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Un salarié actionnaire peut obtenir le paiement de salaires mis en compte courant qui ne lui ont pas été restitués. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 20 avril 2018
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Les litiges de restitution de salaires mis en compte courant par un salarié actionnaire sont rares.
Dans un arrêt du 13 mars 2018, la cour d’appel de Paris a jugé qu’un salarié responsable des ventes et actionnaire d’une société peut obtenir le paiement de salaires mis en compte courant dès lors que ces derniers ne lui ont pas été restitués (CA Paris 13 mars 2018, RG : 16/00782).

1) Rappel des faits

Monsieur X a été engagé par la société MONDIAL ABATS, dont il était l’associé à hauteur de 40%, à compter du 1er août 2002, en qualité de responsable des ventes, au dernier salaire mensuel brut de 4.163,30 Euros.

Il a été licencié pour motif économique par lettre du 5 avril 2011.

Par jugement du tribunal de commerce de CRETEIL en date du 5 mars 2014, la société MONDIAL ABATS a été placée en liquidation judiciaire, Maître Gilles PELLEGRINI étant désigné liquidateur judiciaire.

Par jugement du 24 novembre 2015, le Conseil de prud’hommes de CRETEIL a débouté Monsieur X de ses demandes en paiement des salaires et congés payés de juin 2008 à janvier 2009 et décembre 2010 à mars 2011, a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, a fixé le salaire moyen brut de Monsieur X à la somme de 4.163,00 € et a fixé la créance de Monsieur X dans la procédure collective de la société MONDIAL ABATS aux sommes suivantes :
- 16.652,00 € à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1.200,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur X a interjeté appel du jugement.

2) Arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 mars 2018 (RG : 16/00782)

2.1) Sur les rappels de salaires du compte courant

Aux termes de l’article 1353 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Monsieur X soutient avoir déposé sa créance salariale sur le compte courant de la société pour les mois de septembre 2008 à janvier 2009, soit un montant total de 25.521,53 Euros, et que cette somme ne lui a jamais été restituée par la société ;

L’AGS conteste le caractère de créance salariale et soutient que Monsieur X avait consenti un prêt à la société de telle sorte que la somme de 25.521,53 Euros ne saurait entrer dans le champ de sa garantie ;

Il ressort de l’extrait du grand livre des comptes de la société que Monsieur X a versé sur le compte courant de la société les sommes suivantes sous l’intitulé “PAIES X” :
- Septembre 2008 : 2853,24 Euros bruts ;
- Juillet 2008 : 2.996,97 Euros bruts ;
- Juin 2008 : 2.996,97 Euros bruts ;
- Novembre 2008 : 2.996,97 Euros bruts ;
- Décembre 2008 : 3.915, 79 Euros bruts ;
- Août 2008 : 2.851,00 Euros bruts ;
- Janvier 2009 : 3.913,62 Euros bruts.

Il est constant et non contesté que ces sommes n’ont pas été restituées à Monsieur X et il ne ressort des dispositions du protocole transactionnel, qui rappelle que la somme de 25.521,53 Euros avait le caractère de salaires, ni d’aucune autre pièce, que monsieur X avait la volonté d’éteindre sa dette pour lui substituer un prêt, comme le prétend l’intimée ;

La cour d’appel conclut que Monsieur X est donc fondé à réclamer le paiement de ses salaires de septembre 2008 à janvier 2009 à hauteur de 25.521,53 Euros.

Le jugement est infirmé sur ce point.

2.2) Sur la rupture du contrat de travail

Aux termes de l’article L1233-4 du Code du travail, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent, ou à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure, ne peut être réalisé dans le cadre de l’entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises.

En l’espèce, il ne ressort des termes de la lettre de licenciement aucune référence à la recherche d’un reclassement et à l’impossibilité de reclasser Monsieur X.

Il ne ressort par ailleurs d’aucune pièce du dossier que Monsieur X a reçu des offres de reclassement écrites et précises.

Dès lors que la société a manqué à son obligation de recherche reclassement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

Le jugement est confirmé en ce qu’il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Monsieur X ne donne aucune indication sur sa situation professionnelle postérieure à la rupture ; au vu des dispositions de l’article L 1235-5 du Code du travail sur lesquelles se fonde monsieur X, les sommes allouées par le Conseil sont adaptées à l’effectif de l’entreprise, au montant de sa rémunération, à son âge, son ancienneté, sa capacité à trouver un nouvel emploi ; le jugement est également confirmé de ce chef.

2.3) Sur l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement

S’il est exact que les sommes dues au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité légale de licenciement sont mentionnées sur l’attestation ASSEDIC, celle ci ne fait pas apparaître qu’elles ont été réglées et force est de constater qu’aucun bulletin de paie n’est produit pour justifier de leur paiement ;

La cour d’appel fait droit aux demandes de Monsieur X sur ce point, qui sont contestées sur le principe mais pas sur le montant.

2.4) Sur les rappels de salaire pour les mois de décembre 2010 à mars 2011

Monsieur X soutient ne pas avoir perçu ses salaires pour les mois de décembre 2010 à mars 2011 et réclame à ce titre le paiement de la somme de 19.374,00 Euros ;

Il ressort des bulletins de salaires que ceux-ci ont été payés par chèque aux dates et pour des montants correspondants à ceux figurant sur l’attestation ASSEDIC, à savoir :
- décembre 2010 : 5.623,30 Euros payés par chèque le 31 décembre 2010
- janvier 2011 : 5.622,30 Euros payés le 31 janvier 2011
- février 2011 : 3.966,06 Euros payés le 28 février 2011
- mars 2011 : 4.163,30 Euros payés le 31 mars 2011

En outre, la cour relève que dans le protocole susmentionné, qui n’est pas daté mais qui est néanmoins postérieur à la saisine du Conseil de Prud’hommes, monsieur X ne fait nullement état d’un impayé de salaires autres que ceux inscrits en compte courant, se bornant à revendiquer une somme de 10.000 Euros « au titre du solde de tout compte suite à son licenciement » ;

La remise de bulletin de paie constituant une présomption de paiement de salaires, corroborée par la remise de l’attestation ASSEDIC et l’absence de réclamation dans le protocole, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur X de ce chef de demande.

En conclusion, la cour d’appel :
- Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société MONDIAL ABATS la somme de 25.521,53 Euros à titre de rappel de salaires ; ajoutant au jugement
- Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société MONDIAL ABATS les sommes suivantes :
- 11.498 Euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1.149,80 Euros pour les congés payés afférents ;
- 7.835,77 Euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
- Dit que l’AGS devra procéder à l’avance des sommes ci-dessus dans les limites et plafonds prévus aux articles L 3253-6, L 3253-8, L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum