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Du statut d’auto-entrepreneur à celui de salarié déguisé, il n’y a qu’un pas ! Par Flora Labrousse, Avocat.
Parution : jeudi 19 avril 2018
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A l’ère de l’ubérisation, le recours à des prestataires de services tels que les livreurs de repas, les chauffeurs VTC et bien d’autres ne fait que s’intensifier, et parallèlement à ce phénomène, la jurisprudence sur les salariés dits « déguisés » abonde.

La requalification du contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée.

A l’ère de l’ubérisation, le recours à des prestataires de services tels que les livreurs de repas, les chauffeurs VTC et bien d’autres ne fait que s’intensifier, et parallèlement à ce phénomène, la jurisprudence sur les salariés dits « déguisés » abonde.

En effet, l’externalisation abusive de salariés est de plus en plus fréquente car elle permet à certains employeurs de se soustraire à leurs obligations salariales. Or, cela ne dure qu’un temps car les juges n’hésitent plus à requalifier les « faux » contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée.

Tandis que le contrat de travail suppose la subordination du salarié à son employeur dans la réalisation de ses objectifs, le contrat de mission implique au contraire l’indépendance de l’auto-entrepreneur vis-à-vis de son client, qui est entièrement autonome dans la gestion de son temps de travail.

Les juges ne sont pas tenus par l’intitulé du contrat et vont vérifier les conditions réelles dans lesquelles l’activité du travailleur est exercée ; c’est-à-dire qu’ils vont rechercher si l’auto-entrepreneur est effectivement indépendant dans la réalisation de sa mission.

Dans le cas contraire, le « client » (en réalité la société employeur) encourt la requalification du contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée. Et cela peut avoir des conséquences financières très lourdes sur l’employeur qui a bénéficié de ses prestations.

Les indices du « salariat déguisé »

Une analyse approfondie de la jurisprudence nous permet de déceler l’existence d’indices permettant de caractériser la dissimulation d’une relation salariale de subordination sous la forme d’une relation commerciale de sous-traitance.

Par exemple, des contrats de missions ont ainsi pu être requalifiés en CDI lorsque :
- ledit « auto-entrepreneur » exerçait une activité commerciale pour le compte d’une société et ce dans le respect d’un planning quotidien précis établi par la société elle-même, ainsi que d’une procédure déterminée avec l’obligation d’assister à des entretiens individuels, à des réunions commerciales, et de remplir des objectifs de chiffre d’affaires annuel (Soc., 6 mai 2015, n°13-27535)
- les travailleurs fournissaient en réalité des prestations les plaçant dans une situation de subordination juridique permanente par rapport à la société (Crim., 15 décembre 2015, n°14-85.638 ; Crim. 10 janv. 2017, n° 15-86.580)
- la société avait sur les auto-entrepreneurs le pouvoir de leur donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner leurs manquements (Civ. 2e, 24 mai 2017, n° 15-28.439
- concernant un chauffeur VTC qui n’avait qu’un seul donneur d’ordre, ne transportait que les seuls clients du réseau avec lequel il avait signé un contrat de mission, qui n’avait aucune influence ou pouvoir décisionnel sur les tarifs des courses, qui n’avait ni le choix du type de véhicule ni le choix des moyens techniques utiles à l’exercice de son travail, qui n’avait aucune maitrise des plages horaires d’activité. (CA Paris, 13 décembre 2017, n° 17/00349)

En résumé, une telle requalification est susceptible de concerner le travailleur :
- qui s’est déclaré en travailleur indépendant à la demande d’une société ;
- qui accomplit des missions pour un donneur d’ordre unique qui lui reverse une rémunération mensuelle fixe ;
- qui n’est pas libre de ses horaires et plannings ou dont la prise d’initiatives dans le déroulement de son travail est limitée ;
- qui est intégré à une équipe de travail salariée ;
- qui se voit fournir son matériel et équipements par son « client » ;
(Réponse ministérielle du 6 août 2013)

Les conséquences financières sur la société reconnue comme l’employeur

D’une part l’employeur pourra être condamné à acquitter l’ensemble des cotisations sociales afférentes aux sommes versées à l’auto-entrepreneur.

D’autre part lorsque la requalification de la relation de travail fait suite à sa rupture, cette dernière correspond à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié « déguisé » est en droit de solliciter les indemnités y afférant, à savoir l’indemnité de licenciement, l’indemnité compensatrice de préavis et des dommages-intérêts (Soc. 26 avril 2017, n° 14-23.392).

Flora LABROUSSE, Avocat au Barreau de Paris Consultation : https://consultation.avocat.fr/cabinets/cabinet-flora-labrousse-75009-41967a87ce.html Site internet : https://9trevise-avocat.com/
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