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Expropriation pour cause d’utilité publique et Fonds Barnier, quelle articulation ? Par Christophe Degache.
Parution : mercredi 25 avril 2018
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Le Fonds Barnier est un mécanisme à connaître car l’évolution climatique et l’augmentation des catastrophes naturelles qu’elle engendre vont impliquer une utilisation plus fréquente du mécanisme.

L’article L 1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose : « L’expropriation, en tout ou partie, d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d’une enquête et qu’il ait été procédé, contradictoirement, à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu’à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres personnes intéressées. Elle donne lieu à une juste et préalable indemnité ».

Cet article pose le cadre général et habituel de l’utilisation de la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Il existe un autre de recourir à cette procédure c’est celui qui s’impose en cas de biens exposés à un risque naturel majeur, comme celui médiatiquement connu de la tempête Xynthia.

La gestion de cette procédure spécifique s’inscrit dans la mise en œuvre du Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs dit « Fonds Barnier », crée par la Loi n°95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, ce fonds était destiné à financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur.

Le texte central de la procédure d’expropriation dans le cadre du Fonds Barnier est l’article L 561-1 du code de l’environnement issu de l’ordonnance n°2014-1345 du 6 novembre 2014.

I. Le champ d’application du fond Barnier.

Le choix de mettre en application ou non cette procédure dépend uniquement de l’administration. Il n’existe aucun droit à être exproprié même lorsque toutes les conditions de l’article L 561-1 du code de l’environnement sont réunies [1].

Cependant un refus fautif de l’Administration d’engager la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique peut engager la responsabilité de cette dernière [2].

A. Les cas d’application :

La procédure d’expropriation ne peut être utilisée que lorsque trois conditions sont cumulativement réunies.

1. Des risques naturels spécifiques :

- des mouvements de terrain ;
- d’affaissements de terrain dus à une cavité souterraine d’origine naturelle ou humaine ne résultant pas de l’exploitation passée ou en cours d’une mine, ou dus à une marnière ;
- d’avalanches ;
- de crues torrentielles.

Les autres événements climatiques tel ouragans ont exclus du dispositif car ils ne peuvent pas être définis à l’avance à un endroit donné.

2. Une menace grave pour les vies humaines :

La gravité du danger est appréciée au regard de certains critères dont l’article R 561-2 du code de l’environnement donne une énumération non exhaustive.

3. L’absence de solution alternative moins coûteuse :

La procédure d’expropriation pour risque naturel n’est applicable que dans les situations où il n’existe pas d’autres mesures de sauvegarde et de protection fiables et moins coûteuses.

L’administration doit donc se livrer à une analyse selon la théorie du bilan afin de déterminer quel est le choix le moins couteux pour la collectivité.

Cette estimation n’est toutefois pas nécessaire lorsqu’il apparait qu’aucun moyen de sauvegarde et de protection n’est réalisable compte tenu par exemple des difficultés voire des dangers présentées par la mise en place desdits moyens [3].

B. Les biens pris en charge.

L’article L 561-1 du code l’environnement vise expressément les « biens exposés à ce risque » de catastrophe naturelle.

Cet article ne donne donc pas une définition précise de la nature des biens susceptibles de faire l’objet d’une d’expropriation.

Il a été jugé que le fait pour un préfet de refuser d’appliquer cette procédure pour un terrain de camping au motif que seuls les terrains supportant des constructions à usage d’habitation entre dans le champ d’application de l’article L 561-1 du code de l’environnement fait naître un doute sérieux de nature à justifier la suspension de la décision de refus [4].

Il ressort donc de la rédaction de ce texte que le législateur contrairement à certaines positions de l’administration n’a jamais voulu limiter l’application du dispositif Barnier aux seuls immeubles à usage d’habitation.

De même la notion de bien est plus large que celle d’immeuble. Un fonds de commerce est un bien au sens du droit positif. De manière surabondante, on ajoutera que l’exploitation d’un fonds de commerce implique la présence sur le lieu dangereux d’une population en l’occurrence les clients et employés du commerce telle que visée par l’article L 561-1 du code de l’environnement comme condition d’application du Fonds Barnier.

A ce sujet le code de l’environnement renvoyant pour la mise en œuvre de l’indemnisation du Fonds Barnier au Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, il faut rappeler que le juge de l’expropriation indemnise la perte de fonds de commerce lorsqu’il est situé dans un immeuble exproprié.

Le seul préjudice non indemnisable par le juge de l’expropriation est le préjudice moral.

C. Le caractère subsidiaire du Fonds Barnier.

L’article L 561-1 du code de l’environnement dispose notamment :

« Les indemnités perçues en application du quatrième alinéa de l’article L 125-2 du code des assurances viennent en déduction des indemnités d’expropriation, lorsque les travaux de réparation liés au sinistre n’ont pas été réalisés et la valeur du bien a été estimée sans tenir compte des dommages subis. »

En conséquence c’est d’abord le contrat d’assurance couvrant le risque catastrophe naturelle souscrit par le propriétaire qui doit indemniser la perte ou l’atteinte au bien assuré.

Il est possible en fonction de la détermination de la garantie accordée par l’assureur en cas de catastrophe naturelle que le montant de ladite garantie couvre l’intégralité de la perte de valeur du bien.

Ainsi le Fonds Barnier dans certains cas n’aura pas à être appliqué puisque le propriétaire sinistré sera totalement indemnisé par son assureur.

Le Fonds Barnier n’intervient donc qu’en deuxième rang en complément du contrat d’assurance.

II. La mise en oeuvre pratique d la procédure d’expropriation.

Les dispositions spécifiques ont été mises en place par le décret n°95-115 du 17 octobre 1995 relatif à l’expropriation des biens exposés à certains risques naturels majeurs menaçant gravement les vies humaines.

A. Une procédure calquée sur la procédure classique de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Nous sommes dans le cadre d’une procédure quasi similaire à la procédure habituellement prévue par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, ce qui implique avant toute chose la prise d’une déclaration d’utilité publique.

Lorsque l’Etat est à l’origine de la procédure, l’autorité expropriante est à la fois initiatrice et bénéficiaire de la procédure d’expropriation.

Lorsque l’autorité expropriante est une commune ou une autre collectivité territoriale, elle doit transmettre au préfet sa demande accompagnée des pièces nécessaires. Le préfet contrôle l’opportunité d’enclencher la procédure.

S’il estime la demande recevable, il l’a transmet au ministre chargé de la prévention des risques majeurs accompagnée des pièces du dossier et de son avis.

Si le ministère est favorable à la poursuite de la procédure, c’est le schéma classique de l’expropriation qui s’applique avec enquête publique, consultations et enquête parcellaire.

Ces actes étant le préalable à la prise d’une déclaration pour cause d’utilité publique (DUP).

A la suite de la prise de la DUP, l’autorité expropriante fait une proposition d’indemnisation à l’exproprié. A défaut d’accord amiable, le juge de l’expropriation est saisi.

B. Une particularité propre au Fonds Barnier.

Il existe en la matière une différence par rapport à la procédure classique d’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’article L 561-1 al 4 du code de l’environnement prévoit qu’il n’est pas tenu compte de l’existence du risque pour la détermination du montant des indemnités qui doit permettre le remplacement des biens exposés.

L’évaluation des biens en vue de l’indemnisation est donc faite sur la base de la valeur des biens équivalents dans une zone non exposées. La jurisprudence applique ce texte qui repose sur l’idée que l’exproprié doit pouvoir acheter un autre bien sans subir une quelconque dépréciation du fait du risque encouru [5].

En conclusion, on peut affirmer que le système dit Fonds Barnier mis en place par la Loi du 2 février 1995 fonctionne puisque s’il on reporte au référé n°S2016-3768 de la Cour des Comptes en date du décembre 2016 les dépenses du fonds étaient de 10 M€ en 2004, de 100 M€ en 2007 et de 158 M€ en 2014.

Il convient de préciser que selon le même référé en 2010 et 2011 les dépenses ont atteint respectivement 253,8M€ et 222,8M€ en raison de la tempête Xynthia.

Il est donc important pour les praticiens du droit de connaître le dispositif du Fonds Barnier.

Christophe Degache Avocat au Barreau de la Haute-Loire DEA Droit public [->christophe.degache@bbox.fr]

[1T.A Pau 13 mars 2006 M Paul X, n°03-02153.

[2TA Pau, 7 juill 2008 SARL Ascaïna n°08-01422.

[3CE 7 avr 1999, n°189263.

[4CE référé 16 fev 2004 Min de l’écologie et du développement durable n°260811.

[5TGI Chambéry 14 déc 2001 n°91/01.