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Cession de titres de société. Par Patrick Le Teuff, Expert-comptable.
Parution : vendredi 13 avril 2018
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Dans cet article sont présentés sous la forme d’une étude de cas, des conseils et les pièges à éviter lors de la cession d’une entreprise.

Présentation du cas :

Dans le cadre d’une procédure de rapprochement industriel, la société C. et monsieur P., dirigeant de la société P. & Cie et de la holding de contrôle HCP, ont conclu un accord aux termes desquels M. P. cédait à la société C. l’intégralité de ses droits dans la société HCP pour un prix payable pour 60% à la date de réalisation de la cession et le solde un an après cette date.
La société C. ne paie pas le solde convenu, invoquant, d’une part, la mise en jeu d’une garantie d’actif passif et, d’autre part, des faits constitutifs de réticence dolosive de la part de M. P.

Le Tribunal déboute la société C. de ses prétentions au titre du dol, et, avant dire droit sur la mise en jeu garantie d’actif et de passif, désigne un expert avec pour mission :
- de donner son avis sur la réalité des faits allégués par la société C. susceptibles de faire
jouer la garantie d’actif et de passif,
- de donner son avis sur l’incidence éventuelle des dits faits sur les comptes de la société
holding.

Commentaires sur les missions ordonnées dans le cadre de cession de titres de participation.

Ce type de mission, classique dans le cadre de rachat de titres de société, présente la particularité :
- de se décliner en une multitude de points de litige (les griefs exprimés par le repreneur au titre des différentes pertes subies après la cession et qu’il estime imputables au cédant) qui sont autant de « mini expertises » donnant lieu chacune à des investigations particulières ;
- de mêler le fait et le droit, car l’examen des clauses du contrat de vente, tant dans son
« esprit » que dans ses modalités de mise en œuvre, nécessite des analyses fines qui confinent à l’interprétation des conventions entre les parties.

L’expert doit agir avec méthode et discernement, en adoptant une démarche par étapes successives, afin de sérier rapidement les points clés et orienter les travaux vers les questions les plus significatives sous peine de se voir noyé dans des discussions ou l’essentiel est dilué dans le superfétatoire.

Il doit savoir repérer les limites de sa mission et se garder d’empiéter sur le domaine réservé des avocats lorsque se présentent les questions relatives aux interprétations juridiques.

Ce type de litige, qui nécessite un travail de longue haleine, se prête très bien à l’expertise qui permet de mettre les sujets à plat, de forcer les parties à s’écouter et donc d’éliminer les malentendus, et d’objectiver les points de dissension en faisant la part entre les faits et les représentations biaisées qu’en ont souvent les parties.
Il n’est pas rare que, dans ce type d’affaires, les parties finissent par trouver un terrain d’entente au cours ou au terme de l’expertise car une fois les points d’ombre éclaircis sur le plan factuel, les motifs de poursuivre l’instance finissent par s’estomper.

Conseils et pièges à éviter pour les justiciables.

La cession d’une entreprise, ou des titres, qui la représente est une opération complexe. Chaque cas est bien entendu particulier mais on peut dégager des principes communs qu’il faut conserver à l’esprit dans ce type de contexte.

Premier principe : le monde des affaires ne connaît pas les bons sentiments.

Sans être nécessairement hostile, chaque opérateur cherche à maximiser ses avantages : « personne ne fait de cadeaux ».
Dans ce type d’opération à fort enjeu, il est indispensable de se faire assister par des conseillers spécialisés : avocats, juristes, experts financiers.
Le temps où les affaires se concluaient entre professionnels gentilshommes par un « topez là ! » est révolu depuis longtemps.
La vigilance est de rigueur.

Deuxième principe : les entrepreneurs et commerçants sont présumés prudents et avisés.

La loi prévoit des recours contre les escrocs mais ne protège pas les acteurs naïfs ou négligents. Comme l’illustre le cas rapporté plus haut, les tribunaux ne retiennent que très rarement l’existence de manœuvres dolosives (c’est-à-dire de faits ayant pour objectif de tromper le cocontractant), les parties au contrat étant censés « connaître la musique ».

La préparation et le contrôle minutieux des actes de cession, de garantie d’actif et de passif, de caution, etc. est donc essentielle pour se prémunir des contentieux potentiels ou, s’ils surviennent, pour pouvoir les gérer efficacement.

Troisième principe : les juristes sont souvent fâchés avec les chiffres.

Il faut savoir que les conseillers juridiques connaissent généralement bien leur domaine, mais ils ont parfois deux points faibles :
- ils raisonnent à partir de modèles préétablis sans prendre toujours le temps de les adapter aux cas particuliers qui leur sont soumis ;
- ils ont une aversion pour les questions comptables et financières qu’ils ne maîtrisent guère et sur lesquelles ils rechignent à porter toute l’attention requise.

Il est donc indispensable qu’ils s’adjoignent des experts du chiffre, ayant une expérience « du terrain », qui veilleront à la cohérence, à la clarté et à la précision de la rédaction des clauses financières qui sont les points clés du contrat et la source de la plupart des contentieux.
Conseil : faire relire les articles clés par une personne tierce au contrat (pas nécessairement un professionnel). Si elle éprouve des difficultés à les comprendre, ce n’est pas bon signe...

Quatrième principe : pour éviter les ennuis, « jouer cartes sur table ».

Le meilleur moyen d’éviter les contentieux est de jouer la transparence.
Il ne faut pas chercher pas à dissimuler les « cadavres », ils remontent toujours à la surface !

Si des points prêtent à difficulté ou à discussion, il faut s’en ouvrir et prévoir les règles du jeu et les modalités d’arbitrage avant la signature du contrat : examen contradictoire des situations financières de référence, modalités de contrôle, définition des périodes de garantie, droit de regard sur la gestion de l’affaire pendant les périodes transitoires, clauses d’arbitrage, ...

La cession d’une entreprise n’est pas une opération qui se résume à la signature d’un contrat. Il y a une période préparatoire, une période de négociation puis une période d’accompagnement après la cession. Aucune de ces phases ne doit être négligée.

Patrick Le Teuff, Expert-comptable, Expert près de la Cour d'appel de Paris, Secrétaire général Compagnie Nationale des Experts-Comptables de Justice (CNECJ), DLT Expertise et Audit.