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Nullité du licenciement pour dénonciation d’un harcèlement moral. Par Aude Simorre, Avocat.
Parution : jeudi 19 avril 2018
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L’article L. 1152-2 du Code du travail entraîne la nullité du licenciement fondé sur la dénonciation par le salarié d’un harcèlement moral.

Pour rappel, la nullité permet de demander la réintégration du salarié à son poste et également, en cas de demande indemnitaire, d’écarter l’application du plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

L’arrêt récent de la Cour de cassation du 21 mars 2018, n°16-24350, permet de récapituler les conditions et modalités de mise en œuvre de cette nullité.

1. Le salarié doit avoir qualifié les agissements de l’employeur de harcèlement moral

Par une décision du 13 septembre 2017, n°15-23045, la Cour de cassation a jugé que le salarié qui dénonçait des faits s’apparentant à du harcèlement moral, devait les qualifier comme tel pour bénéficier de la protection posée par l’article L. 1152-2 du Code du travail.

Dans le cas jugé le 13 septembre 2017, le salarié licencié avait dénoncé « des comportements abjects, déstabilisants et profondément injustes sans aucune justification » mais n’avait pas utilisé le terme de harcèlement moral.

Il avait ensuite été licencié du fait de ces propos qualifiés par l’employeur de « dénigrement » et de « manque de respect ».

Dans une décision très rigoriste, la Cour avait annulé l’arrêt de cour d’appel qui avait prononcé la nullité du licenciement qu’elle considérait comme fondé sur la dénonciation d’un harcèlement moral.

La Cour de cassation estime en effet que la protection du salarié ne peut s’appliquer si le salarié ne qualifie pas lui-même les faits de harcèlement moral.

Les mots « harcèlement moral » doivent donc être impérativement utilisés pour que le salarié bénéficie de la protection de l’article L. 1152-2 du Code du Travail.

2. La mauvaise foi du salarié est exclusive de la nullité du licenciement

La Cour de cassation précise également que la protection ne s’applique pas en cas de mauvaise foi du salarié.

Il appartient néanmoins à l’employeur de démontrer la réalité de la mauvaise foi du salarié ayant dénoncé un harcèlement moral (le sien ou celui d’un autre salarié).

La Cour juge avec constance que la mauvaise foi du salarié de peut résulter de la seule démonstration par l’employeur du fait que le harcèlement moral dénoncé ne serait pas établi (Cour de Cassation, 10 mars 2009, n°07-44092, PB).

3. Le grief tiré du harcèlement est contaminant

Il suffit pour l’employeur de fonder un seul grief de la lettre de licenciement sur la dénonciation du harcèlement moral pour que l’ensemble du licenciement soit qualifié de nul sans que les juges aient à se prononcer sur la réalité des autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement.

C’est principalement ce point qui est illustré par la décision du 21 mars 2018, n°16-24350 de la Cour de cassation.

Dans le cas d’espèce, le salarié consultant, placé en situation d’inter-contrat refusait de reprendre le travail en raison de faits qu’il avait qualifiés lui-même de harcèlement moral.

L’employeur, dans une longue lettre assez confuse, contestait les faits de harcèlement moral dont il était accusé et licenciait son salarié au motif que ce dernier refusait de se présenter à son poste de travail en se prévalant du harcèlement moral dont il ferait l’objet.

La lettre indiquait notamment :
« Enfin, vos accusations de harcèlement/dénigrement (dont vous semblez vous même, dans certains de vos écrits douter de leur caractère approprié à la situation) sont des accusations graves, de surcroît sans aucun fondement ni lien avec la réalité des faits, qu’il convient de ne pas utiliser de manière inconsidérée.  »

Et se concluait par :
« Votre comportement rend la poursuite de nos relations impossible puisque vous refusez tout contact avec l’entreprise. »

En appel, la cour d’appel avait jugé que le motif du licenciement n’était pas le harcèlement moral dénoncé par le salarié mais son refus de reprendre le travail et indiquait que l’employeur avait uniquement entendu contester, de manière factuelle, dans sa lettre de licenciement les faits de harcèlement moral dont il était accusé.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en considérant qu’il y avait bien un grief de la lettre de licenciement qui portait sur la dénonciation de faits qualifiés de harcèlement moral par le salarié.

La Cour n’explicite pas ce choix pourtant discutable à la lecture de la lettre de licenciement et semble adopter, ce faisant, une interprétation étendue de la notion de « grief tiré de la dénonciation de faits qualifiés de harcèlement  ».

Dans son considérant de cassation, la Cour rappelle cependant l’ensemble des conditions de la nullité du licenciement pour dénonciation d’un harcèlement moral à savoir :
- la lettre de licenciement comportait un grief tiré de la dénonciation d’un harcèlement moral par le salarié ;
- dans sa dénonciation le salarié avait lui même qualifié les faits et utilisant précisément le terme de « harcèlement moral » ;
- la mauvaise foi du salarié dans la dénonciation du harcèlement n’ pas été démontrée ;

Ainsi, alors que la Cour avait adopté une position rigoriste en exigeant que le salarié qualifie lui-même les faits de « harcèlement moral », elle adopte dans cette décision du 20 mars 2018, n°16-24350, une interprétation plus étendue de la notion de grief tiré de la dénonciation de faits qualifiés de harcèlement moral par le salarié.

Aude SIMORRE Avocat au Barreau de Paris
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