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Assurance-vie et autorisation du juge des tutelles. Par Benoit Chaliez, Juriste.
Parution : vendredi 18 mai 2018
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Si le contrat d’assurance-vie demeure un des outils de transmission préféré des français, il n’en reste pas moins qu’il fait face à un important contentieux. C’est à cette problématique et à ces enjeux que la première Chambre civile de la Cour de cassation s’est une nouvelle fois heurtée quant à l’interprétation de l’article L 132-13 du Code des Assurances et à la notion de primes manifestement exagérées. Elle vient néanmoins préciser de façon assez didactique les contours de cette notion dans un arrêt qui ne manque pas d’intérêts.

Une Union Départementale des Associations Familiales (UDAF) est autorisée par le juge des tutelles à souscrire un contrat d’assurance-vie au nom de Pierre X, majeur sous tutelle, et à placer le prix d’une vente immobilière sur ce même contrat, désignant les 4 enfants de Pierre comme bénéficiaires. Or, Pierre X, avait bénéficié durant de nombreuses années (de 1987 à son décès) d’une aide de la CARSAT au titre de l’Association de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Quatre mois après l’ouverture de la succession, la CARSAT fait opposition à la liquidation de la succession afin d’obtenir le remboursement des sommes perçues par le tutélaire au titre de l’ASPA pour les années allant de 1987 à son décès et sollicite la réintégration des sommes versées après les 70 ans du tutélaire (article 757 B du CGI) au titre de l’article L 132-13 du Code des Assurances.

Cet article L132-13 alinéa 1er du Code des Assurances dispose que le capital ou les primes versées ne sont en principe « soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant ». Cependant, et c’est là toute la problématique, l’alinéa 2 de l’article L132-13 prévoit qu’elles peuvent l’être si elles « ont été exagérées eu égard aux facultés du souscripteur assuré ».

En d’autres termes, une exception est expressément prévue en cas de versement par le contractant de primes manifestement exagérées eu égard à ses facultés financières. Il est important de préciser que c’est aux héritiers réservataires qu’il incombe de prouver le caractère manifestement exagéré de ces primes.

L’article L 132-13 du Code des Assurances ne donne néanmoins, comme nous venons de le voir, aucune définition exacte du caractère manifestement exagérées des primes, laissant donc place à une appréciation souveraine des juges du fond.

Si l’on se penche avec précision sur la jurisprudence de la Cour de cassation, cette dernière soumet le caractère exagéré des primes à une atteinte à la réserve héréditaire [1] et se borne à répéter que l’appréciation du caractère exagéré des primes doit se faire au jour de la souscription du contrat et non au jour du décès.

De nombreux arrêts (notamment quatre arrêts de la chambre mixte de la Cour de cassation du 23 novembre 2004) ont tendu à dessiner un faisceau d’indices pouvant caractériser l’exagération comme l’âge du souscripteur, la situation patrimoniale et familiale ou encore l’utilité du contrat (intérêt pour le souscripteur de verser ces primes à une date déterminée), ce dernier indice semblant « l’emporter » sur les autres.
L’appréciation de ces critères doit cependant être cumulative « la seule appréciation de l’utilité de la souscription, sans avoir égard à l’ensemble de la situation patrimoniale et familiale de la souscriptrice au moment du versement » ne pouvant suffire. [2]

En l’espèce, une des filles de Pierre s’étonne donc de la position prise par la CARSAT et estime que la souscription d’un contrat d’assurance-vie et les primes versées à ce titre ayant fait l’objet d’une autorisation du juge des tutelles qui les a estimées conformes aux intérêts du majeur protégé, et que par conséquent et inéluctablement ces primes ne pouvaient décemment pas être considérées comme manifestement exagérées et souscrites en fraude des créanciers.

Elle estime également que les sommes dues à la CARSAT pouvaient être considérées comme des dettes successorales qu’elle avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation de la succession, et qu’elle pouvait donc « bénéficier » des dispositions inaugurées par l’article 786 du Code Civil et notamment son alinéa 2, cette dette ayant vocation à obérer gravement son patrimoine personnel (l’héritière est âgée de plus de 60 ans et allocataire du revenu de solidarité active).
Elle est déboutée en appel et se pourvoit en cassation.

La Cour de Cassation d’une façon assez didactique vient rejeter ses deux arguments.
Sur le premier moyen, elle estime que l’autorisation judiciaire du placement ne fait pas obstacle à la demande en réintégration à l’actif successoral des primes manifestement excessives au regard des très faibles ressources de Monsieur Pierre X.
Sur le second moyen, et sur l’interprétation de l’article 786 alinéa 2 du Code Civil, la première Chambre Civile précise que cet article n’a vocation à s’appliquer qu’aux dettes successorales, nées avant le décès, et qui sont le fait du défunt. L’ASPA doit être considérée comme une charge successorale, récupérable au décès du bénéficiaire sur une fraction de l’actif net en application des dispositions de l’article L 815-3 du Code de la Sécurité Sociale, puisque née après l’ouverture de la succession puisant son origine dans le décès ou les nécessités du règlement de celle-ci.

L’arrêt est intéressant sur plusieurs points mais notamment quant à la dichotomie pouvant exister entre autorisation du juge des tutelles et utilité du contrat. Il apparaît en effet difficilement concevable à première vue que le juge ne se borne pas à étudier l’intérêt et l’utilité de la souscription du contrat d’assurance vie, excluant de prime abord la possibilité de voir qualifier les primes versées sur ce dernier de manifestement exagérées.

Or, la Cour de Cassation estime que « l’autorisation du juge résulte de la nécessité d’assurer la gestion des ressources du majeur protégé en permettant au tuteur, soit de procéder au placement des fonds, ouvrant ainsi à la CARSAT la possibilité de récupérer les sommes versées au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, après le décès, dans les conditions fixées à l’article L 815-13 du Code de la Sécurité Sociale, soit d’affecter les fonds à l’entretien du majeur protégé, renonçant ainsi au bénéfice de cette allocation ; que la cour d’appel en a exactement déduit que l’autorisation judiciaire du placement ne faisait pas obstacle à la demande en réintégration à l’actif successoral des primes manifestement excessives au regard des très faibles ressources de Mr X ».

L’autorisation du juge a ici permis d’assurer au majeur protégé une gestion de ses ressources, mais eu égard à la situation patrimoniale et familiale de Mr X, il n’en demeure pas moins que le versement d’un capital de près de 50 000 euros apparaît comme excessif, les ressources de Monsieur étant relativement maigres (près de 600 euros par mois). L’utilité du contrat n’est ici pas suffisamment effacée par les autres critères cumulatifs. Bien que le contrat d’assurance-vie revêtait en l’espèce une utilité évidente, les très faibles ressources du tutélaire conduisaient inéluctablement la Cour de Cassation à considérer les primes versées comme manifestement exagérées. Et c’est là tout l’apport de l’arrêt.

Pour Nathalie Peterka, il s’agit néanmoins d’une décision logique : « Décider que l’autorisation du juge prive les créanciers du droit de revendiquer la réintégration à la succession des primes versées par le souscripteur conduirait à gommer le critère de l’importance des primes au regard de sa situation patrimoniale pour ériger l’utilité de ces dernières en indice exclusif de l’absence d’excès ». Difficile sur ce point de lui donner tort.

Juriste/Chargé études patrimoniales

[1Cass. Civ. 2ème 3 nov. 2011 n°10-21.760

[2Cass. Civ. 1ère 4 mars 2015 n° 13-23.011.

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