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Précisions sur la décision de refus de l’obstination déraisonnable. Par Audrey Uzel, Avocat.
Parution : jeudi 7 juin 2018
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Alors que l’affaire Vincent Lambert refait surface, une jurisprudence récente du Conseil d’Etat devrait permettre de mieux cerner la procédure à suivre par le médecin qui peut décider de la fin de vie du patient.

En juin 2017, une jeune fille de quatorze ans qui souffrait d’une myasthénie auto-immune sévère a fait un arrêt cardiaque et a été transférée en urgence au centre hospitalier de Nancy. Après plusieurs électroencéphalogrammes et un IRM, l’équipe médicale a constaté une évolution neurologique très défavorable avec de nombreuses et graves lésions cérébrales. Après avoir recherché en vain un consensus avec les parents, le médecin responsable a décidé d’engager la procédure collégiale de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. A l’issue de celle-ci, il a été décidé de l’arrêt des traitements.

Saisi par les parents, le juge du référé-liberté du Tribunal administratif de Nancy, statuant en formation collégiale, a ordonné une expertise confiée à un collège composé d’un médecin-réanimateur et de deux neuropédiatres, avec pour mission de décrire l’état actuel de la patiente, son évolution, d’indiquer son niveau de souffrance, de déterminer si la patiente est en mesure de communiquer de quelque manière ce que soit, de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques, sur le pronostic clinique et sur le caractère raisonnable ou non du maintien de l’assistance respiratoire.

Au vu du rapport d’expertise remis, il a rejeté la demande de suspension de la décision. Ils ont fait alors appel de l’ordonnance devant le Conseil d’Etat, estimant notamment qu’il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie de la jeune fille et que la décision d’arrêt des traitement intervient en désaccord avec l’avis des parents de la patiente.

Le Conseil d’Etat ne leur donne pas raison.

En premier lieu, le Conseil d’Etat fait le point sur la procédure à suivre pour prononcer une décision d’arrêt des traitements.

En vertu de la loi sur la fin de vie, il appartient au médecin en charge d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté d’arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Dans pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu’à l’issue d’une procédure collégiale, destinée à l’éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d’un arrêt du traitement, et, sauf urgence, dans le respect des directives anticipées du patient, ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches.

Quand le patient hors d’état d’exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l’âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s’exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l’article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s’efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l’article 371-1 du code civil, de l’autorité parentale.

Dans l’hypothèse où le médecin n’est pas parvenu à un tel accord, il lui appartient, s’il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en œuvre la procédure collégiale, de prendre la décision de limitation ou d’arrêt de traitement.

La décision du médecin de limitation ou d’arrêt des traitements d’un patient mineur hors d’état d’exprimer sa volonté doit être notifiée à ses parents ou à son représentant légal afin notamment de leur permettre d’exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier que le médecin ne peut mettre en œuvre cette décision avant que les parents ou le représentant légal du jeune patient, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un recours, n’aient pu le faire et obtenir une décision de sa part.

En second lieu, le Conseil d’Etat indique les éléments sur lesquels le médecin doit fonder sa décision pour apprécier si les conditions d’un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies. Il fait application des principes dégagés par sa décision Lambert (v. CE, ass., 24 juin 2014, n° 375081).

Ainsi, « le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. Dans le cas d’un patient mineur, il incombe en outre au médecin de rechercher l’accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, d’agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de l’enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale ».

Il s’agit bien d’une décision fondée sur des éléments médicaux objectifs. C’est pourquoi, si l’avis des parents revêt une importance particulière, leur accord n’est néanmoins pas indispensable.

En l’espèce, le rapport des experts indiquait que le « pronostic neurologique est "catastrophique" et que la patiente se trouve dans un état végétatif persistant, incapable de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage, le caractère irréversible des lésions neurologiques étant certain dans l’état actuel de la science ».

L’état de santé de la patiente étant manifestement irréversible, le Conseil d’Etat valide l’arrêt des soins de l’adolescente.

CE, ordonnance, 5 janvier 2018, n° 416689

Audrey UZEL SELARL KOS AVOCATS Avocats au Barreau de Paris