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Action en déclaration de non-contrefaçon : précisions importantes sur la notion de « préparatifs réels et sérieux ». Par François-Xavier Langlais, Avocat, et Marion Wunenburger, Juriste.
Parution : lundi 14 mai 2018
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Le recours à la sous-traitance n’est pas un obstacle à la recevabilité d’une action en déclaration de non-contrefaçon. Telle est la précision d’importance apportée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt récent concernant la recevabilité de cette action qui suppose l’existence d’une exploitation industrielle ou des préparatifs effectifs et sérieux à cette fin (Cour d’appel de Paris, 28 novembre 2017).

L’action en déclaration de non contrefaçon est un outil plus qu’intéressant pour tout industriel qui souhaite conforter la licéité de son exploitation. Elle lui permet de s’assurer qu’il ne s’expose pas à une action en contrefaçon ultérieure de la part du titulaire d’un (ou plusieurs) brevet(s).

Les risques portés par cette action et le flou qui existe autour de sa recevabilité et de ses effets, en font toutefois un outil assez peu utilisé dans la pratique.

L’article L.615-9 du Code de la propriété intellectuelle qui traite de cette action dispose que :
« Toute personne qui justifie d’une exploitation industrielle sur le territoire d’un État membre de la Communauté économique européenne ou de préparatifs effectifs et sérieux à cet effet peut inviter le titulaire d’un brevet à prendre parti sur l’opposabilité de son titre à l’égard de cette exploitation dont la description lui est communiquée.

Si ladite personne conteste la réponse qui lui est faite ou si le titulaire du brevet n’a pas pris parti dans un délai de trois mois, elle peut assigner ce dernier devant le tribunal pour faire juger que le brevet ne fait pas obstacle à l’exploitation en cause, et ce, sans préjudice de l’action en nullité du brevet et d’une action ultérieure en contrefaçon dans le cas où l’exploitation n’est pas réalisée dans les conditions spécifiées dans la description visée à l’alinéa précédent. »

Dans un arrêt en date du 28 novembre 2017, la cour d’appel de Paris vient préciser les contours de notion de « préparatifs réels et sérieux ».

Dans cette affaire, une société de droit finlandais K HARTWALL AB OY (ci-après « la société K-HARTWALL ») est spécialisée dans la fabrication et la vente de produits réutilisables pour le transport de marchandises, notamment des chariots, du type utilisé dans les grandes surfaces.
La société TOURAINE EMBALLAGE RECYCLAGE (ci-après « la société TER ») intervient dans le domaine de la logistique et développe des équipements standards ou sur mesure pour ses clients, comme des chariots emboitables.

Elle est titulaire de deux brevets français, ainsi que d’un brevet européen.

Ces trois brevets s’intitulent « chariot de transport de marchandises comportant au moins un volet anti chute ».

Étant sollicitée par la société INTERMARCHE pour lui fournir des volets antichute, la société K HARTWALL s’est dans un premier temps tournée vers la société TER en tant que sous-traitante pour la fourniture de tels volets.

Mais, souhaitant par la suite fabriquer elle-même son propre système de volets antichute adapté à ses chariots, la société K HARTWALL a demandé à la société TER de prendre parti sur l’opposabilité de ses brevets français au système de volets antichute adapté à ses chariots qu’elle avait développé.

Cette demande était formulée sur le fondement de l’article L. 615-9 du Code de la propriété intellectuelle.

Elle a par ailleurs (de façon classique) contesté la validité des trois brevets de la société TER.

La société TER a répondu en invoquant la validité de ses brevets, et en estimant que le prototype développé par la société K HARTWALL en était contrefaisant.

Aucune solution amiable n’a été trouvée entre les parties.

Partant, la société HARTWALL a fait assigner la société TER devant le Tribunal de grande instance de Paris, au visa de l’article L.615-9 du Code de la propriété intellectuelle, notamment pour voir dire que les brevets de la société TER ne font pas obstacle à la fabrication et à la commercialisation de ses propres volets.

En première instance, la société TER soutenait que ce texte subordonne toute action en déclaration de non-contrefaçon à une exploitation industrielle, laquelle devrait s’entendre d’une fabrication, ou à tout le moins à des préparatifs effectifs.

Sur ce, selon elle, les éléments produits par la société K HARTWALL au soutien de sa demande, à savoir des photographies d’un prototype, un croquis et une brève description, ne montreraient en rien une telle exploitation ou de tels préparatifs, puisqu’en particulier elle a fait appel à des sociétés tierces pour mettre au point les différents prototypes, à savoir deux autres sociétés finlandaises.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rejeté ces arguments et jugé l’action recevable au motif que :

« En l’espèce, même si elle ne réalise pas elle-même les prototypes dont les photographies figurent au dossier, il ne fait pas de doute que la société K HARTWALL participe de manière concrète à leur fabrication, étant à l’initiative du projet, donnant des instructions aux entreprises finlandaises intervenantes, et chargeant plusieurs de ses employés de coordonner et de vérifier l’avancée des travaux, lesquels constituent au moins, à n’en pas douter, des préparatifs effectifs au sens du texte sus-visé ».

La société TER a interjeté appel de ce jugement et demandait à la cour d’infirmer le jugement notamment sur ce point.

Dans son arrêt, la cour vient affirmer avec force que la recevabilité d’une action en déclaration de non contrefaçon est subordonnée à une exploitation industrielle sur le territoire d’un État membre ou des préparatifs sérieux en vue de cette exploitation, mais ne prévoit pas que cette exploitation doive s’entendre de la fabrication.

Ce faisant, au vu des éléments produits au débats (schémas et photographies de deux versions du produit qu’elle entendait développer, justificatif du travail des équipes de développement de la société K HARTWALL), la cour va juger que la société K HARTWALL justifie qu’elle a participé de manière concrète à la fabrication des prototypes et partant, est recevable à agir sur le fondement de l’action en déclaration de non-contrefaçon.

Cette solution est plus que bienvenue dans une matière qui souffre d’un manque d’exemples pratiques. Elle semble équilibrée et de nature à rassurer les industriels.

En effet, ils n’auront pas à craindre de voir déclarer leur action irrecevable du simple fait qu’ils aient engagé un sous-traitant dans le cadre de leur activité.

C’est une solution pragmatique, prenant en compte la réalité de l’économie contemporaine qui se fonde largement sur la sous-traitance.

François-Xavier Langlais (Avocat associé) et Marion Wunenburger (juriste stagiaire) Quantic Avocats - www.quantic-avocats.com