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De l’assistance aux victimes pendant la phase non contentieuse d’indemnisation d’un préjudice corporel. Par Rémy Le Bonnois, Avocat, et Guillaume Dumon, Expert en assurances.
Parution : jeudi 19 avril 2018
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Malgré la deuxième fusion avocat/avoué/conseil juridique (la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel fusionne les professions d’avoué et d’avocat), les avocats n’ont pas obtenu le monopole du droit. Cela se justifie par l’intérêt et la protection des citoyens qui doivent avoir le choix (lors de la phase pré-contentieuse) de recourir à différents professionnels du droit sans pour autant être nécessairement soumis au monopole d’une seule et même profession.

Néanmoins, même si l’exercice du droit ne relève pas exclusivement de la profession d’avocat, cet exercice ne s’improvise pas. C’est donc dans cette optique de protection des citoyens que les textes et la jurisprudence régissant la matière doivent distinguer les « professionnels du droit » des « autres tiers prestataires » dont on peut craindre qu’ils n’offrent pas les garanties suffisantes de compétence, de probité et de surveillance par la puissance publique ou par un ordre ou même une association professionnelle pour exercer de manière habituelle et rémunérée une activité de conseil et de consultation juridique (à titre principal ou accessoire) et/ou de rédaction d’actes juridiques.

A cet égard, le droit du dommage corporel constitue un terrain privilégié d’illustration de la diversité des acteurs offrant leurs services, à titre habituel et rémunéré, aux victimes d’accident corporel : avocats, experts en assurances, courtiers en assurances, cabinet de recours, mandataires de victimes, association de victimes, etc et même les assurances qui ont légalement le droit d’assister leur sociétaire victime de dommage corporel dans le cadre de la protection juridique alors que leur légitimité est discutable.

Devenu un domaine d’activités prisé, le secteur du dommage corporel attire différents intervenants proposant aux victimes un service d’assistance pour l’indemnisation de leurs préjudices.

Si la légitimité des premiers concernés – les avocats – ne saurait être contestée, il convient également de rappeler que la profession que l’on nomme expert en assurances trouve en la matière une légitimité historique et technique tenant au fait qu’il s’agissait des premiers spécialistes. A l’origine, cette activité, qui intéressait peu les avocats, était souvent exercée par d’anciens inspecteurs de compagnies d’assurances qui, par leur expérience, bénéficiaient d’une compétence ayant contribué à l’essor de cette nouvelle branche du droit dont les avocats se sont par la suite saisis. Ultérieurement, des professionnels de plus en plus diplômés en droit, se sont installés en cette qualité. En ce sens, l’agrément accordé aux experts d’assurés par l’arrêté du 1er décembre 2003 constitue la reconnaissance de la légalité des services et activités offerts aux victimes par cette profession.

Néanmoins, devant la diversité des acteurs, il est indispensable, dans l’intérêt des victimes, d’opérer une clarification entre ceux qui opèrent légalement et ceux qui offrent de manière illégale leurs services.

De ce point de vue, un arrêt rendu le 25 janvier 2017 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. Civ. 1ère, 25 janvier 2017, n° 15-26353 - Publié au bulletin) a relancé le débat parmi les commentateurs.

Dans cette espèce, la Haute juridiction devait se prononcer sur la validité d’un mandat et d’une convention de rémunération conclus entre une victime d’un accident de la circulation et une société de recours chargée de l’assister au cours de la procédure d’offre obligatoire.

Jugeant illégales les conventions soumises à son contrôle, la Cour de cassation a dit que l’activité d’assistance aux victimes constituait une activité réservée aux professionnels du droit ou relevant d’une profession assimilée, au sens des dispositions de la loi du 31 décembre 1971, a contrario des autres tiers prestataires qui ne sauraient les assister légalement.

L’analyse de cette décision permet d’affirmer qu’en dehors de celle proposée par les avocats et les assurances défense recours, l’assistance aux victimes d’accidents corporels dans un cadre non judiciaire ne peut s’effectuer que sous couvert de la profession d’expert en assurances (I). L’analyse du régime juridique de cette profession (II) permettra alors de constater les garanties offertes par ces professionnels dont la pratique du droit n’est qu’accessoire (III) mais dont l’activité reste pourtant stigmatisée (IV).

I. L’arrêt rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, le 25 janvier 2017

Nombre de commentaires extrapolent très largement la portée de l’arrêt rendu le 25 janvier 2017, par la première Chambre civile de la Cour de cassation. Il est inexact et juridiquement dangereux de résumer cette décision comme étant la reconnaissance du principe absolu selon lequel l’assistance des victimes d’accidents de la circulation relève de la seule compétence des avocats dans la mesure où, en phase non contentieuse, la victime doit pouvoir choisir librement le conseil qui lui convient.

La Haute juridiction se contente de rappeler, mais en cela rien de nouveau, qu’« aucune (de ces) dispositions réglementaires n’autorisent un tiers prestataire, autre qu’un professionnel du droit ou relevant d’une profession assimilée, à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire, si elle comporte des prestations de conseil en matière juridique, au sens de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ».

Dans cet arrêt, la Cour de cassation distingue les « tiers prestataires », des « professionnels du droit ou relevant d’une profession assimilée, à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire (...) au sens de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ». Selon la première Chambre civile, les premiers ne peuvent pas assister les victimes, sauf à se voir reprocher un exercice illégal de la consultation juridique (Article 72 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ), tandis que les seconds sont en droit de le faire.

Or, précisément, outre la profession règlementée d’avocat, la profession d’ « expert en assurances » répond, en la matière, à la définition du « professionnel du droit ou relevant d’une profession assimilée, à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire, si elle comporte des prestations de conseil en matière juridique, au sens de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 » (Voir sur cette question, Gazette du Palais du 09 mai 2017, p. 73, commentaire de M. ERHRENFELD).

L’article 54 de la loi 31 décembre 1971 affirme que : « Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : 1° S’il n’est titulaire d’une licence en droit ou s’il ne justifie, à défaut, d’une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d’actes en matière juridique qu’il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66.

Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l’article 59, elle résulte des textes les régissant. Pour chacune des activités non réglementées visées à l’article 60, la compétence juridique appropriée résulte de l’agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d’expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci. (...) ». (Article 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 : Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d’une qualification reconnue par l’Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité.)

La compétence juridique appropriée susvisée a été donnée à la profession d’expert en assurances par un arrêté du 1er décembre 2003 « modifiant l’arrêté du 6 février 2001 conférant l’agrément prévu par l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques », dont le titre est singulièrement évocateur (Arrêté du Garde des Sceaux du 1er décembre 2003, NOR : JUSC0320767A).

Cet arrêté attribue donc à la profession d’expert en assurances, l’agrément prévu aux articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971, faisant de chacun de ces experts en assurances, à condition qu’il respecte les conditions fixées par le texte, un « professionnel du droit ou relevant d’une profession assimilée, à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire, si elle comporte des prestations de conseil en matière juridique, au sens de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ».

L’arrêt du Conseil d’Etat en date du 3 juin 2002, rendu sur recours formé par le Conseil national des Barreaux et l’Ordre des avocats à la cour de Paris à l’encontre du l’arrêté du 6 février 2001, est particulièrement clair sur ce point : « en donnant la possibilité de donner des consultations et de rédiger des actes dans le domaine de l’expertise en assurances, à des personnes justifiant seulement de 5 ans d’expérience professionnelle ou à celles justifiant de 3 ans d’expérience et titulaires de diplômes inférieurs à celui d’un premier cycle en droit, alors que la commission prévue au 1° de l’article 54 de la loi avait retenu, dans ces deux cas, une durée d’expérience professionnelle de respectivement 10 et 7 ans, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne peut être regardé comme ayant respecté l’exigence, posée par la loi, que ces personnes justifient d’une compétence juridique appropriée ».

A la suite de cette décision, un nouvel arrêté du 1er décembre 2003, actuellement en vigueur, a renforcé les conditions relatives à la formation juridique des experts en assurances, pour répondre aux critiques émises par le Conseil d’État sur recours formé par le Conseil National des Barreaux (CNB), lequel avait jugé insuffisantes les conditions de diplômes fixées par le précédent arrêté du 6 février 2001. L’arrêté du 1er décembre 2003 a semblé satisfaire le CNB qui n’a pas estimé nécessaire de saisir de nouveau le Conseil d’État.

Il est important de souligner que les arrêtés du 6 février 2001 et du 1er décembre 2003 ont été, tous deux, édictés sur saisine des membres de l’Association professionnelle nationale des Experts d’assurés spécialisés en matière d’évaluation du Préjudice Corporel (A.E.C), suivant la procédure prévue par le décret n°97-875 du 24 septembre 1997 (Décret n°97-875 du 24 septembre 1997 fixant la composition, les modalités de saisine et les règles de fonctionnement de la commission prévue par l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques).

Il s’ensuit qu’en dehors de celle proposée par les avocats, l’assistance aux victimes d’accidents corporels dans un cadre non judiciaire ne peut s’effectuer, contre rémunération, que sous couvert de la profession d’expert en assurances. Dans l’espèce ayant conduit à l’arrêt du 25 janvier 2017, M. F. ne rapportait pas la preuve des conditions d’exercice d’une telle profession, ce qui n’a pas mis en mesure la Cour de cassation de se fonder sur les dispositions la régissant (Il en est de même concernant l’arrêt du 18 janvier 2000 (pourvoi n°98-88210) dans lequel l’auteur du pourvoi ne fait aucune référence à la profession d’expert en assurances).

II. La profession d’expert en assurances

Cette profession qu’il est d’usage également de nommer expert d’assuré, lorsqu’elle s’exerce en faveur des victimes, est soumise aux dispositions de l’arrêté du 1er décembre 2003 qui prévoit que :
« Art. 1er. - L’agrément prévu par l’article 54-I de la loi du 31 décembre 1971 susvisée est conféré aux experts en assurances, à la condition que ces personnes :

1° Soient titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation dans le domaine des assurances de niveau au moins égal au niveau III, homologuée dans les conditions prévues par l’article 8 de la loi n° 71-577 du 16 juillet 1971 d’orientation sur l’enseignement technique et le décret n° 92-23 du 8 janvier 1992 relatif à l’homologation des titres et diplômes de l’enseignement technologique ou d’un diplôme délivré ou reconnu par l’Etat sanctionnant une formation de niveau équivalent dans le domaine des assurances ;

2° Et si elles ne sont pas titulaires de la licence en droit :

a) Soit possèdent un diplôme de maîtrise en droit ou un diplôme d’études approfondies (DEA) ou un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en droit ou un diplôme délivré par les instituts des assurances des universités ;

b) Soit justifient de dix ans d’expérience professionnelle au moins et avoir suivi, sous la responsabilité de l’organisme professionnel dont ils sont membres, un cycle de formation juridique comportant 250 heures d’enseignement ;

c) Soit justifient de sept ans d’expérience professionnelle et sont titulaires d’un diplôme d’études universitaires générales (DEUG) en droit, d’un diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques (DEUST) du secteur juridique, d’un brevet de technicien supérieur ou d’un diplôme universitaire de technologie (BTS ou DUT) du secteur juridique. »

L’Association professionnelle nationale des Experts d’assurés spécialisés en matière d’évaluation du Préjudice Corporel, dont l’objet est de vérifier le bon exercice de la profession et le respect des règles d’ordres juridiques et déontologiques, a considéré que le terme « licence », employé par le texte, doit être entendu, non comme la licence relevant des réformes universitaires postérieures à 1976, mais bien comme la licence sanctionnant, avant cette date, quatre années d’études en droit (En cohérence avec la loi du 31 décembre 1971).

Ainsi, pour exercer la profession d’expert en assurances il est nécessaire a minima :
- d’être détenteur d’un diplôme de maîtrise, de 3ème cycle universitaire (D.E.A, D.E.S.S., Master 2) en droit ou d’un diplôme sanctionnant 5 années d’étude au sein d’un institut des assurances des universités.
- ou d’être détenteur d’un DEUG de droit, DEUST du secteur juridique, d’un BTS ou d’un DUT du secteur juridique et de justifier de 7 années d’expérience professionnelle
- ou à défaut de disposer de ces diplômes, de justifier de 10 ans d’expérience professionnelle et d’une formation de 250 heures.

L’expert en assurances doit, par ailleurs, répondre aux exigences fixées par l’article 55 de la loi du 31 décembre 1971, à savoir : « être couvert par une assurance souscrite personnellement ou collectivement et garantissant les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle qu’elle peut encourir au titre de ces activités », « justifier d’une garantie financière, qui ne peut résulter que d’un engagement de caution pris par une entreprise d’assurance régie par le code des assurances ou par un établissement de crédit ou une société de financement habilités à cet effet, spécialement affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus à ces occasions » et « respecter le secret professionnel conformément aux dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal et s’interdire d’intervenir si elle a un intérêt direct ou indirect à l’objet de la prestation fournie ».

En dehors du domaine limité à l’évaluation des préjudices corporels et aux problématiques qui en découlent à titre accessoire, les experts en assurances récusent leur compétence. Ils confient alors aux avocats la mission de conseiller utilement les victimes dont ils évaluent le dommage, et d’intenter les actions en justice si la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire n’aboutissait pas à une juste indemnisation du préjudice corporel, préalablement évalué.

III. La pratique du droit à titre accessoire.

L’évaluation des dommages, qu’elle soit dans le domaine corporel ou dans un autre domaine, relève d’une activité principale technique consistant, comme l’a analysé la Cour d’appel d’Amiens, à « chiffrer et à négocier les montants de l’indemnisation pour l’assuré qui l’a mandaté, s’appuyant au besoin sur des tiers qualifiés » (CA Amiens, 18 janvier 2014, n°13-00961). Ce raisonnement relève du bon sens. En effet, il est impensable de considérer qu’une mesure d’évaluation de dommages quel qu’elle soit, est principalement et exclusivement une activité juridique.

L’activité d’expert en assurances spécialisé dans l’évaluation du préjudice corporel se limite à : constituer, d’un point de vue administratif et médical, le dossier d’indemnisation de la victime (Plus précisément : identifier la situation socio-professionnelle et familiale de la victime, ainsi que les prestations sociales servies à la victime, recueillir le dossier médical nécessaire à l’expertise médicale, ainsi que des doléances de la victime, préconiser les bilans complémentaires à réaliser en vue de l’expertise médicale : neuropsychologique, ou ergothérapeute par exemple), organiser et préparer le ou les expertise(s) médicale(s) amiable(s), étudier le ou les rapport(s) d’expertise(s) médicale(s), rechercher la meilleure indemnisation, mettre au point et présenter les réclamations chiffrées auprès de l’organisme débiteur de l’indemnisation, mener les pourparlers amiables avec l’organisme débiteur de l’indemnisation, relancer éventuellement cet organisme, préconiser les solutions envisageables lorsque le processus de discussion amiable est arrivé à son point d’achèvement.

C’est la raison pour laquelle le code de l’activité principale exercée (APE) des experts en assurances spécialisés en matière d’évaluation du préjudice corporel est l’« évaluation des risques et dommages » (Code APE 66.21Z – Selon l’INSEE : « Cette sous-classe comprend la prestation de services administratifs liés à l’assurance, tels que : l’évaluation des demandes d’indemnisation, la liquidation de sinistres, l’analyse des risques, l’évaluation des risques et dommages, le règlement d’avaries et de sinistres, le règlement des demandes d’indemnisation »).

A ce titre, l’INSEE a trouvé judicieux de la différencier des « activités juridiques » dont l’activité juridique s’exerce à titre principal (sont visés par le code « APE 6910Z : activités juridiques », les avocats, les notaires, les huissiers de justice, …).

Il serait, en outre, totalement insidieux de considérer que l’utilisation des règles de droit, qui est inhérente à toute activité de conseil, est parfaitement étrangère à l’exercice de la profession d’expert en assurances. Ainsi que l’a souligné la cour d’appel d’Amiens, « les premiers juges ont également justement rappelé que les connaissances juridiques exigées par le pouvoir réglementaire pour exercer la profession dont le prévenu se réclame (ndlr : expert en assurances) sont établies par les diplômes qu’il a obtenus et qu’il ne saurait lui être interdit d’utiliser ses connaissances et son expérience dans le champ spécifique et dans les limites de son activité principale ».

Il ne peut être que totalement absurde de réclamer aux experts en assurance des compétences juridiques importantes pour considérer in fine que l’exercice de leur profession n’aurait aucun lien avec la pratique du droit, ne serait-ce qu’à titre accessoire. A titre de comparaison, les agents immobiliers dont l’exercice de la profession n’est soumis qu’à l’obtention d’un diplôme sanctionnant une formation de trois ans (Article 11, Décret n°72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d’application de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et fonds de commerce), ont la possibilité de rédiger des actes sous seings privées sans que leur soit opposé une quelconque atteinte « au périmètre du droit ».

Dans un arrêt du 9 décembre 2015, relatif à l’accompagnement des victimes d’accidents corporels par un courtier en assurances, dont il est souvent fait référence (Gazette du Palais, 6 juin 2017, p.50), ont été uniquement jugés comme relevant d’une activité non autorisée, l’assistance des victimes qui n’étaient pas préalablement les clients du courtier en assurance. La Cour de cassation juge que « donne des consultations juridiques qui ne relèvent pas de son activité principale au sens de l’article 59 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée, le courtier en assurances qui fournit, à titre habituel et rémunéré, aux victimes de sinistres qui le mandatent à ces seules fins, un avis personnalisé sur les offres transactionnelles des assureurs, en négocie le montant et, en cas d’échec de la négociation, oriente les bénéficiaires de la consultation vers un avocat, dès lors que ces prestations ne participent ni du suivi de l’exécution d’un contrat d’assurance souscrit par son intermédiaire ni de travaux préparatoires à la conclusion d’un nouveau contrat ». Autrement dit, l’activité accessoire d’assistance aux victimes a été admise pour le courtier qui l’exerce dans le prolongement de la vente de contrats d’assurance. Dans cette espèce, le mandataire des victimes n’avait pas le statut d’expert en assurances.

En définitive, peu de décisions de justice concernent les professionnels exerçant leur activité sous la réglementation d’expert en assurances. A notre connaissance, hormis le jugement et l’arrêt de relaxe rendus à Amiens, les experts en assurances spécialisés en matière d’évaluation du préjudice corporel n’ont fait l’objet d’aucune action devant les juridictions civiles et ont vu les plaintes déposées par les barreaux locaux classées sans suite.

IV. L’évaluation des préjudices corporels : un secteur stigmatisé

Il est curieux que la question de la prestation de nature juridique n’intéresse que le domaine du préjudice corporel. En effet, à notre connaissance, très peu d’affaires concernent le recours formé à l’encontre de professionnels bénéficiant de la compétence juridique appropriée pour lesquels il est possible de s’interroger sur ce qui résulte d’une activité principale ou de l’accessoire. A-t-on reproché à un conseiller en gestion de patrimoine (Arrêté d’agrément à la consultation juridique à titre accessoire du 19 décembre 2000, NOR : JUSC0020793A) d’empiéter sur le prétendu monopole de la profession d’avocat ? Propose-t-il à la vente un produit financier qui aura l’énorme avantage de permettre à son client une mesure de défiscalisation ? Ou est-il consulté pour une problématique de défiscalisation à laquelle il répondra par la souscription d’un produit financier ? Les notaires ont-ils reproché aux généalogistes (Arrêté d’agrément à la consultation juridique à titre accessoire du 1er décembre 2003, NOR : JUSC0320768A) de réaliser des fentes successorales suivant les dispositions du Code civil ? ou d’avoir retrouvé le propriétaire d’un bien après avoir étudié les différents actes de propriétés ?

Pire encore, les experts d’assurés en matière de sinistres IARD (incendie, accidents et risques divers) ou automobile matériel, bien qu’exerçant la même profession que les experts en assurances spécialisés en matière d’évaluation du préjudice corporel, mais dans un secteur différent, semblent également demeurer en dehors de ce contentieux. Pour autant, combien d’entre eux disposent véritablement de compétences juridiques ?

Nous ne manquerons pas de rappeler qu’outre celles précédemment évoquées, une longue liste de professions ayant bénéficié de l’agrément à la consultation juridique à titre accessoire tels que les ingénieurs conseils, des cabinets d’audit, les experts immobiliers, des conseils en gestion de patrimoine, des auditeurs et consultants en assurance, (« Vade mecum de l’exercice du droit – Commission de l’exercice du droit », Les Cahiers du Conseil national des Barreaux, mandature 2009-2011, p. 11.… ) ne dérangent en aucune manière les barreaux de France.

Ainsi que le suggère l’arrêt du 25 janvier 2017, les experts en assurances spécialisés dans l’évaluation des préjudices corporels entendent véritablement se différencier des « tiers prestataires » (Cabinets de recours, associations de victimes agissant contre rémunération, ou prétendus experts d’assuré ne répondant pas aux exigences prévues par l’arrêté du 1er décembre 2003) et faire de leur profession, une profession reconnue par les barreaux. Pour les experts en assurances, comme pour les avocats, il est essentiel que des actions soient menées à l’encontre de ceux qui ne disposent d’aucune compétence particulière en matière d’évaluation des préjudices corporels et qui exercent cette activité contre rémunération. Si l’AEC soutiendra l’ensemble de ses membres, elle prendra également une position ferme contre ceux qui ne relèveraient pas de la règlementation prévue par l’arrêté du 1er décembre 2003.

Conclusion :

Justifiée par la liberté de choix de leur conseil lors de la phase non contentieuse, la légalité de la pratique des experts en assurances répondant au cadre juridique ci-dessus rappelé permet alors aux victimes de se voir offrir un choix alternatif et complémentaire aux services offerts par les avocats spécialisés. Ce choix est d’autant plus justifié au regard des assistances juridiques et des assureurs défense-recours dont les intérêts résident davantage dans les conventions liant les compagnies d’assurances entre elles que dans les intérêts propres des victimes. Face aux défis que constituent les projets de barémisation portés par les assureurs et face aux acteurs n’offrant pas les garanties suffisantes, il est primordial que les professionnels du secteur qui offrent aux victimes des garanties de compétence, de probité et de surveillance par un ordre ou une association professionnelle puissent s’unir pour porter plus loin la défense des victimes.

Ne nous y trompons pas, les avocats ont intérêt à travailler harmonieusement avec ces autres professionnels du droit.

Rémy LE BONNOIS, Avocat à la Cour, Conseil de l’A.E.C. (L’Association professionnelle nationale des Experts d’assurés spécialisés en matière d'évaluation du Préjudice Corporel ) Guillaume DUMONT, Docteur en droit, Expert en assurances, Président de l’A.E.C.
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