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Le délit de concurrence déloyale : exemple d’un litige impliquant des éléments d’extranéité. Par Ousseynou Mbengue.
Parution : jeudi 26 avril 2018
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La question de la protection des marques pose d’énormes difficultés aux entreprises. Il n’est pas rare de rencontrer des litiges impliquant des éléments d’extranéité. Comment faire pour obtenir la condamnation d’une entreprise concurrente établie dans un pays étranger ?
A travers cet article , je me propose d’y apporter une réponse en analysant les dispositions de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle et en me référant aux divers droits nationaux du Sénégal et du Maroc.

En parcourant les rues de votre ville, vous êtes sûrement tombé sur une copie contrefaite d’une marque ou d’un produit que vous utilisez. Il vous est peut-être arrivé de vous faire arnaquer par un vendeur ambulant de mauvaise foi. Ce genre de situations se rencontre souvent. Je me suis placé du point de vue des entreprisses dont les marques sont victimes de ce genre de pratiques. De quels recours disposent-elles ? Que prévoient les lois lorsque le litige implique un élément d’extranéité ?
Pour répondre à cette question, j’ai pris l’exemple de deux sociétés : l’une établie au Sénégal, l’autre au Maroc. La société marocaine utilise de manière illégale et abusive une marque enregistrée au Sénégal. Quels sont les lois, conventions ou traités qui devraient être appliqués ? De quels moyens de défense dispose la société établie au Sénégal ? Au plan civil, de quels recours dispose la société basée au Sénégal ? Quelles sont les mesures de sanctions ? Quelles démarches doivent être menées afin d’aboutir à la reconnaissance de la décision de justice par le juge étranger ?

Quels sont les lois, conventions ou traités qui devraient être appliqués ?

- L’application de la convention de Paris sur la propriété industrielle

La convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle prévoit des dispositions qui organisent le processus d’enregistrement et de protection des marques. Elle a pour objet les brevets d’invention, les modèles d’utilité, les dessins ou modèles industriels, les marques de fabrique ou de commerce, les marques de service, le nom commercial et les indications de provenance ou appellations d’origine, ainsi que la répression de la concurrence déloyale. Elle met en place une union entre les Etats signataires. L’article premier de la convention précitée dispose : « les pays auxquels s’applique la présente Convention sont constitués à l’état d’Union pour la protection de la propriété industrielle. »

Cette convention a été ratifiée par le Sénégal et le Maroc :
- le Maroc y a adhéré le 27 février 1917 et elle est entrée en vigueur le 30 juillet 1917.
- Le Sénégal y a adhéré le 16 octobre 1963 et elle est entrée en vigueur le 21 décembre 1963.

Les dispositions de la Convention de Paris peuvent s’appliquer aux litiges ayant un lien avec le Sénégal et le Maroc.
De quels moyens de défense dispose la société conformément à la Convention de Paris ?

- La possibilité d’obtenir la radiation de la marque

Il faut d’abord préciser que l’enregistrement d’une marque au Sénégal confère les droits suivants conformément à l’Accord de Bangui du 2 mars 1997 créant l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle qui régit le droit de la propriété industrielle :
- le droit exclusif d’utiliser la marque ou un signe lui ressemblant ;
- le droit d’empêcher à un tiers agissant sans son consentement de faire usage au cours d’une opération commerciale de signes identiques ou similaires pour des produits ou services qui sont similaires à ceux pour lesquels la marque de produit ou de service est enregistrée dans le cas où un tel usage entraînerait un risque de confusion ;
- Une protection de dix ans à compter de la date de dépôt de l’enregistrement.

La Convention de Paris impose des obligations aux États signataires. Ces derniers doivent assurer la protection des marques. L’article 6 bis alinéa premier dispose : « les pays de l’Union s’engagent, soit d’office si la législation du pays le permet, soit à la requête de l’intéressé, à refuser ou à invalider l’enregistrement et à interdire l’usage d’une marque de fabrique ou de commerce qui constitue la reproduction, l’imitation ou la traduction, susceptibles de créer une confusion, d’une marque que l’autorité compétente du pays de l’enregistrement ou de l’usage estimera y être notoirement connue comme étant déjà la marque d’une personne admise à bénéficier de la présente Convention et utilisée pour des produits identiques ou similaires. Il en sera de même lorsque la partie essentielle de la marque constitue la reproduction d’une telle marque notoirement connue ou une imitation susceptible de créer une confusion avec celle–ci. »
Lorsqu’une marque enregistrée fait l’objet d’une imitation ou d’une reproduction illégale dans un pays de l’Union, la convention prévoit la possibilité d’obtenir la radiation de la marque dans le pays concerné. L’article 6 bis alinéa 2 précise qu’un délai minimum de cinq années à compter de la date de l’enregistrement devra être accordé pour réclamer la radiation d’une telle marque. Les pays de l’Union ont la faculté de prévoir un délai dans lequel l’interdiction d’usage devra être réclamée.
L’alinéa 3 de l’article précité prévoit qu’il ne sera pas fixé de délai pour réclamer la radiation ou l’interdiction d’usage des marques enregistrées ou utilisées de mauvaise foi.
Tout compte fait, il est possible d’obtenir la radiation de la marque imitée ou reproduite de manière illégale sous réserve du respect du délai imparti.

Au plan civil, de quels recours dispose la société basée au Sénégal ?

- La violation des règles de concurrence

Il est possible d’envisager la violation des règles de concurrence à travers les faits constitutifs d’une atteinte à la concurrence loyale : il s’agit d’une part de la confusion de la marque et d’autre part de la contrefaçon de la marque.

La confusion consiste à utiliser la réputation d’un concurrent en créant une sorte d’amalgame afin de récupérer sa clientèle notamment en utilisant son nom commercial ou son enseigne. Cette forme d’imitation frauduleuse est sanctionnée : elle est assimilée au délit de confusion.
L’article 10 bis de la Convention de Paris définit la concurrence déloyale. Ce texte précise que : « constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Notamment devront être interdits : tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent. »
Ladite convention renvoie aux droits nationaux des Etats signataires. Ces derniers ont l’obligation d’« assurer aux ressortissants des autres pays de l’Union des recours légaux appropriés pour réprimer efficacement tous les actes visés aux articles 9, 10 et 10bis » conformément aux dispositions de l’article 10 ter de la convention précitée .
Au Sénégal, l’Accord de Bangui du 2 mars 1997 créant l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) régit le droit de la propriété industrielle. Cet accord est considéré comme le droit national même si c’est un texte du droit communautaire. Bien que communs les textes et annexes sont considérés comme des droit nationaux indépendants et soumis à la législation nationale de chaque État membre. Ainsi les législations communes portées par les annexes s’appliquent dans ces États telles quelles sans qu’elles aient besoin d’une transposition en droit interne.
Le principe de la responsabilité civile et délictuelle est appliqué. Il faut une faute qui cause un préjudice matériel ou moral. La faute constitue en la commission d’un acte de concurrence déloyale. Cet acte peut prendre différentes formes : confusion, contrefaçon, atteinte à la réputation d’une entreprise, parasitisme économique, dénigrement.

Dans cet accord précité, les articles 1 à 7 de l’Annexe 8 donnent la définition de la concurrence déloyale. L’article 1 dispose, que constitue une concurrence déloyale, sous réserve des articles 2 à 7, tout acte ou pratique qui, dans l’exercice d’activités industrielles ou commerciales, est contraire aux usages honnêtes.
L’article 2 de l’Annexe VIII portant sur la protection contre la concurrence déloyale dispose que : « constitue un acte de concurrence déloyale, tout acte ou pratique qui, dans l’exercice d’activités industrielles ou commerciales, porte atteinte ou est de nature à porter atteinte à l’image ou à la réputation de l’entreprise d’autrui, que cet acte ou cette pratique crée ou non une confusion.
2) L’atteinte à l’image ou à la réputation d’autrui peut résulter, notamment, de l’affaiblissement de l’image ou de la réputation attachée à :
a) une marque, enregistrée ou non ;
b) un nom commercial ;
c)un signe distinctif d’entreprise autre qu’une marque ou un nom commercial. »

Il faut ajouter à la suite de cet article que l’acte nécessite une situation de concurrence entre professionnels ou entreprises de même spécialité.
Tout compte fait, il est possible d’engager la responsabilité civile de la société établie au Maroc sur le fondement de l’article 2 de l’Annexe VIII de l’Accord de Bangui.

La contrefaçon de la marque
La responsabilité civile de la société pourrait aussi être engagée pour le délit de contrefaçon de marque.
La contrefaçon de marque peut être définie comme l’usage illicite d’une marque enregistrée. Le droit sénégalais prévoit la possibilité pour le propriétaire d’engager une action en contrefaçon. Elle peut ainsi être engagée par le propriétaire ou le titulaire d’un droit d’usage exclusif. L’article 46 de l’Accord de Bangui dispose que : « l’action civile en contrefaçon d’une marque est engagée par le titulaire de la marque. Toutefois, le bénéficiaire d’un droit exclusif d’usage peut agir en contrefaçon, sauf stipulation contraire du contrat, si, après mise en demeure, le titulaire n’exerce pas ce droit. »

Toutefois, il faut préciser que l’action en contrefaçon d’une marque postérieurement enregistrée est irrecevable lorsque son usage a été toléré pendant trois ans au moins et que son dépôt n’ait été de mauvaise foi. L’irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l’usage a été toléré.
Au-delà de la simple action, la loi prévoit la possibilité de procéder à la saisie-contrefaçon. L’article 48 de l’accord de Bangui dispose que : « le propriétaire d’une marque ou titulaire d’un droit exclusif d’usage peut faire procéder, par tout huissier ou officier public ou ministériel, y compris les agents de douane avec, s’il y a lieu, l’assistance d’un expert, à la description détaillée, avec ou sans saisie, des produits ou services qu’il prétend fabriqués, livrés ou fournis à son préjudice en violations des dispositions de la présente loi en vertu d’une ordonnance du président du tribunal civil dans le ressort duquel les opérations doivent être effectuées, y compris à la frontière. »
Ce même article précise dans son alinéa 2, que l’ordonnance est rendue sur simple requête et sur justification de l’enregistrement de la marque, et production de la preuve de non radiation et de non déchéance.
Par ailleurs, le juge peut demander au requérant un cautionnement. Il est laissé au détenteur des objets saisis ou décrits, une copie de cela, ainsi que l’ordonnance constatant le dépôt du cautionnement.
Le délai pour engager la procédure quant au fond est de 10 jours ouvrables à partir de la saisie ou de la description, sous peine de nullité de la saisie ou de la description.
Il en va de même pour toute partie à une licence de marque, pour le préjudice qui lui est propre.

L’article 43 de ce même titre poursuit en ce qui concerne le sort des marques et produits de contrefaçon, la confiscation des produits dont la marque serait reconnue contraire aux dispositions de l’article 37 peut, même en cas d’acquittement, être prononcée par le tribunal, ainsi que celle des instruments et ustensiles ayant spécialement servi à commettre le délit.
Le tribunal peut ordonner que les produits confisqués soient remis au propriétaire de la marque contrefaite. Le tribunal peut décider de la destruction des produits ou objets reconnus contrefaisants.

- Des sanctions

L’article 37 de l’Annexe VIII de l’Accord de Bangui précise que : « 
1) Sont punis d’une amende de 1 000 000 à 6 000 000 de francs CFA et d’un
emprisonnement de trois mois à deux ans ceux qui frauduleusement apposent sur leurs produits ou les objets de leur commerce une marque appartenant à autrui ;
b) ceux qui sciemment vendent ou mettent en vente un ou plusieurs produits revêtus d’une marque contrefaisante ou frauduleusement apposée ou ceux qui sciemment vendent, ou mettent en vente, fournissent ou offrent de fournir des produits ou des services sous une telle marque ;
c)ceux qui font une imitation frauduleuse d’une marque de nature à tromper l’acheteur ou font usage d’une marque frauduleusement imitée ;
d)ceux qui sciemment vendent ou mettent en vente un ou plusieurs produits revêtus d’une marque frauduleusement imitée ou portant des indications propres à tromper l’acheteur sur la nature du produit ou ceux qui fournissent ou offrent de fournir des produits ou des services sous une telle marque. »

L’article 37 précité punit des mêmes peines visées à l’alinéa premier :
a) ceux qui sciemment livrent un produit ou fournissent un service autre que celui qui leur a été demandé sous une marque déposée ;
b) ceux qui font usage d’une marque portant des indications propres à tromper l’acheteur sur la nature du produit.

Quelles démarches doivent être menées afin d’aboutir à la reconnaissance de la décision de justice par le juge étranger ?

- La procédure d’exequatur
Lorsque des jugements sont rendus à l’étranger, il faut qu’ils soient reconnus dans le pays où se trouve le défendeur. Les jugements étrangers ne peuvent être exécutés sur le territoire d’un État étranger que s’ils sont revêtus de la formule exécutoire. Il faut que le jugement rendu soit exécutoire dans l’État du Maroc.
La reconnaissance des jugements rendus à l’étranger en droit pénal marocain est régie par l’art 716 du Code de procédure pénale marocain. Cet article énonce que : « lorsqu’à l’occasion d’une poursuite pénale pour crime ou délit de droit commun, une juridiction répressive du Royaume constate à l’examen du casier judiciaire de l’auteur de l’infraction que ce dernier a déjà fait l’objet d’une condamnation prononcée par une juridiction étrangère pour crime ou délit de droit commun également puni par la loi marocaine, elle peut par une disposition spécialement motivée de sa décision constatant la régularité de la sentence pénale étrangère, retenir cette dernière comme l’un des termes de la récidive ».
Toutefois lorsque la juridiction pénale se prononce sur l’action civile accessoire pour dédommager la victime, le jugement est exécuté au Maroc selon les dispositions de l’art 717 du Code de Procédure Pénale qui renvoi au Code de Procédure Civile en stipulant que les condamnations civiles prononcées par une juridiction pénale étrangère ne peuvent recevoir exécution au Maroc, à moins qu’en vertu d’une décision d’une juridiction civile marocaine, elles n’aient reçu l’exequatur en application des dispositions du Code de procédure civile. En dehors de ces deux cas, les conditions sont posées par l’article 430.2 du code de procédure civile marocain qui dispose que : « Le tribunal saisi doit s’assurer de la régularité de l’acte et de la compétence de la juridiction étrangère de laquelle il émane. Il vérifie également si aucune stipulation de cette décision ne porte atteinte à l’ordre public marocain ». Trois conditions doivent être donc retenues :
- le respect des règles procédurales de l’Etat dont il relève, sans aucun examen de la part de la juridiction nationale de la qualification des faits, de la pertinence et de la sincérité des motivations et des moyens de preuve ;
- la compétence du tribunal étranger pour rendre le jugement en cause ;
- le respect de l’ordre public marocain.

En conclusion, nous pouvons retenir que :
- la société basée au Sénégal peut solliciter l’application de la Convention de Paris portant sur la propriété industrielle ;
- Elle peut obtenir la radiation de la marque dans le pays étranger (le Maroc) sur le fondement de l’article 6 bis de la Convention précitée ;
- Elle peut engager l’action en concurrence déloyale au plan civil en se fondant soit sur la confusion de marque conformément à l’article 2 de l’Accord de Bangui soit sur la contrefaçon de marque conformément à l’article 46 de l’Accord de Bangui ;
- Elle peut faire procéder à la saisie-contrefaçon ;
- Elle pourra obtenir la reconnaissance de la décision rendue par le juge du for par le juge étranger (le juge marocain).

sources :

- Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (modifiée le 28 septembre 1979) (Texte authentique)
- l’Accord de Bangui du 02 Mars 1997 créant l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle
- Code pénal du Sénégal
- Code de procédure civile du Maroc
- Code de procédure Pénale du Maroc
- La contrefaçon et la concurrence déloyale dans les
contrats de distribution : Etude comparative du droit
français et du droit sénégalais. Oumoul Khairy Ndao
- Bureau international de l’OMPI, protection contre la concurrence déloyale, Genève, OMPI,
- VIGNAL Marie Malaurie, Droit de la distribution, Paris, Editions Dalloz,
- VOGUEL Louis, Concurrence déloyale, Millau, imprimerie Maury SA,
- LECOURT Arnaud, La concurrence déloyale, Paris, L’Harmattan,
- TOPORKOFF Michel, Droit de la concurrence déloyale, Paris, Gualino Editeur,
- VERON, Pierre, Saisie-contrefaçon, Paris, Ed. Dalloz,

Ousseynou Mbengue
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