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La mise au placard du salarié-cadre par l’atteinte conséquente à ses responsabilités : une faute de l’employeur. Par Amandine Sarfati, Avocat.
Parution : mercredi 2 mai 2018
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L’atteinte aux responsabilités du salarié et au niveau hiérarchique de ce dernier, constitue une modification du contrat de travail qui ne peut se faire sans son accord.

Depuis l’arrêt Raquin du 8 octobre 1987, il est de jurisprudence constante que le salarié dispose d’un droit de refus de la modification de son contrat de travail qui ne peut intervenir sans le consentement exprès du salarié. À défaut, l’employeur qui imposerait une modification du contrat de travail commettrait un manquement grave justifiant la prise d’acte de ce dernier. En effet, contrairement au changement des conditions de travail qui relève du pouvoir de direction de l’employeur, la modification du contrat de travail, « sphère contractuelle », suppose l’accord des deux parties.

1. L’atteinte aux responsabilité du salarié.

Il est de jurisprudence constante que l’atteinte aux responsabilités du salarié et au niveau hiérarchique de ce dernier, constitue une modification du contrat de travail qui ne peut se faire sans son accord :
- Cass.Soc. 25 novembre 1998, n°96-44.164 ; Cass.Soc. 5 mars 1997, n°95-42.365 : « ayant constaté qu’un employeur avait retiré au salarié la plupart de ses responsabilités, une cour d’appel a pu décider que le contrat de travail avait été modifié » ;

- Cass.Soc. 27 novembre 2002, n°00-45.602 : « Ayant constaté que le salarié (...) avait été privé des fonctions de commandement et des responsabilités attachées à l’emploi qu’il occupait précédemment (...) ce dont il résultait qu’il était privé d’initiative pour l’organisation de ses nouvelles fonctions, le cour d’appel en a déduit à bon droit que le contrat de travail avait été modifié » ;

- Cass.Soc. 28 janvier 2005, n°03-40.639 : « ayant relevé que l’avenant au contrat de travail proposé au salarié (...) transformait totalement ses attributions et le niveau de ses responsabilités puisqu’il n’était plus en charge de la grande distribution, mais d’enseignes privées ramenant ses responsabilités à un niveau très inférieur, une cour d’appel a pu décider que l’employeur avait procédé à une modification du contrat de travail » ;
- Cass.Soc. 16 mai 2007, n°06-40.868 : « Ayant constaté que la société avait attribué au salarié des fonctions nouvelles qui relevaient d’un niveau hiérarchique moins élevé dans l’organigramme de l’entreprise (...) une cour d’appel a pu en déduire que le contrat de travail du salarié avait été modifié, peu importe que son classement conventionnel et sa rémunération aient été maintenus » ;

C’est également le cas lorsque l’employeur réduit les responsabilités d’un directeur de gestion des risques ou qu’il retire à un salarié des tâches importantes, même si cela ne s’accompagne d’aucune baisse de salaire et de qualification :
- Cass.Soc. 25 mai 2011, n° 10-18.994 ;
- Cass.Soc. 2 mars 2011, n°09-40.547 ;

Une solution identique a été retenue en cas de retrait d’une délégation de signature puisque, de fait, le salarié aura des fonctions moins importantes : Cass.Soc. 26 oct. 2011, n° 10-19.001. 

Vont également dans ce sens les arrêts suivants :
- Cass.Soc. 7 juillet 2004, n°02-44.734 : « qu’en statuant comme elle l’a fait, alors, d’une part, que la décision de l’employeur du 4 septembre 1999 retirant au salarié la responsabilité du bureau d’étude constituait une modification de son contrat de travail qu’il était en droit de refuser (…) »

- Cass.Soc.20 novembre 2002, n°00-44.365 : « Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel qui a relevé que le salarié supervisait habituellement sept magasins et qu’il lui avait été imposé d’en contrôler désormais douze, a pu décider que cette augmentation importante constituait, malgré la clause contractuelle de flexibilité, et peu important que le nombre de magasins contrôlés n’ait pas été contractuellement prévu, une modification du contrat de travail ; que les deux premières branches du moyen ne sont pas fondées ; »

- Cass.Soc.6 avril 2011, n° 09-66.818 : cette décision justifie la décision de la Cour d’appel qui a constaté que, « d’une part, le salarié, s’était vu retirer notamment toute responsabilité au niveau de la planification et de l’organisation des ressources humaines et matérielles, avait cessé d’avoir les fonctions d’encadrement qu’il assurait depuis de nombreuses années et s’était heurté à l’interdiction d’accéder à l’atelier et, d’autre part, que la planification des ressources matérielles, le suivi de la fabrication, la formation du personnel de production et la maintenance générale avaient été confiés à un autre salarié, et en a déduit qu’une telle diminution des responsabilités et des prérogatives du salarié constituait une modification du contrat de travail. »

Dans cette affaire, la juridiction suprême approuve la réponse des juges du fond à la question de savoir si une modification du contrat, en l’occurrence la diminution des responsabilités et prérogatives du salarié, peut être retenue en l’absence d’atteinte à la qualification, la classification et la rémunération du salarié. En répondant par l’affirmative, cette solution semble confirmer le principe établi par un précédent arrêt du 28 janvier 2005.

Cette solution a été rappelée par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation qui, dans un arrêt du 29 janvier 2014, a jugé que l’appauvrissement des missions et des responsabilités subies par le salarié, lequel s’était vu vider son poste de sa substance, constituait bien une modification imposée de son contrat de travail justifiant la prise d’acte de ce dernier :

Cass.Soc. 29 janvier 2014, n°12-19479 (Pièce 31) : « Mais attendu qu’ayant, sans modifier l’objet du litige, relevé, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve, que le salarié, à la fin de l’été 2007, s’était vu imposer un appauvrissement de ses missions et de ses responsabilités , son poste étant vidé de sa substance, la cour d’appel en a exactement déduit l’existence d’une modification du contrat de travail imputable non à un tiers , mais à l’employeur. »

La Cour de Cassation assimile donc la baisse des responsabilités du salarié à une modification imposée de son contrat de travail.

En toutes hypothèses, il est de jurisprudence constante que l’employeur a l’obligation de fournir le travail promis au salarié. À défaut, il commet un manquement grave justifiant la prise d’acte de ce dernier puisque rendant naturellement impossible la poursuite de son contrat de travail : Cass. Soc. 3 mai 2012, n° 10-21.396.

2. L’ajout d’un nouvel échelon hiérarchique intermédiaire entre le salarié et sa direction et la baisse des effectifs placés sous la subordination du salarié.

D’après la jurisprudence, l‘ajout d’un nouvel échelon hiérarchique intermédiaire entre un salarié et sa direction et/ou une diminution des effectifs de salariés placés sous sa subordination, entraine par voie de conséquence, une réduction importante de ses responsabilités et s’analyse en une modification imposée de son contrat de travail :
- Cass. soc. 6 octobre 2010, n° 09-41577 : « En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que M. Lecoq, qui auparavant était directeur du département maintenance de Tours, se trouvait, après la réorganisation, à la tête du seul secteur Nord de cette ville, qu’il était désormais soumis à un supérieur hiérarchique régional, avec un effectif réduit de salariés sous sa subordination, ce dont il résultait une réduction importante de ses responsabilités s’analysant en une modification du contrat de travail, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, au terme duquel, le contrat fait la loi des parties. »

- Cass. Soc. 30 mars 2011 n°09-71824 : « Mais attendu, qu’appréciant souverainement la valeur et la portée des pièces qui lui ont été soumises, la cour d’appel a constaté que la scission du pôle "Découverte et Divertissement "en deux entités distinctes consacrées l’une aux chaînes "Découverte", l’autre aux chaînes "Divertissement", avait eu pour effet de réduire fortement l’étendue des fonctions de Mme X... et le niveau de ses responsabilités tels que prévus au contrat de travail, ainsi que l’équipe de salariés qu’elle encadrait qui était passée de onze à six personnes ; qu’elle a pu en déduire, par une décision motivée, que si la rémunération et l’intitulé des fonctions n’avaient pas été affectés, l’amoindrissement des missions de la salariée et de son niveau d’autonomie constituait une modification unilatérale du contrat de travail qui ne pouvait lui être imposée »

Enfin, il ressort d’un arrêt du 21 mars 2012 que l’ajout d’un échelon hiérarchique intermédiaire entre un salarié et le président de la société implique une rétrogradation ou un déclassement, lorsque les fonctions et les responsabilités du salarié sont modifiées : Cass. soc. 21 mars 2012, n°10-12068 (Pièce 43).

3. Le transfert des responsabilités du salarié à d’autres salariés de l’entreprise.

D’après la jurisprudence, le transfert des fonctions et des prérogatives du salarié à d’autres salariés de l’entreprise constitue une modification imposée du contrat de travail du salarié, justifiant la prise d’acte de ce dernier :

Cass. soc. 20 janvier 1999, « Sté Albingia », n°97-40050 : « mais attendu que la Cour d’appel a relevé que la responsabilité de la formation et de l’encadrement des gestionnaires, qui incombait à la seule salariée, a été partagée entre trois personnes, ce qui a eu pour conséquences de la priver de toute maîtrise dans la gestion des dossiers et avait entraîné une modification importante des responsabilités de Mme Garrigou par une suppression progressive de son service et des fonctions propres qui en faisaient l’intérêt ; qu’elle a pu décider que l’employeur avait modifié le contrat de travail de la salariée et que le licenciement, fondé sur l’insubordination de la salariée résultant du refus de cette modification et de la saisine du conseil de prud’hommes, n’avait pas de cause ; que le moyen n’est pas fondé ».

Maître Amandine SARFATI Avocat à la Cour