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L’importance de la clause d’agrement dans le contrat de franchise ? Par Arnaud Boix, Avocat.
Parution : jeudi 19 avril 2018
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Le contrat de franchise est l’un des contrats les plus importants et des plus « courus » par les réseaux de distribution qui veulent vite se développer. En 2017, la France compte 74 102 points de vente franchisés, représentant 59,55 milliards de chiffre d’affaires. Le succès de ce contrat dépend des deux parties qui y sont liées et se signe en leur considération réciproque.

Ce contrat représente de grands enjeux économiques pour les deux parties qui y sont liées par un degré fort « d’intuitu personae ». D’où la nécessité d’être particulièrement précis et vigilant dans la rédaction dans son ensemble du contrat et tout particulièrement dans la rédaction de la « clause d’agrément » qui couvre l’intuitu personae qui habite ce contrat.

Par essence, le contrat de franchise est un contrat intuitu personae, autrement dit, un contrat conclu en considération des personnes cocontractantes, le franchiseur et le franchisé. Généralement, la condition de l’intuitu personae sera contractuellement prévue.

L’importance de cette condition se justifie davantage dans les contrats de prestation de service que dans les contrats de distribution de produits. En effet, la qualité d’une prestation de services dépend d’abord des compétences de la personne qui la réalise, alors que le produit à vendre dépend plus des méthodes de vente transmises par le franchiseur au franchisé et de l’emplacement de son point de vente !

La clause d’agrément détermine un cadre juridique. Elle oblige une partie à solliciter l’agrément de l’autre avant de céder ou de transférer à un tiers de quelque manière que ce soit (par cession de contrat, cession de titres, changement de contrôle, apport en société…) les droits et obligations qui résultent du contrat de distribution.

La validité de principe d’une telle clause est reconnue par le droit de la concurrence.

Ainsi, le point 45 des Lignes Directrices sur les restrictions verticales de la Commission Européenne dispose que l’obligation pour le franchisé de ne pas céder les droits et obligations du contrat de franchise sans le consentement du franchiseur est généralement considérée comme nécessaire à la protection des droits de propriété intellectuelle du franchiseur.

La clause d’agrément n’est pas restrictive de concurrence si elle permet de préserver l’identité du réseau et est une « modalité d’application de l’intuitu personae du contrat de franchise » (CJCE, aff. 161/84 arrêt du 28 janv. 1986, Pronuptia de Paris GmbH contre Pronuptia de Paris Irmgard Schillgallis).

En principe, la condition de l’intuitu personae dans les contrats de franchise est bilatérale et vaut non seulement au profit du franchiseur mais également au profit du franchisé.

La Cour de cassation a d’ailleurs censuré un arrêt qui a considéré que le caractère intuitu personae « ne concerne que la personne du franchisé et non celle du franchiseur » (Cass. com., 24 nov. 2009, no 08-21.369, Bull. civ. IV, no 151).

Les parties peuvent cependant écarter expressément cette condition au profit de l’une ou l’autre.

Toutefois on peut légitiment s’interroger sur le devenir d’une clause unilatérale à l’aune de la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du n°2016-131 du 10 février 2016 et en particulier de l’article 1171 qui pourrait servir à terme à réputer non écrite une telle clause dans un contrat d’adhésion !

D’où l’intérêt d’anticiper et de prévoir la réciprocité de la clause d’agrément.

Le franchiseur est soumis à la condition de l’intuitu personae dès lors que la clause est prévue dans le contrat et qu’il n’existe pas de stipulation lui permettant de céder ou de fusionner son réseau sans avoir à recueillir l’accord préalable du franchisé.

Ainsi lorsque le contrat est conclu en considération de la personne du franchiseur, il ne peut être transmis, sans l’accord du franchisé par fusion-absorption ou par l’effet d’un apport partiel d’actif soumis au régime des scissions (Cass. com., 3 juin 2008, no 06-13.761 et no 06-18.007, Bull. civ. IV, nos 110 et 111).

Par ailleurs, lors de la transmission du réseau par cession de contrôle de la société franchiseur et à défaut de changement de personne morale, l’accord du franchisé n’est pas exigé, sauf disposition expresse contraire (Com. 29 janv. 2013, n° 11-23.676, Bull. civ. IV, n° 19).

Pour se protéger au mieux, le franchisé a donc tout intérêt à prévoir que son agrément soit également requis lors d’une cession par le franchiseur de son réseau. En effet, cette cession entraîne des changements de stratégie ou de compétence pouvant s’écarter des valeurs auxquelles le franchisé avait initialement adhéré voir du succès initial du concept !

Si l’agrément du franchisé est expressément prévu dans le contrat, il pourra refuser une telle cession. Le franchiseur sera alors tenu de satisfaire à tous ses engagements contractuels (assistance, approvisionnement…), même dans l’hypothèse où les autres franchisés du réseau ont donné leur agrément. S’il ne respecte pas ses obligations en raison d’une impossibilité du fait de la cession, le franchisé pourra alors demander la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur et obtenir des dommages et intérêts de son franchiseur.

Il est également conseillé au franchisé de prévoir que la clause de non concurrence post contractuelle ne s’appliquera pas dans une telle hypothèse.

Il est enfin conseillé de prévoir dans le contrat les motifs pour lesquels l’agrément pourrait être refusé à défaut de s’exposer dans un contrôle judiciaire de ceux-ci a posteriori.

En effet, le refus d’agrément est considéré comme un droit discrétionnaire. Ainsi, le franchiseur n’a pas à motiver son refus, sauf si cette exigence de motivation est prévue expressément dans le contrat (Cass. com., 2 juill. 2002, no 01-12.685).

Néanmoins, la légitimité des motifs pourra faire l’objet d’un contrôle a posteriori par le juge en cas de litige. Cette légitimité est appréciée au regard des intérêts propres à la partie sollicitée mais également au regard de l’économie générale du contrat. Le refus peut se justifier en raison de considérations étrangères au candidat objet de l’agrément, telle que l’absence de viabilité économique du projet (Com. 5 octobre 2004 n°025093).

De plus, le droit de refuser l’agrément peut avoir pour limite l’abus de droit (Chambre commerciale – 3 novembre 2004 – n° 02-17.919). Mais cette notion est appréciée restrictivement et la jurisprudence refuse de sanctionner le refus abusif par la privation d’effet.

Les parties ont donc intérêt à prévoir dans leur contrat de franchise l’obligation de motiver tout refus d’agrément selon des critères objectifs et prévus contractuellement et stipuler qu’en cas de refus, le franchiseur devra racheter les parts ou le fonds du cédant en tenant compte des modalités usuelles d’appréciation de la valeur de l’activité retenues et/ou en faisant appel à un expert pour la fixation du prix.

En conclusion l’intuitu personae est fondamental dans un contrat de distribution de franchise pour les deux parties, et plus encore pour le franchisé lequel est en état de dépendance du savoir-faire du franchiseur. Cet élément se doit d’être couvert par une clause d’agrément rédigée avec le plus grand soin tant dans sa portée que dans son opposabilité.

Arnaud Boix, Avocat Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com