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L’utilisation controversée de la visioconférence dans le procès pénal. Par Thibaud Claus, Avocat.
Parution : vendredi 25 mai 2018
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Il apparait difficilement concevable de ne pas être autorisé à être présent lors de son procès pénal. Pourtant, dans certains cas, la loi permet de ne pas présenter physiquement un justiciable face à ses juges, mais d’uniquement le voir et l’entendre par visioconférence. En outre, le projet de réforme de la justice 2018 prévoit l’élargissement du recours à ce procédé.

I. La décision judiciaire hors la présence physique du justiciable.

Il devra être relevé que, en matière pénale, plusieurs « procès » peuvent se dérouler aujourd’hui en dehors de la présence du justiciable.

Il s’agit notamment des audiences de la Chambre de l’instruction en appel des ordonnances du Juge des libertés et de la détention lorsque que la personne placée en détention provisoire a comparu devant ladite chambre dans un délai inférieur à 4 mois (article 199 du CPP) et des audiences de la Chambre de l’application des peines lorsque le justiciable était présent lors de l’audience en première instance devant le Juge de l’application des peines (article 712-13 du CPP).

Ces procédures relativement récentes se déroulent ainsi sans la présence du justiciable, ce qui peut être compliqué à concevoir pour celui-ci s’agissant de « son procès ».

En outre, lorsque par principe le justiciable peut être présent à son procès pénal, sa présence physique n’est pas toujours considérée comme nécessaire et le recours à la visioconférence peut être effectué.

Initialement utilisée pour les audiences avec les territoires d’outre-mer, la visioconférence, dénommée dans les textes « moyens de télécommunications », se développe depuis les années 2000 à tous les stades de la procédure pénale.

En pratique, elle est constituée d’un système d’image et de son. Concrètement, les juges et le justiciable sont faces à un écran surmonté d’une caméra et de micros.

La visioconférence est permise et encadrée par l’article 706-71 du Code de procédure pénale.

L’avocat est pour sa part aux côtés de son client ou dans la même salle que les juges en fonction de son choix.

La visioconférence est principalement utilisée dans le cadre des audiences de personnes placées en détention provisoire dans l’attente de leur procès. Il doit être rappelé qu’elles sont toujours présumées innocentes.

Elle est également utilisée pour les personnes emprisonnées dans le cadre d’un autre dossier, appelées « détenues pour autre cause ».

Ce moyen technique est de plus en plus utilisé au vu des moyens toujours plus limités de la Justice. Il permet en effet de ne pas mobiliser d’escorte ni de véhicule pour amener le justiciable à ses juges.

Mais ce procédé est considéré comme déshumanisant par la majorité des avocats et par de nombreux magistrats. L’échange nécessaire au procès, qui prend notamment en compte la personnalité de l’auteur ou sa prise de conscience vis-à-vis des faits, est en effet grandement limité. L’impression peut également être donnée que le justiciable est déjà condamné et emprisonné avant même son procès pénal.

Il doit être noté que la visioconférence est à ce jour majoritairement soumise à l’accord du justiciable. Ce principe est cependant remis en cause par l’actuel projet de loi.

II. Le recours à la visioconférence soumis à l’accord du justiciable ?

Le recours à la visioconférence a d’abord été très majoritairement utilisé par le procureur de la République et ses substituts dans le cadre des entretiens avant prolongation d’une garde à vue. Ces entretiens ne sont pas juridiquement des audiences pénales et l’avocat n’y est d’ailleurs pas présent.

Ces visioconférences n’appellent que peu d’opposition de la part des avocats.

Ce moyen technique est cependant contesté lorsqu’il s’agit d’audiences importantes telles que les audiences relatives à un éventuellement placement en détention provisoire pendant l’instruction judiciaire ou dans le cadre des audiences de jugement / du procès pénal.

L’article 706-71 du Code de procédure pénale prévoit néanmoins que ces audiences importantes ne peuvent être réalisées par visioconférence qu’avec l’accord du justiciable.

Le principe reste donc que le justiciable puisse être présenté physiquement devant la juridiction.

Il doit toutefois être précisé que lorsque le justiciable a donné son accord pour la visioconférence, il ne peut plus changer d’avis et exiger d’être physiquement présent lors de l’audience [1].

De plus, dans une volonté d’économie de moyens, l’actuel projet de réforme de la justice (2018) comportait en son article 34, l’utilisation de la visioconférence pour la mise en examen devant un juge d’instruction.

Le Conseil National des Barreaux, organisme représentant les avocats dans le cadre notamment des débats sur ladite réforme, a cependant obtenu le retrait de cette disposition.

Mais l’article 35 du même projet de réforme prévoit la fin de la possibilité de refuser la visioconférence dans le cadre d’une audience en vue d’un placement en détention provisoire dans l’attente du procès.

Or, cet article 35 supprimant la possible opposition au recours à la visioconférence persiste à ce jour.

Les avocats continuent toutefois à s’opposer à cet élargissement de l’utilisation de la visioconférence déshumanisant la Justice.

En effet, pour des questions budgétaires et au détriment des droits des justiciables, la visioconférence connait une progression constante et préoccupante.

Thibaud CLAUS Avocat au Barreau de Lyon Spécialiste en droit pénal www.claus-avocat-lyon.com

[1Cass Crim 29/11/2017, n°17-85300