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Clarification des modalités de passation d’une concession provisoire de gré à gré. Par Sébastien Palmier, Avocat.
Parution : mercredi 9 mai 2018
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CE 5 février 2018, Ville de Paris, req.n°416581. Cet arrêt présente un double intérêt : d’une part il considère qu’un contrat d’exploitation de mobiliers urbains y compris à des fins publicitaires peut être qualifié de concessions de services au sens de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ; d’autre part, il clarifie les conditions qui permettent de conclure une concession de services provisoire de gré à gré sans respecter les règles de publicité et de mise en concurrence.

Rappel n°1 : Un contrat d’exploitation de mobiliers urbains à des fins publicitaires peut être qualifié de DSP

Pour rappel, l’article 5 de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession définit les contrats de concession de services comme des contrats par lesquels une autorité concédante confie la gestion d’un service public à un opérateur économique, à qui est transféré le risque d’exploitation du service en contrepartie du droit de l’exploiter.

Pour que le contrat puisse être qualifié de concessions de services, la part du risque transférée au concessionnaire doit impliquer une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable. Le risque d’exploitation existe lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, le concessionnaire n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation du service.

Dans cette affaire, le Conseil d’État rappelle que le contrat relatif à l’exploitation sur le domaine public de la ville de Paris de mobiliers urbains d’information à caractère général ou local supportant de la publicité est une concession de services au sens de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

Cette solution peut paraître surprenante au regard de la jurisprudence JC Decaux (CE Ass., 4 novembre 2005, n° 247298) qui semblait avoir posé le principe de la qualification d’un tel contrat en marché public et égard à ses caractéristiques et notamment à ses modalités de rémunération excluant tout risque d’exploitation. L’affaire était d’ailleurs similaire puisqu’il était question de la qualification d’une convention passée entre la société JC Decaux et la commune de Villetaneuse portant sur la fourniture, l’installation et l’exploitation sur le domaine public de mobiliers urbains destinés à abriter les usagers du réseau de transport et destinés à supporter des plans ou des informations municipales d’information à caractère général mais également de la publicité.

La solution est d’autant plus surprenante qu’il est impossible de considérer que les contrats d’exploitation de mobiliers urbains à des fins publicitaires puissent présenter un quelconque risque d’exploitation puisqu’il n’en existe pas. Bien au contraire puisqu’il s’agit certainement des contrats les plus rémunérateurs qui puissent exister...

Le Conseil d’État n’a semble-t-il pas souhaité profiter de l’occasion qui s’est présentés à lui pour présenter la typologie des différents contrats de mobiliers urbains qui sont aujourd’hui qualifiés tantôt de conventions d’occupation du domaine public, tantôt de marchés publics où, comme en l’espèce, de concessions de services publics… Ce travail d’analyse sera bien nécessaire à terme pour éviter la multiplication des contentieux.

Rappel n°2 : Clarification des modalités de passation d’une concession provisoire de gré à gré sans publicité ni mise en concurrence

Cette affaire est également l’occasion de préciser les modalités de passation d’une concession de services provisoire de gré à gré, autrement dit, sans publicité ni mise en concurrence.

Un bref rappel des faits s’impose. La ville de Paris a engagé en mai 2016 une procédure de publicité et de mise en concurrence en vue de la passation d’une concession de services relative à l’exploitation de mobiliers urbains d’information à caractère général ou local supportant de la publicité. Au terme de la mise en concurrence, des candidats évincés ont décidé de saisir le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris qui a annulé la procédure de passation par deux ordonnances du 21 avril 2017, lesquelles ont été confirmées par le Conseil d’État en septembre 2017.

En novembre 2017, la ville de Paris a donc décidé d’attribuer une concession provisoire, sans publicité ni mise en concurrence à l’opérateur économique en place pour une durée courant du 13 décembre 2017 au 13 août 2019. Saisi une nouvelle fois par les deux concurrents évincés, le juge du référé précontractuel décidé d’annuler à nouveau cette nouvelle procédure de passation par ordonnances du 5 décembre 2017. Un pourvoi en cassation a alors été formé devant le Conseil d’État contre les ordonnances du juge des référés. Tel est l’objet de l’arrêt du Conseil d’État du 5 février 2018.

En premier lieu, le Conseil d’État commence par rappeler les conditions générales qui permettent à un acheteur public de conclure une concession de services de gré à gré sans respecter les règles de publicité et de mise en concurrence.

La Haute juridiction considère qu’en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve l’acheteur public, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer un service public par son cocontractant ou de l’assurer lui-même, il peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité dudit service, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat sans respecter au préalable les règles de publicité et de mise en concurrence qui sont normalement obligatoires.

Dans ce cas, la durée du contrat ne peut pas excéder celle qui est requise pour mettre en œuvre une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence, si l’acheteur public entend poursuivre l’exécution de la concession de service ou, au cas contraire, lorsqu’il a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance.

En deuxième lieu, cette affaire est l’occasion de préciser les trois conditions nécessaires pour qu’une concession de services puisse être conclue de gré à gré.

Le constat objectif qu’un motif d’intérêt général consistant en la continuité du service exige la conclusion immédiate de la convention, c’est-à-dire d’une part que l’acheteur public n’ait pas la possibilité d’exercer lui-même le service public en question ou de se procurer par lui-même les moyens de le faire, d’autre part que l’interruption dudit service le temps nécessaire à la mise en œuvre des procédures de mise en concurrence porterait une atteinte grave à un intérêt général.

Le Rapporteur public Gilles Pellissier considère qu’il doit s’agir ici de « situations exceptionnelles » dans lesquelles l’interruption d’un service public est de nature à porter une atteinte particulièrement grave à un intérêt général.
Cela implique donc que le service public auquel le contrat concourt doit satisfaire un besoin essentiel de l’acheteur public, au sens large, qui ne peut donc souffrir d’aucune interruption, et qu’il n’ait aucun autre moyen de l’assurer que de conclure immédiatement une convention de gré à gré.

Dans la pratique, seuls les services publics dont la continuité est nécessaire au bon fonctionnement des administrations et à la satisfaction des besoins essentiels des administrés peuvent donc justifier la passation d’une concession de gré à gré. L’acheteur public doit donc être en mesure d’établir qu’en raison de l’objet du service, son interruption porterait à l’intérêt général une atteinte d’une gravité particulière. L’intérêt général est celui de la continuité du service auquel concourt le contrat et il doit s’apprécier en fonction des conséquences de son éventuelle interruption.

Comme le rappelle le Rapporteur public dans ses conclusions, l’acheteur public ne doit pas pouvoir compter sur cette possibilité pour réparer les conséquences de ses propres négligences dans la gestion de ses contrats. Cette condition représente un moyen de faire obstacle à toute velléité de l’acheteur public de préparer l’urgence ou même seulement d’en tirer profit.
Exemple : la liquidation judiciaire du titulaire d’un contrat pourrait justifier le recours à une convention provisoire le temps strictement nécessaire à la désignation d’un nouveau titulaire pour assurer la continuité d’un service public essentiel aux usagers.

La durée de la convention provisoire ne peut en aucun cas excéder celle qui est requise pour mettre en œuvre une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence, si l’acheteur public entend poursuivre l’exécution de la concession de service ou, au cas contraire, lorsqu’il a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance. Là aussi, le contrôle du juge devra être vigilant pour éviter certains abus.

Me Sébastien PALMIER-Spécialiste en Droit Public Cabinet Palmier & Associés- Experts en marchés publics http://www.sebastien-palmier-avocat.com