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La refonte de l’assurance chômage. Par Déborah Attali et Vincent Roulet, Avocats.
Parution : jeudi 24 mai 2018
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Le 22 février 2018, les partenaires sociaux se sont entendus sur la réforme de l’assurance chômage. Ils ont pris acte de certaines volontés du Président de la République, mais rechignent à en anticiper d’autres. Point sur une réforme à venir.

Le 6 avril 2018, Madame le Ministre du travail a présenté le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le texte est ambitieux. Il propose de réformer en même temps la formation professionnelle, l’apprentissage et l’assurance chômage. Ce dernier volet – expressément voulu par le Président de la République et annoncé dans son programme électoral – s’est nourri de l’accord national interprofessionnel du 22 février 2018 sur la réforme de l’assurance chômage au sein duquel les partenaires sociaux ont exprimé leurs réflexions sur les trois grands thèmes soulevés par Emmanuel Macron, à savoir l’indemnisation des salariés démissionnaires (1), l’extension de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants (2) et la sanction des contrats courts (3).

Le Conseil d’État ayant rendu son avis le 30 avril 2018 sur le projet de loi, celui-ci s’apprête a être débattu au Parlement. L’entrée en vigueur effective de ses dispositions sera suspendue à la publication de décrets d’application et à la conclusion d’avenants modificatifs à la convention et aux accords sur l’assurance chômage. Le 1er janvier 2019 toutefois, l’essentiel de ces dispositions devrait être en place.

L’indemnisation des salariés démissionnaires en vue d’une reconversion professionnelle.

Promesse de campagne du candidat Macron, l’indemnisation des salariés démissionnaires prend forme. La mesure est très symbolique mais, à y regarder de plus près, il est douteux qu’elle bouleverse l’économie du dispositif d’indemnisation de l’assurance chômage.

Le symbole réside dans le fait que, pour la première fois, une démission « volontaire » ouvrira droit à couverture (certains cas de démission permettent déjà d’être indemnisé, tout comme les situations de prise d’acte et de rupture conventionnelle). Encore le salarié devra-t-il préalablement justifier d’une période d’affiliation continue de cinq années à l’assurance chômage et d’un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou d’un projet de création ou de reprise d’entreprise. Ce projet doit être « réel et sérieux ». Avant la rupture du contrat de travail, il sera construit avec un conseiller et contrôlé (et validé) sur la base de critères fixé par décret par une commission paritaire sans l’aval de laquelle aucune indemnisation consécutive à la démission ne sera donnée.

L’extension de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants.

Autre promesse phare du candidat Macron, la création d’une assurance chômage pour les travailleurs indépendants. Dans l’accord du 22 février 2018, les partenaires sociaux avait témoigné d’une certaine hostilité à l’endroit de ce projet dont ils craignaient l’impact négatif sur les comptes de l’assurance chômage des salariés (ils soulevaient en outre d’autres difficultés d’ordre institutionnel). Le Gouvernement a pris en compte certaines de ces réticences, si bien que l’assurance chômage des travailleurs indépendants à venir n’a que peu à voir, en réalité, avec l’assurance chômage des salariés.

D’abord – et cela permet de surmonter la réticence des travailleurs indépendants eux-mêmes – le nouveau dispositif est gratuit : il est financé par l’État, par l’intermédiaire de la CSG/CRDS, non par des cotisations dont seraient redevables les potentiels bénéficiaires. Ensuite, ne seront indemnisés que les travailleurs indépendants dont la cessation d’activité a été judiciairement constatée : liquidation judiciaire, éviction du dirigeant social dans le cadre d’une procédure de redressement ou perte du statut de conjoint associé. Enfin, le projet de loi renvoie à des décrets et accords le soin de fixer les conditions pratiques d’octroi des prestations. Le projet de loi indique, sans les renseigner, que les bénéficiaires devront justifier de « conditions de ressources, de durée et revenus d’activités antérieures » ; il ne précise pas non plus le montant et la durée des prestations. Ces textes là seulement permettront d’apprécier l’ampleur de la réforme.

La sanction des contrats courts.

Prévue également dans le programme d’Emmanuel Macron, la pénalisation des entreprises recourant massivement aux contrats courts a fait l’objet d’un vif débat tout au long de l’hiver avec les partenaires sociaux, le MEDEF en tête. Il faut dire que la nouvelle convention d’assurance chômage avait presque abandonné ce système de sanctions, le considérant peu efficace et, surtout, inégalitaire dès lors que les besoins raisonnables des entreprises en contrats courts varient selon les branches professionnelles.

A la suite de l’accord national interprofessionnel du 22 février 2018 un consensus semble avoir été trouvé. Les partenaires sociaux lancent au sein des branches professionnelles de grandes négociations sur le sujet lesquels doivent témoigner de l’engagement des entreprises à réduire la précarité dans l’emploi. La remise d’un rapport sur les négociations et les actions subséquentes fin 2018 est prévue. Parallèlement, le projet de loi autorise le gouvernement à pénaliser les entreprises sur la base du nombre de fins de contrats, de la durée ou de la nature des contrats qu’elles passent, mais le gouvernement s’engage à ne pas agir avant la remise dudit rapport. La fin de l’année 2018 sera donc déterminante.

Autres dispositions.

Le projet de loi contient d’autres dispositions encore, afférentes à la gouvernance de l’assurance chômage – l’État souhaitant renforcer son emprise sur celle-ci au prétexte de l’accroissement du financement provenant de l’affectation de la CSG/CRDS -, à la disparition, déjà annoncée, de la part salariale de cotisation au 1er octobre 2018, ou au suivi des demandeurs d’emplois.

Par Déborah Attali (Associée) et Vincent Roulet (Principal Associate), Avocats chez Eversheds Sutherland.