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Salariés et réseaux sociaux : on fait le point ? Par Aurélie Arnaud, Avocat.
Parution : jeudi 3 mai 2018
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Les réseaux (Facebook, Twitter, Instagram...) sont maintenant entrés pleinement dans la sphère professionnelle. Mais attention, leur utilisation peut être source d’abus et éventuellement fonder une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

1) L’utilisation abusive des réseaux sociaux par le salarié : il est désormais établi que des connexions trop nombreuses et/ou trop longues pendant les heures de travail peuvent justifier un licenciement disciplinaire. [1]

Même s’il existe une tolérance pour l’usage personnel d’internet, il convient que cela reste exceptionnel et non une habitude quotidienne. A ce titre, il est recommandé aux employeurs de prévoir et établir une Charte informatique dans leur entreprise.

2) Les propos tenus par le salarié sur les réseaux sociaux : Le salarié ne peut publier des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs sur les réseaux sociaux. [2] Le fait de publier des propos sur une page Facebook permettant d’identifier son employeur et comprenant des injures ou des propos outrageants à l’égard de la hiérarchie constitue un abus de la liberté d’expression justifiant un licenciement pour faute grave [3]

En revanche, la seule mention "j’aime" à l’égard d’un texte rédigé par un autre salarié ne suffit pas à elle seule à caractériser une faute. [4]

Le contenu diffusé par un salarié sur Facebook peut causer un tort à l’entreprise même s’il ne vise pas cette dernière et fonder un licenciement. [5]

L’on rappellera qu’il convient d’éviter au salarié en arrêt maladie de poster des photos sur Facebook ou Instagram. [6]

3) Attention aux paramétrages et à l’accès au compte du salarié.

Une tendance se dégage dans la jurisprudence : seuls les faits ayant un caractère public peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires. La difficulté est alors de déterminer le caractère privé ou non du contenu. La Cour de Cassation a qualifié de privés les propos qui n’étaient en l’espèce accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre restreint, qui formaient une communauté d’intérêts. [7]

Dans un arrêt non publié du 20 décembre 2017, la chambre sociale a qualifié de privées les informations réservées aux personnes autorisées, l’employeur ne pouvant y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié. [8]

La Cour d’Appel de Paris a relevé qu’un salarié ne pouvait pas invoquer le caractère privé d’une conversation lorsqu’il n’a pas utilisé les paramètres de confidentialité offerts par le site. [9]

La Cour d’Appel de Toulouse a jugé le 2 février 2018 que les propos tenus par une salariée sur son compte Facebook affichés sur l’écran de l’ordinateur de l’entreprise et visibles des personnes présentes perdaient leur caractère privé. Ces propos injurieux et malveillants fondaient un licenciement pour faute grave. [10]

Et qu’en est-il lorsque le salarié a paramétré son compte mais qu’il dispose d’un très grand nombre "d’amis" ?

Plusieurs Cours d’Appel ont considéré que de tels propos revêtaient alors un caractère public :
- la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé qu’un profil comptant 179 "amis" ne constituait pas une sphère privée surtout lorsque le salarié habitait dans une petite ville et que ses propos avaient pu être rapportés par un tiers à l’entreprise. [11] Mais la même Cour a estimé qu’un message devenait privé car se limitant à 109 contacts [12]

- Idem pour une vidéo accessible sans distinction à tous les contacts du salarié et notamment certains collègues [13]. Elle perd alors son caractère privé.

4) Les réseaux sociaux : un danger aussi pour l’employeur.

L’employeur doit maîtriser sa communication notamment sur les réseaux sociaux. La Cour d’Appel d’Angers a condamné ainsi un employeur gérant d’une discothèque pour avoir soumis ses salariés à un tabagisme passif, s’appuyant sur des photos issues de la page Facebook officielle de la discothèque [14]

Aurélie ARNAUD Avocat à la Cour www.2a-avocat.com

[1Cass. soc:18 mars 2008, n°07-44247 : pour 41h de connexion par mois sur internet ; Cass. soc. 26 février 2013, n°11-27272 : pour 10.000 connexions en un mois sur des sites non professionnels ; CA Pau 13 juin 2013, n°11/02759 : connexions quasi quotidiennes sur Facebook sur une durée de 15 jours.

[2CA Paris, 25 juin 2015, n°12/4846.

[3CA Aix en Provence 4 février 2016, n°14/13125.

[4CA Douai, 24 avril 2015, n°14/00842.

[5CA Rouen 26 avril 2016, n°14/03517 : pour un post d’une photo d’un avis d’imposition d’un client fortuné.

[6CA Reims 27 avril 2016, n°15/01126 à titre d’exemple.

[7Cass, 1ere civ, 10 avril 2013, n°11-19530.

[8Cass. soc 20/12/17, n°16-19609.

[9CA Paris 25 juin 2015, n°12/04896.

[10CA Toulouse 2 février 2018, n°16/04882.

[11CA Aix-en-Provence, 5 février 2016, n°14/13717.

[12CA Aix-en-Provence 22 septembre 2015, n°13/210095.

[13CA Douai, 31 mai 2016, n°15/01639.

[14CA Angers, 19 janvier 2016 n°13/01879.