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Marchés publics et critères de sélection des offres : attention aux critères…qui n’en sont pas ! Par Etienne Colson et Corentin Boutignon, Avocats.
Parution : jeudi 24 mai 2018
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Quand un acheteur lance une consultation pour l’attribution d’un marché public, il doit fixer les règles de la compétition. Parmi elles, les critères de sélection des offres revêtent une importance cruciale.

Quand un acheteur lance une consultation pour l’attribution d’un marché public, il doit fixer les règles de la compétition. Parmi elles, les critères de sélection des offres revêtent une importance cruciale.

Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse dépend d’abord d’une définition calibrée de son besoin par l’acheteur, étant entendu que les critères ne sont que la traduction d’un tel besoin.

Des critères inappropriés induiront donc un mauvais choix et, partant, l’insatisfaction du besoin de l’administration. Un tel risque peut cependant être aisément levé en usant de l’article 62 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
Cet article fixe un principe : tout critère doit être à la fois non-discriminatoire et lié à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution. En bref, qu’un tel principe soit respecté et la consultation ne s’expose pas à la critique sur ce point.

Ainsi, le prix, la qualité, les délais d’exécution ou les performances environnementales sont les critères que l’on rencontre le plus souvent et dont la pertinence n’est que rarement sujette à caution.

Il en va différemment d’un nouveau type de « critères » qui fleurit aujourd’hui dans nombre de consultations qu’il nous est donné de voir. Des critères dont la particularité est…de ne pouvoir l’être.
Par-là, nous visons les exigences par lesquelles l’acheteur public se borne à demander aux candidats de…respecter un document du dossier de consultation. Citons pêle-mêle : « DPGF rempli intégralement en quantités et prix unitaires : 15 points » ; « Complétude de l’offre : 10 points » ; « Respect des délais : 20 points » ; « Respect des garanties exigées au cahier des clauses techniques particulières : 25 points » et, last but not least, « Documentation et fiches techniques des matériaux exigés par l’acheteur : 10 points ».

Dans tous ces cas, il ne faut pas s’y tromper, l’administration n’exige rien de plus des candidats que de respecter les règles du jeu. Le hic, si l’on ose dire, c’est qu’elle prétend pouvoir les départager sur cette base. Or, ce faisant, elle commet une double illégalité.

1. D’abord, elle fait du respect d’un document contractuel, un critère d’appréciation de l’offre. Or, une telle exigence ne peut, par nature, faire l’objet d’une intensité susceptible d’être notée. L’alternative est simple : soit le candidat respecte l’exigence posée par l’acheteur (ex : il remplit le DPGF), soit il s’en délie (ex : il ne fournit pas ou une partie seulement des fiches techniques des matériaux imposés par l’acheteur). En d’autres termes, il n’existe pas de respect intermédiaire des exigences imposées par l’acheteur. Ce respect est total ou n’est pas.

2. Ensuite, sanctionner l’irrespect d’une exigence posée par le dossier de consultation par une note, fût-elle de zéro, est contraire au décret du 25 mars 2016. L’article 59 de ce décret précise, en effet, qu’une offre qui ne satisfait pas aux exigences formulées dans les documents de la consultation est irrégulière. Elle doit, dès lors, être éliminée, à moins que l’acheteur en autorise la régularisation (art.59 II et III). En tout état de cause, elle ne peut être notée. En s’en abstenant, l’acheteur commet une illégalité de taille puisque, en dépit de son irrégularité, cette offre restera dans la course. La rupture de l’égalité de traitement des candidats qui en résulte est flagrante.

Est-il besoin de souligner que, sur un plan contentieux, un candidat malheureux sera tenté d’en faire son miel ? Si l’on en croit le juge du référé précontractuel, [1] non sans raison…

Maître Etienne COLSON, Cabinet ADEKWA Avocats e.colson@adekwa-avocats.com

[1TA Saint-Denis de la Réunion, ord., 17 févr. 2010, n° 10-00093 et n° 10-00094, sté Assurco c/région Réunion