail.
Ensuite, il doit jouir des lieux en bon père de famille et payer la redevance, le non-respect de ces obligations pouvant entrainer la résiliation judiciaire du bail emphytéotique. Ces obligations sont contenues dans les articles L 451-6 et L 451-7 du code Rural.
Par ailleurs, lorsque l’emphytéote procède à la cession de son bail, il bénéfice des dispositions protectrices de l’article 1674 et suivantes du Code Civil à savoir, l’action en rescision pour lésion de plus des sept douzièmes. Toutefois, il faut noter que lorsque la sous-location porte sur un immeuble de nature commerciale, industrielle ou artisanale, le sous-locataire bénéficie des dispositions relatives à la propriété commerciale et particulièrement du droit au renouvellement dans la limite extrême de la durée du bail emphytéotique originel [15].

C - Fin du contrat de bail.

En premier lieu, le bail prend fin à l’arrivée du terme définie contractuellement et dans la limite de 99 ans comme évoqué ci-dessus.
Le bailleur doit récupérer le fonds loué libre de toute occupation par des tiers dans le cas où le preneur l’aurait sous-loué ou hypothéqué.
Ainsi, le sous-locataire ne peut prolonger son occupation au-delà du terme du contrat de bail emphytéotique originel. La règle est bien établie pour les immeubles à usage commercial, industriel ou artisanal. Mais en ce qui concerne la location d’immeuble d’habitation, un arrêt récent semble imposer au bailleur de poursuivre les contrats de baux d’habitation conclus par le preneur jusqu’à leur fin avant que le bailleur puisse délivrer valablement des congés conformément aux dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 [16].
En ce qui concerne l’extinction de l’hypothèque, la troisième chambre de la Cour de Cassation dans un arrêt du 7 octobre 2009 [17] applique ce principe avec rigueur en invalidant la surenchère faite par le preneur initial qui avait cédé son droit sur le bien loué au profit d’une SCI qui s’est trouvée par la suite en liquidation judiciaire. Elle précise que l’hypothèque inscrite sur le bail emphytéotique disparaît à l’expiration du bail.
En outre, le contrat de bail emphytéotique ne prend pas fin avec le décès d’un des contractants, il est transmis aux héritiers tant du bailleur que du preneur.
Enfin, il peut être résilié à l’initiative du bailleur lorsque le preneur n’a pas payé sa redevance pendant deux ans ou qu’il a manqué à ses autres obligations contractuelles comme sus-évoqué. Dans ce cas, il doit y avoir une publicité réalisée auprès de la conservation des hypothèques, à peine d’inopposabilité aux tiers.

Christophe Degache Avocat au Barreau de la Haute-Loire DEA Droit public [->christophe.degache@bbox.fr]

[13ème Civ., 29 avril 19978 : Ann. Loyers 19978, p. 1563, obs. J. Lachaud.

[2Civ. 22 novembre 1932 : DH 1933, 1, p. 51.

[33ème Civ., 15 mai 1991 : D. 1991. Somm. 304, obs. Robert.

[4CA Limoges, 26 juin 2003 : Constr. Urb. 2003, comm. 106, note D. Sizaire.

[5Bull. Civ. III, n° 101

[63ème Civ., 3 octobre 1991 : Bull. Civ. 1991, III, n° 114.

[73ème Civ., 2 juin 1993 : RD Rur. 1993, p. 438.

[8Civ., 25 avril 1853 : DP 1853, 1, p.145.

[93ème Civ., 4 janvier 1973 : Bull. Civ. III, n° 6.

[102ème Civ., 11 juillet 2002 ; Bull. Civ. II, n° 170.

[11Civ., 15 avril 1930 : D. 1930, p. 381 et 3ème Civ., 8 octobre 1974 : Bull. Civ. III, n° 339.

[12Rép. Min. n° 12784 : JOAN Q 2 mars 2010, p. 2456.

[133ème Civ., 30 novembre 1994 : Rev. huissiers 1995, p. 223.

[143ème Civ., 28 mars 1969 : Bull. Civ. 1969, III, n° 780.

[153ème Civ., 9 février 2005, n° pourvoi 03-17.065.

[163ème Civ., 2 juin 2010, n° 08-17731.

[17n° pourvoi 08-14962

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