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Précisions sur la circulation du divorce sans juge au sein de l’Union Européenne. Par Christopher Jacquet-Cortès, Avocat.
Parution : mercredi 16 mai 2018
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Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne a exclu les divorces privés du champ d’application du Règlement n° 1259/2010 dit Rome III.
Cette décision a de lourdes conséquences sur la circulation du nouveau divorce par consentement mutuel français au sein de l’U.E.

Le divorce par consentement mutuel a récemment subi de profondes mutations jusqu’à aboutir à une procédure complétement déjudiciarisée.
Si celle-ci présente des avantages certains, elle pose également de sérieuses difficultés s’agissant de la circulation de ses effets à l’étranger. Le divorce sans juge n’est pas une institution inconnue des droits étrangers (droit coranique par exemple). Pour autant, il reste très minoritaire voire rare dans les ordres juridiques des États membres de l’UE.

Ainsi, se pose inévitablement la question de la reconnaissance ou non du divorce par consentement mutuel dans les autres États et particulièrement au sein de l’UE.

L’UE s’est quant à elle dotée d’un instrument permettant de désigner la loi applicable au divorce, le Règlement 1259/2010 du 20 novembre 2010 (Règlement Rome III). La complète déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel en France a alors soulevé la question de savoir si ce règlement pouvait être applicable au divorce sans juge.

La CJUE est récemment venu y répondre à l’occasion d’un arrêt rendu le 20 décembre 2017 (CJUE, 20 déc. 2017, n° C-372/16, Sahyouni ).

L’arrêt Sahyouni.

La Cour était saisie d’une question préjudicielle formulée par une juridiction allemande : le Tribunal régional supérieur de Munich ("Oberlandesgericht München"). Le juge allemand devait trancher la question de la reconnaissance d’un divorce de droit syrien (prononcé unilatéralement par le mari) et se demandait donc s’il devait se référer aux règles du règlement Rome III pour vérifier que la loi syrienne était bien applicable à ce divorce.

Plus précisément, l’une des questions soumises à la CJUE était la suivante : «  les cas de divorce privé, en l’occurrence celui sur déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux syrien sur le fondement de la charia, entrent-ils aussi dans le champ d’application visé à l’article 1er du [règlement n° 1259/2010] ? ».

La juridiction européenne a répondu par la négative indiquant ainsi que : « un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement ».

A la seule lecture de cette réponse, il serait aisé d’affirmer que la solution donnée par la CJUE se limite exclusivement au cas du divorce unilatéral syrien. Cependant, la formulation de la question et, de façon encore plus claire, du raisonnement de la Cour permettent d’en déduire le contraire.
En effet, la question formulée par la juridiction allemande portait sur « les cas de divorce privé » et donc sur les divorces sans juge de manière générale.
Également, pour forger son opinion, la Cour a mis en avant le principe de cohérence du Droit européen en interprétant l’article 1er du Règlement Rome III à la lumière du texte du règlement 2201/2003 dit Bruxelles IIbis. Ce dernier règlement contient des règles de compétence et de reconnaissance en matière matrimoniale. Enfin, la Cour indique dans ses motifs que les champs d’application des règlements en question visent « exclusivement les divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle ».

Dans ce contexte, la décision de la CJUE laisse peu de place au doute. Le champ d’application du règlement Rome III, tout comme celui du Règlement Bruxelles IIbis, exclut les divorces sans juge et par conséquent le divorce par consentement mutuel français.

Conséquences de cette décision.

Sans règles uniformes, la reconnaissance du divorce par consentement mutuel et l’appréciation de la compétence de la loi française pour le prononcer relèvent du droit national de chacun des États membres. La prévisibilité juridique de ces actes s’en retrouve donc affaiblie. Du reste, la décision d’uniformiser les modalités de reconnaissance du divorce sans juge relève, quant à elle, des organes politiques de l’UE (Commission et Parlement).

En pratique, cette décision au des effets sur les divorces présentant des éléments d’extranéité. La question de la reconnaissance se pose donc pour les couples ayant des intérêts à l’étranger, et, dès lors qu’un juge d’un États membres doit apprécier la validité de leur divorce.

Par exemple, dans le cas d’un ex-époux qui souhaiterait fixer sa résidence et celle des enfants dans un autre État membre, la non reconnaissance de l’acte de divorce pourrait créer une grave insécurité juridique quant au droit de garde.

A la lumière de cet arrêt, les époux ayant des intérêts à l’étranger et souhaitant opter pour un divorce par consentement mutuel devront nécessairement être informés de ces difficultés. Il semble en effet que leur consentement éclairé puisse être conditionné par cette information.

Christopher Jacquet-Cortès Avocat à la Cour Inscrit aux Barreaux de Paris et Barcelone Brugueras, Alcántara & García-Bragado email: cjacquet@brugueras.com
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