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Les nouvelles obligations « extra financières » réservées aux grandes sociétés. Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : lundi 23 avril 2018
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Depuis plusieurs années déjà, est apparu le sigle « RSE ». Les grands groupes ont progressivement et volontairement développé au fur et à mesure leurs propres politiques RSE, conscients de l’importance capitale que cela pouvait revêtir en termes d’image.

Une politique RSE, qu’est-ce que c’est ? Celle-ci peut être définie comme la politique « Responsabilité Sociale des Entreprises, regroupant le plus souvent la mise en place de bonnes pratiques ayant pour objectif le respect des principes basés sur le développement durable (social, environnemental et économique).

A l’échelle européenne, il existe une définition officielle. Ainsi, la Commission Européenne, dans sa 3ème Communication sur le thème en date du 25 octobre 2011, a défini le sujet comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ».

Dix ans plus tôt et face à l’envergure que le sujet commençait à prendre sur le territoire européen, l’Union européenne publiait un Livre Vert de la Responsabilité Sociale des Entreprises, dans lequel elle venait prévoir un cadre organisant ce nouveau domaine, mais livrait également une définition du thème. Ainsi, selon l’UE, le domaine de la RSE se définit comme : « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir « davantage » dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes ».

Historiquement, c’est aux États-Unis, dans les années 1950, que la volonté de rendre responsable les entreprises de l’impact qu’elles peuvent avoir sur la société est née. Très rapidement, il s’est posé la question de savoir si cette responsabilité était d’ordre sociale ou bien sociétale ? Avec le recul, il est possible de dire qu’il s’agit des deux à la fois, la première engendrant la deuxième. La volonté des penseurs américains sur le sujet était bel et bien d’extraire les grandes sociétés de leurs objectifs de performances financières afin de leur faire prendre conscience de l’intérêt qu’elles pourraient tirer de mieux prendre en considération leurs salariés, les cycles économiques dans lesquels elles s’inscrivent et jouent un rôle moteur, et enfin l’environnement qui, les décennies passant, a pris une place de plus en plus croissante.

Le phénomène s’est ensuite répandu partout dans le monde, et dès les années 50 et encore plus dès le début du 21ème siècle, les consommateurs ont commencé à être très vigilants sur leur mode de consommation, mais aussi très critiques à l’égard des sociétés allant à contre-courant de toute politique RSE. Les scandales des années 90, impliquant des marques de sport internationalement connues, usant de procédés de fabrication dans certains pays du tiers monde, par des enfants dans des conditions allant à l’encontre du respect des droits de l’homme, en sont un exemple patent.

A partir de cette période, et notamment en France, les politiques vont commencer à prendre des mesure afin de rendre obligatoire la publication par les entreprises, de leurs engagements en matière de RSE. Les lois NRE ont initiées le mouvement, et les lois Grenelle étaient les dernières en date à venir renforcer les mesures.

Récemment, et depuis la publication le 19 juillet 2017, de l’ordonnance relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes, dont les dispositions entrées en vigueur le 1er août 2017, ayant porté transposition de la directive RSE n°2014/95/UE en date du 22 octobre 2014, le périmètre d’application du principe a été modifié, y soumettant dorénavant que les grandes entreprises. Dès lors, se trouvent exclues du dispositif de publication d’une déclaration annuelle, les petites et moyennes entreprises.

Ce dernier point peut poser problème d’un point de vue concurrentiel, même si les différences de taille entre les sociétés et de secteurs de marchés ou elles interviennent, pourraient potentiellement battre en brèche cette critique. Néanmoins le sujet est posé, et complété sur le même terrain concurrentiel par un autre problème. En effet, afin de déterminer le cadre et les modalités de l’obligation RSE, le décret d’application de l’ordonnance, est venu préciser les entreprises assujetties et cela en prenant en compte différents critères comme par exemple leur chiffre d’affaires ou encore leur total bilan. Toutefois, toutes les formes juridiques d’entreprises n’apparaissent pas. Ainsi, les SA sont soumises à l’obligation, mais pas les SAS.

Les entreprises qui sont donc soumises à ces nouvelles dispositions, se voient obligées (alors qu’avant le sujet RSE était « facultatif » bien que fortement encouragé), de publier une « déclaration de performance extra-financière », venant remplacer l’ancien rapport RSE. Cette publication doit être effectuée sur le site internet de l’entreprise pour une durée minimale de cinq ans.

Ceci est contraignant et engendre de lourdes obligations car cette déclaration doit servir d’outil de transparence sur la prise en compte des impacts en matière sociale et environnementale des activités de chaque entreprise. Cela va même plus loin car cela doit permettre de mesurer le respect des droits humains et la lutte contre la corruption, en incluant au passage des informations sur les « conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit, à ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire et de la lutte contre le gaspillage alimentaire, aux accords collectifs conclus dans l’entreprise et à leurs impacts sur la performance économique de l’entreprise ainsi que sur les conditions de travail des salariés et aux actions visant à lutter contre les discriminations et promouvoir les diversités ».

Comment ces entreprises vont-elles faire en pratique pour identifier ces éléments avec précision ? Devront elles s’appuyer sur des référentiels comme le référentiel ISO par exemple, ou bien pourront elles déterminées ces éléments en fonction d’indicateurs arbitraires ? Visiblement la question ne trouve pas sa solution, et semble bien moins importante que l’enjeu poursuivi, à savoir la nécessaire transparence des affaires, et ce à tous les niveaux.

Il faut espérer que les entreprises assujetties sauront voir en cette obligation, non pas une unique obligation réglementaire, mais un outil de pilotage stratégique.

Alexandre Peron Legal Counsel
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