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La responsabilité du propriétaire d’un appartement suite à une infiltration. Par Manon Vialle, Juriste.
Parution : mardi 8 mai 2018
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Peu importe que le propriétaire d’un bien immobilier soit fautif ou pas du dommage ayant entraîné des dégradations dans l’appartement d’un voisin. Sa responsabilité civile est obligatoirement engagée s’il est prouvé que les causes des dégâts produits proviennent de son appartement.

L’article 1242 alinéa 1 (1384 ancien) du Code civil dispose qu’« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. » De nombreux arrêts ont rendu des décisions concernant des litiges relatifs à des dommages causés par des choses. Le premier qui consacre la responsabilité du gardien des choses est l’arrêt Teffaine rendu par la Cour de Cassation le 16 juin 1896. Puis le célèbre arrêt Jand’heur de 1930 a étendu l’article 1384 ancien du Code civil aux biens immeubles. Il précise que la présomption de responsabilité établie par l’article 1242 al. 1er du Code civil, à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui, ne peut être détruite que par l’une des trois causes d’exonération suivante : la force majeure, le fait d’un tiers ou la faute de la victime.

Dans l’affaire relatée dans l’arrêt du 22 mars 2018 [1] : « la société D., propriétaire d’un appartement situé au troisième étage d’un immeuble, a assigné Mmes Y. et Z., respectivement nue-propriétaire et usufruitière de l’appartement situé au deuxième étage du même immeuble, en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice résultant d’une infiltration d’eau » visible au plafond de la salle de bains de l’appartement de la SCI [2].
La cour d’appel avait débouté la SCI D. de ses prétentions en retenant que la cause du sinistre était inconnue (après expertise) et que l’action intentée par la société sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, allait de pair avec la démonstration d’une faute imputable à la nue -propriétaire et à l’usufruitière de l’appartement. Or, aucune faute n’avait été prouvée. Mais la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt au motif que les défenderesses étaient objectivement gardiennes de leur bien immobilier et donc responsables du dommage causé par les désordres engendrés par celui-ci.
En effet, dans le cas de la responsabilité délictuelle du fait des choses, il n’est pas nécessaire de prouver la faute du gardien de la chose. Le gérant de la SCI D., copropriétaire, avait pu démontrer le rôle instrumental actif de la chose dans la production du dommage à savoir un dégât des eaux qui a abîmé le plafond de la salle de bains de l’appartement, et la garde qui est normalement l’apanage du propriétaire. Ces conditions ont suffi à démontrer la responsabilité civile délictuelle de la nue-propriétaire et de l’usufruitière (gardiennes) du bien immobilier d’où provient l’infiltration même si elles n’occupaient pas le logement à ce moment-là.

La notion de chose

Une chose peut être inerte ou en mouvement. Le rôle actif de la chose est présumé quand elle était en mouvement lors du dommage qu’a subi la victime. Par contre, quand la chose est inerte, la victime doit alors prouver l’anormalité de la chose dans sa position ou sa fonction afin d’établir son rôle actif dans le dommage causé [3]. En l’espèce, l’eau est une chose en mouvement lorsqu’elle s’écoule. Comme l’a dit Héraclite d’Ephèse, « on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau d’un fleuve ». Son rôle dans l’infiltration est donc présumé actif.

Qui est le gardien de la chose ?

Selon le célèbre arrêt Franck du 2 décembre 1941, le gardien de la chose est la personne qui a l’usage, le contrôle et la direction de la chose. Dans la plupart des cas, le gardien est le propriétaire de la chose. Dans le cas en l’espèce, la notion de gardien ne pose pas de problème. Mais des exceptions existent.
Dans l’arrêt Franck, par exemple, la voiture de M. Franck avait été volée à la fin de l’année 1929. Quelques temps après, le voleur du véhicule avait renversé et blessé mortellement un individu avant de s’enfuir. L’identité de l’auteur du vol et de l’homicide involontaire était une énigme car il n’avait pas été retrouvé. Les proches de la victime, victimes par ricochet, avaient donc décidé d’agir contre le docteur Franck en se fondant sur les dispositions de l’article 1384, alinéa 1er (article 1242 nouveau) du Code civil dans le but d’obtenir la réparation du préjudice subi. La question qu’avait dû trancher la Cour de cassation était : qui est le gardien du véhicule (chose responsable du fait dommageable) lors de l’accident ? Le propriétaire d’un véhicule qui lui a été dérobé et avec lequel un accident a été causé peut-il être considéré comme son gardien et ainsi voir sa responsabilité engagée ? La Haute juridiction avait refusé d’engager la responsabilité du Docteur Franck au motif que « privé de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture, il n’en avait plus la garde et n’était plus dès lors soumis à la présomption de responsabilité édictée par l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil » [4]. Aujourd’hui, la loi Badinter s’appliquerait. La garde peut donc, dans certains cas, être transférée à une personne qui n’en est pas la propriétaire.

Les propriétaires d’appartement en copropriété sont obligés d’être assurés, depuis la loi ALUR de 2014. La SCI victime et copropriétaire pourra solliciter son propre assureur pour l’indemniser mais aussi ses voisines. Si tel est le cas, la nue propriétaire fera alors jouer son assurance responsabilité civile pour dédommager la SCI D.

Manon VIALLE, Avocat

[1Arrêt, Cass. Civ 3ème, 22 mars 2018, (n° 17-13.467)

[3Arrêt, Cass. Civ 2ème, 24 février 2005

[4Arrêt Franck, site Legifrance