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L’extension du champ d’application de « l’opération de crédit »dans le cadre de l’achat d’un téléphone mobile. Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : mardi 24 avril 2018
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L’opération de crédit au sens strict du terme se définit comme étant « une opération ou un contrat par lequel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture ».

Cette définition issue de l’article L.311-1, 6° du Code de la consommation exclue donc précisément les contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens, aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de fourniture du service ou du bien.

Les opérateurs de téléphonie mobile sont de plus en plus nombreux à proposer la fourniture d’un service devenu classique, à savoir la mise à disposition d’une ligne téléphonique assortie d’un forfait payant, auquel peut se greffer le paiement échelonné dans le temps d’un mobile. En effet, le prix des Smartphones étant si élevés, les consommateurs souhaitant en posséder peuvent avoir recours à cette technique. N’est-ce pas là une fourniture d’une prestation continue d’un service et d’un bien au terme de laquelle le consommateur paye le prix du par échelonnements (mensuels le plus souvent) ? La réponse laisse peu de place au doute à priori, et cela devrait donc être exclu du champs des opérations de crédit.

Toutefois, l’arrêt récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 07 mars 2018, est venu remettre en perspective le sujet.

En l’espèce, un opérateur téléphonique commercialisait des forfaits associés à l’acquisition d’un téléphone mobile offrant aux consommateurs la possibilité d’opter, lors de la souscription de l’abonnement, soit pour l’acquisition du mobile à un prix dit « de référence » assorti d’un forfait « à prix Eco », soit pour l’acquisition à un prix « attractif », associée à un engagement d’abonnement « un peu plus cher chaque mois » jusqu’à son terme de douze ou vingt-quatre mois, le forfait revenant ensuite au prix « Eco ».

Un opérateur concurrent soutenait que cette deuxième formule caractérisait une opération de crédit à part entière et que les dispositions du Code de la consommation régissant les crédits consentis aux consommateurs devaient être respectées.

Les juges du fond ayant écarté cette qualification en première instance, ont vu leur arrêt censuré par la Cour de cassation, qui a considéré au contraire qu’il s’agissait bien d’une opération de crédit.
Pour la Haute cour, dans le cas d’espèce, le report du prix d’achat du mobile sur le prix de l’abonnement en cas d’acquisition d’un mobile à un prix symbolique était établi par le fait que la majoration mensuelle du forfait imposée au consommateur était concomitante à la réduction substantielle du prix du mobile, de sorte que l’opérateur s’assurait ainsi, en principe, du remboursement des sommes qu’il avait avancées au moment de la vente du mobile en obtenant de ses clients la souscription d’un forfait majoré pour une durée d’un ou deux ans.

Dès lors, pour les juges du droit, l’obligation de remboursement constituant une obligation inhérente à toute opération de crédit, était remplie, ainsi donc le procédé mis en place par l’opérateur relevait d’une opération de crédit.

La solution est inédite, et révèle une volonté de protection encore plus poussée du consommateur en matière de crédit à la consommation. En effet, la Cour de cassation déduit de l’opération mise en place, l’existence d’une obligation de remboursement caractérisant une opération de crédit. Cette solution est lourde de sens pour l’opérateur en question car il se voit assujetti à la réglementation du crédit à la consommation prévue par les articles L.311-1 et suivants du Code de la consommation, qui imposent au prêteur de multiples obligations comme la fourniture d’une information pré-contractuelle (sur le taux d’intérêt applicable, les frais cachés, etc.), la fourniture d’une fiche d’information standardisée, le contrôle de la solvabilité des clients. L’opérateur se retrouve également confronté aux possibles rétractations des clients pendant le délai de 14 jours.

Doit-on considérer que la Cour de cassation s’est livrée à un excès de zèle ? Il n’en est rien, il s’agit plutôt d’une opération de « codification de la jurisprudence », comme cela est de plus en plus le cas.

A propos de notre sujet, par cet arrêt, la chambre commerciale vient compléter en douceur un premier arrêt rendu le 15 décembre 1993 par la première chambre civile [1], qui était venue préciser que le paiement du prix par versements échelonnés ne suffisait pas pour caractériser l’opération de crédit ; il fallait surtout que le règlement intervienne après l’exécution de la prestation ou la livraison du bien.

Alors quid des opérateurs de téléphonie ? Vont-ils continuer à prendre le risque ? En réalité, bon nombre d’entre eux proposent aujourd’hui de payer le prix du mobile par mensualités, sans que cela n’ait d’impact à la hausse ou à la baisse sur le prix du forfait souscrit. Néanmoins, pendant combien de temps encore ce procédé continuera-t-il à s’appliquer avant que la jurisprudence ne vienne le requalifier de « crédit gratuit », et donc de crédit à la consommation ?

Alexandre Peron Legal Counsel

[1n° 92-10591.