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Loi « littoral » : modification ou statu quo ? Par Jean-François Rouhaud, Avocat.
Parution : lundi 11 juin 2018
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L’emblématique loi littoral a plus de trente ans.
Son contenu, presque sacralisé, n’a évolué que dans le cadre de situations ponctuelles et exceptionnelles.
Pourtant, son application prétorienne a engendré des difficultés. L’heure du lifting ?

Dans un contexte où l’instabilité de la loi est régulièrement critiquée et l’inflation législative dénoncée, la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, fait preuve d’exception. La loi « littoral » a plus de 30 ans. Les modifications législatives qui lui ont été apportées peuvent quasiment se compter sur les doigts des deux mains. Cette situation est notable tant elle est singulière, à notre époque.

Les velléités pour modifier cette loi n’ont pourtant pas manqué. Plusieurs rapports parlementaires en témoignent. L’un des derniers en date, déposé le 21 janvier 2014, préconisait de créer des « chartes régionales d’aménagement du littoral (CRAL) », afin de doter les territoires d’un « outil d’interprétation de la loi Littoral qui permette de résoudre ses éventuelles difficultés d’application » [1].
De nombreux appels à modifier la loi sont régulièrement lancés dans les médias. Le collectif des « Plumés », en Bretagne, a demandé à plusieurs reprises, ces derniers mois, un assouplissement. Se multiplient par ailleurs les tentatives isolées de parlementaires pour obtenir, par voie d’amendement, la modification de la loi [2].

Un statu quo garant de la préservation du littoral français.

Jusqu’à présent, les évolutions apportées à la loi « littoral » ont été réservées à des situations très ponctuelles et exceptionnelles comme, par exemple, lorsque sont apparus des conflits insurmontables entre les règles d’urbanisme particulières au littoral et d’autres législations. Il y a plusieurs années, le Conseil d’Etat avait mis en lumière une contradiction entre, d’une part, le principe de la loi « littoral » exigeant qu’une construction agricole s’implante en continuité des villages et des agglomérations et, d’autre part, la législation relative aux installations classées imposant qu’une distance d’éloignement soit respectée entre les installations agricoles générant des nuisances et les habitations les plus proches [3].
Il a fallu la loi d’orientation agricole de 1999 pour régler la difficulté et modifier l’article L. 146-4 I du code de l’urbanisme. Désormais, sous certaines conditions, peuvent déroger au principe d’extension de l’urbanisation de l’urbanisation en continuité des villages et des agglomérations « les constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées » [4] . Une intervention assez comparable du législateur s’est imposée plus récemment, à la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 novembre 2012 jugeant que « la construction d’éoliennes devait être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ». La Haute Juridiction a annulé le permis de construire des éoliennes qui ne se situaient pas en continuité d’une agglomération ou d’un village existant [5]. La loi relative à la transition énergétique du 17 août 2015 a réglé la difficulté [6]. Une nouvelle dérogation au principe d’extension de l’urbanisation en continuité des villages et des agglomérations s’applique désormais aux « ouvrages nécessaires à la production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées » [7].

La satisfaction d’intérêts supérieurs a également pu justifier que la loi « littoral » soit adaptée. Ce fut le cas, par exemple, lorsque les pouvoirs publics ont souhaité permettre le développement de l’éolien offshore [8]. Ce fut également le cas pour permettre, à titre exceptionnel, la création de stations d’épuration d’eaux usées avec rejet en mer, non liées à une opération d’urbanisation nouvelle [9].

Les 20.000 kilomètres de côtes françaises ne peuvent, bien évidemment, que se féliciter de cette situation. La loi « littoral » encadre de façon particulièrement drastique et avec une stabilité à toute épreuve le droit de construire sur les communes littorales au travers de règles d’urbanisme tout à fait spécifiques. Là où ces règles ont été mises en œuvre et respectées, un environnement sensible et des paysages ont pu être préservés. C’est probablement ce qui explique qu’au fil des années, la loi « littoral » soit devenue l’une de ces lois emblématiques dont le contenu est désormais sacralisé. Toute idée de moderniser et même, simplement, de discuter le contenu de la loi « littoral » est devenu incongrue, voire taboue, les pouvoirs publics ne souhaitant pas prendre le risque d’un démantèlement de la loi.

Des difficultés dans la mise en œuvre de la loi qui appellent des modifications.

Pourtant, au-delà des incontestables bienfaits de la loi « littoral », se cachent des réalités plus contrastées. Son application repose essentiellement sur l’œuvre prétorienne du Juge qui en interprète les dispositions et en assure une application au cas par cas. Suivre, analyser, comprendre et mesurer les apports de la jurisprudence n’est pas chose facile. Le principe de rétroactivité de la jurisprudence complexifie également la situation : comment comprendre qu’à droit constant, ce qui était permis hier soit interdit aujourd’hui ?

L’effet direct de la loi « littoral » est aussi source de difficulté. En effet, nombre de règles d’urbanisme particulières au littoral sont opposables, juridiquement, aussi bien aux documents d’urbanisme qu’aux autorisations d’urbanisme. Le soin apporté à la confection d’un document d’urbanisme ne garantit donc pas la légalité des autorisations d’urbanisme.
Le piège est réel pour celui ou celle qui ne se fie qu’au contenu d’un plan local d’urbanisme.

Enfin, il est bien légitime que pour parvenir à la protection recherchée, la loi « littoral » ne se contente pas de demi-mesures. Mais on peut parfois se demander si le caractère général et absolu de certaines restrictions ne nuit pas à la recherche de l’équilibre voulu par les auteurs de la loi « littoral », entre préservation et mise en valeur du littoral.
C’est le cas notamment en ce qui concerne le maintien des activités agricoles sur les communes littorales. Si le droit a été introduit, pour les constructions agricoles, de déroger à la règle de continuité avec les agglomérations et les villages, cela ne concerne que les constructions qui sont « incompatibles » avec le voisinage des zones habitées. Toutes les constructions nécessaires aux activités agricoles ne sont donc pas concernées et certaines d’entre elles restent soumises à l’exigence de continuité, très difficile à respecter compte tenu de la pression foncière qui s’exerce en périphérie des espaces urbanisés.

La complexité n’est pas que juridique. La situation engendre des difficultés aux plans social et sociétal, occasionnant des situations humaines délicates. Celle du propriétaire qui a acheté un terrain constructible pour réaliser un projet et qui se retrouve, quelques mois ou quelques années plus tard, inconstructible et qui n’a plus, pour perspective, que de chercher une indemnisation. Il ne s’agit pas d’un cas d’école, malheureusement.
Celle du porteur de projet qui a cru tout faire dans le respect de la loi en se fiant au document d’urbanisme applicable et qui voit son autorisation d’urbanisme annulée sur le fondement d’une loi « littoral » qui s’interpose.
Celle de territoires qui se vident de leurs habitants pour laisser place à quelques privilégiés que l’augmentation du prix des terrains ne dissuade pas. Celle de citoyens confrontés à une application de la loi « littoral » différente d’un département à l’autre parce qu’ils n’ont pas affaire aux mêmes élus, aux mêmes représentants de l’Etat, aux mêmes juges, aux mêmes avocats...

Entre modification et statu quo : le principe d’extension de l’urbanisation en continuité des villages et des agglomérations.

Cette mise sous tension de la loi « littoral », entre modification et statu quo, est illustrée, ces dernières années, par la mise en œuvre de la règle prévue aujourd’hui par l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme : « l’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».
Contrairement aux dispositions propres à la bande des 100 mètres ou aux espaces proches du rivage, cette règle s’applique à l’intégralité du territoire des communes littorales.
Sa formulation est, en apparence, d’une simplicité enfantine. Il a toutefois fallu des années pour que la jurisprudence définisse ce qu’est une « extension de l’urbanisation », un « village », une « agglomération », « un hameau nouveau intégré à l’environnement », mais aussi savoir ce que recouvre la notion de « continuité ».

La circulaire du 14 mars 2006.

Les décisions successives du Conseil d’Etat ont fini par dégager une grille de lecture et d’application de la règle. La circulaire du 14 mars 2006 relative à l’application de la loi littoral en synthétise quelques enseignements.
Selon cette circulaire, les villages « comprennent ou ont compris dans le passé des équipements ou lieux collectifs administratifs, cultuels ou commerciaux, même si, dans certains cas, ces équipements ne sont plus en service, compte tenu de l’évolution des modes de vie ». En ce qui concerne les agglomérations, la circulaire précise que « le législateur a entendu viser toutes les urbanisations d’une taille supérieure ou de nature différente ».
Enfin, après avoir rappelé que « le fait d’édifier une ou plusieurs constructions à l’intérieur d’une ville, d’un village ou d’un hameau ne constitue pas une extension d’urbanisation » [10], la circulaire du 14 mars 2006 distingue un troisième type d’espace, le hameau, en indiquant qu’il peut y être autorisé « l’édification de quelques constructions, à l’intérieur ou à la frange du hameau, à condition que l’implantation de ces constructions ne remette pas en cause la taille relativement modeste du hameau ». Elle précise qu’un « hameau est un petit groupe d’habitations (une dizaine ou une quinzaine de constructions au maximum), pouvant comprendre également d’autres constructions, isolé et distinct du bourg ou du village ».

L’état du droit résumé par cette circulaire est donc assez clair. Trois types d’espaces sont distingués : d’une part, les villages et les agglomérations susceptibles de recevoir des constructions nouvelles [11] soit en densification soit en extension ; d’autre part, les hameaux susceptibles de recevoir des constructions nouvelles uniquement en densification ; enfin, les espaces agricoles et naturels, même faiblement bâtis, ne pouvant accueillir aucune construction nouvelle.

De nombreux PLU littoraux ont été approuvés conformément à ces directives de l’Etat :
- inscrivant des zones d’extension de l’urbanisation aux contours des villages et des agglomérations,
- interdisant toute construction nouvelle en zone naturelle et agricole,
- autorisant des constructions nouvelles au sein de zonages « U » ou de secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées, en zone « N » ou « A », uniquement dans le périmètre des hameaux existants.

Et cette grille de lecture a longtemps guidé l’action des collectivités locales concernées même si, pourtant, elle a rapidement été soumise à l’épreuve de la jurisprudence.
Cela s’explique probablement parce qu’il faudra attendre la fin de l’année 2015 pour que la circulaire du 14 mars 2006 soit abrogée [12].
Cela s’explique peut-être aussi parce que plusieurs années ont été nécessaires pour que, progressivement, les juridictions administratives éclairent la mise en œuvre, au cas par cas, d’une nouvelle position jurisprudentielle.

L’évolution jurisprudentielle amorcée en 2006.

C’est en effet au cours de l’année 2006 et dans une affaire concernant la commune du Lavandou, dans le Var, que le Conseil d’Etat s’est livré à une lecture nouvelle. Se fondant sur « les travaux préparatoires de la loi du 3 janvier 1986 », il a considéré « que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les zones déjà urbanisées, caractérisées par une densité significative des constructions, mais qu’aucune construction ne peut en revanche être autorisée, même en continuité avec d’autres constructions, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées des agglomérations » [13].
La Haute juridiction marquait ainsi sa ferme volonté d’éviter toute assimilation entre un village et une zone d’urbanisation diffuse.

Il restait à déterminer, compte tenu de la diversité du littoral français et de ses différentes formes d’urbanisation, ce qui peut s’apparenter aux « zones déjà urbanisées, caractérisées par une densité significative des constructions » et ce qui peut correspondre à des « zones d’urbanisation diffuse éloignées des agglomérations ».

La jurisprudence des Cours et des Tribunaux est désormais abondante à ce sujet. Mais elle a mis un certain temps à se former. Pour un exemple, la Cour administrative d’appel de Nantes a eu l’occasion de juger, au cours de l’année 2013, que « si le terrain d’assiette de la construction autorisée par le permis de construire en litige, cadastré section E n° 1910, est situé en son centre et est bordé sur ses quatre côtés par des maisons d’habitation cet ensemble épars de constructions ne saurait être regardé comme constituant une agglomération ou un village au sens de l’article L. 146-4, I du code de l’urbanisme » (CAA Nantes, 11 octobre 2013, n° 12NT01355).

La remise en cause de la circulaire du 14 mars 2006 et des pratiques en découlant.

Une telle évolution a anéanti un pan entier de l’appréciation portée par la circulaire du 14 mars 2006 et appliquée pendant plusieurs années par les collectivités locales. Toute construction nouvelle est en effet devenue interdite au sein des « hameaux ».

Le Conseil d’Etat est venu clarifier sa jurisprudence à la fin de l’année 2015, en substituant la notion de « zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions » à celle de « zones déjà urbanisées, caractérisées par une densité significative des constructions » et en rappelant de façon plus explicite qu’« aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages » [14].

D’une mise en œuvre distinguant plusieurs catégories d’espaces (agglomération et village, hameaux et le reste), desquelles découlaient des droits de construire gradués, cette nouvelle approche de la règle conduit à distinguer uniquement deux situations sur la base d’un double critère tenant au nombre de constructions et à leur densité :
- les espaces urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, qui constituent ipso facto des villages et des agglomérations,
- les autres espaces dont font partie les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages, qui n’en constituent pas.

C’est donc le « tout ou rien » qui est privilégié : soit l’espace est caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions et toute construction nouvelle y est admise que ce soit en densification ou en extension ; soit ce n’est pas le cas et aucune construction nouvelle ne peut y être autorisée, que ce soit en densification ou en extension.

Enfin, cette évolution jurisprudentielle pourrait dissimuler un infléchissement par rapport au droit antérieur. Contrairement à l’appréciation retenue par la circulaire du 14 mars 2006, la présence d’équipements publics et de commerce permanents ne semble plus entrer en ligne de compte pour retenir la qualification de village ou d’agglomération, le seul critère déterminant étant celui du nombre et de la densité significatifs des constructions.
Certaines décisions juridictionnelles ont déjà adopté, explicitement, cette nouvelle approche [15].

Au final et en pratique, la possibilité d’édifier des constructions nouvelles serait donc restreinte par rapport à la situation antérieure, les hameaux n’étant plus constructibles. En revanche, le nombre de villages et d’agglomérations susceptibles d’accueillir des constructions nouvelles en densification ou en extension pourrait être élargi, la condition liée à la présence d’équipements ou de lieux collectifs semblant abandonnée.

Cette conclusion reste toutefois formulée au conditionnel car elle semble continuer à faire débat.
En effet, l’instruction du Gouvernement du 7 décembre 2015 [16] abrogeant la circulaire du 14 mars 2006 en est quelque peu éloignée.

Selon la fiche technique annexée à cette instruction et consacrée aux villages et aux agglomérations, « Le village se distingue du hameau par une taille plus importante et par le fait qu’il accueille encore ou a accueilli des éléments de vie collective, une place de village, une église, quelques commerces de proximité (boulangerie, épicerie) ou service public par exemple, même si ces derniers n’existent plus compte tenu de l’évolution des modes de vie » [17].
Pourtant, cette appréciation ne semble plus celle retenue par la jurisprudence, le seul critère déterminant étant, ainsi que cela a été souligné, celui du nombre et de la densité significatifs des constructions [18].

Par ailleurs, selon cette même fiche technique, « sont autorisées : (…) les constructions situées à l’intérieur des hameaux, à condition que l’implantation de ces constructions ne remette pas en cause la taille relativement modeste du hameau et que le hameau ne soit pas en réalité une zone d’urbanisation diffuse » [19].
La référence à la notion de « hameau » d’une « taille relativement modeste » se heurte à la notion d’espace caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions.

Incompréhension et mécontentement.

Une telle évolution suscite incompréhension et mécontentement auprès des acteurs concernés directement ou indirectement par la constructibilité des hameaux. D’une part, la circulaire du 14 mars 2006 censée éclairer l’application de la loi « littoral » a été directement contredite par la jurisprudence. In fine, la circulaire a donc généré plus de confusion que de clarté. L’instruction du 7 décembre 2015 fait également débat. De surcroit, lorsqu’il s’agit de considérer que des espaces constructibles ne le seraient plus, la restriction posée est très difficile à accepter et à faire accepter.

D’autre part, de nombreux documents d’urbanisme communaux ont été révisés au cours des années 2004 à 2008, dans le cadre de la transformation des plans d’occupation des sols en plans locaux d’urbanisme. Ces documents ont été élaborés puis approuvés à la lumière des indications fournies par la circulaire du 14 mars 2006, avant d’être remis en cause par la jurisprudence née en 2006 et clarifiée en 2015. Ainsi et en y ajoutant que de nouvelles équipes municipales sont arrivées aux responsabilités au cours de l’année 2014, à la suite des élections, de nombreux élus des communes littorales se sont retrouvés dans des situations compliquées à appréhender.

Enfin, les décisions des cours et des tribunaux concernant la qualification, au cas par cas, des « espaces urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions », sont nécessairement difficiles à harmoniser d’un territoire à l’autre, d’une juridiction à l’autre, d’un juge à l’autre... A partir de quel nombre de constructions et de quelle densité une telle qualification peut-elle être retenue ? L’appréciation comporte une part importante de subjectivité tant la configuration des espaces concernés, leur situation au sein de chaque commune, leur sensibilité, ne sont jamais les mêmes d’un cas à l’autre. Et bien qu’il assure l’unité de la jurisprudence sur le plan national, le Conseil d’Etat estime en la matière que l’appréciation des juges du fond est souveraine sur les faits qui lui sont soumis, en l’absence de dénaturation. Le sentiment d’iniquité du justiciable est fort.

Il l’est d’ailleurs d’autant plus que la loi ALUR [20] a rapproché le droit commun de l’urbanisme des règles particulières au littoral, en interdisant par principe, en dehors des secteurs déjà urbanisés, toute construction nouvelle sans rapport avec l’activité agricole ou des équipements collectifs [21]. Mais, contrairement aux communes non littorales, les communes littorales n’ont la possibilité d’autoriser l’édification de constructions nouvelles qu’au sein des espaces urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions. Au sein des communes non littorales, des constructions nouvelles sont admises au sein de tous les secteurs urbanisés voire même au sein des zones « A » ou « N », dans des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées et délimités par le PLU à titre exceptionnel [22]. L’incompréhension est d’autant plus forte lorsque des espaces urbanisés inconstructibles, sur des communes littorales, sont situés à une distance importante du rivage de la mer et se trouvent donc dans une situation très comparable à celle des lieux-dits qui peuvent être rendus constructibles sur des communes non littorales.

Au demeurant, certains ont tenté de conférer aux documents d’urbanisme et notamment aux schémas de cohérence territoriale le soin d’harmoniser, sur des périmètres homogènes, la mise en œuvre de la jurisprudence. Ils ont été encouragés en ce sens par les conclusions du Rapporteur public dans l’affaire précitée concernant la commune de Porto-Vecchio [23].
Le Rapporteur public a en effet proposé de « faire primer la voie de l’applicabilité de la loi littoral aux projets soumis à autorisation d’urbanisme par l’intermédiaire du plan local d’urbanisme, sous réserve que ce dernier soit compatible avec les dispositions en cause ». Selon lui, « l’application directe aurait alors un rôle subsidiaire : ce ne serait qu’en l’absence de document local d’urbanisme, faute de son élaboration ou par l’effet de son illégalité (…), que l’autorité administrative devrait s’assurer de la conformité du projet directement avec les dispositions de la loi littoral éventuellement précisée par une DTA » [24].

Le temps d’une analyse dépassionnée.

Cette volonté de conférer aux documents d’urbanisme un rôle plus important dans la traduction de la loi « littoral » a rapidement rencontré des limites. D’une part, une telle démarche est de nature à accroître le risque contentieux pesant sur ces documents. En règle générale, les élus ne le souhaitent pas. D’autre part, en raison de l’effet direct de la loi « littoral » réaffirmé récemment par le Conseil d’Etat [25], les efforts déployés par les documents d’urbanisme ne mettent pas les autorisations d’urbanisme à l’abri d’une mauvaise qualification de l’espace urbanisé en cause.

C’est dans ce contexte que la récente proposition de loi pour adapter les territoires littoraux au changement climatique [26], discutée à l’Assemblée Nationale et au Sénat à la fin de l’année 2016 et au début de l’année 2017, a suscité l’intervention de parlementaires puis du Gouvernement.

Au final, la proposition de loi adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée Nationale le 31 janvier 2017 comporte une disposition visant à modifier l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Cette disposition prévoit que « dans les hameaux existants, identifiés par un plan local d’urbanisme et comprenant un nombre et une densité de constructions significatifs », les règles de la loi « littoral » « ne font pas obstacle aux opérations qui n’ont pas pour effet d’étendre, de renforcer de manière significative ou de modifier les caractéristiques du périmètre bâti ». Une telle rédaction, si elle devait être retenue en cas de poursuite du travail parlementaire déjà engagé, pourrait laisser croire à un retour à l’esprit de la circulaire du 14 mars 2006 autorisant la constructibilité au sein des hameaux existants. Toutefois, à bien y regarder, elle constitue en réalité un retour en arrière par rapport à la jurisprudence actuelle qui admet déjà que des constructions nouvelles puissent être édifiées au sein ou en continuité des « zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions ». La proposition de loi évoque en effet uniquement la possibilité de densifier ces zones déjà urbanisées.

Par ailleurs, ce même texte en projet est assorti d’une autre proposition de modification prévoyant qu’« un décret en Conseil d’État précise les critères de définition des agglomérations, des villages et des hameaux existants comprenant un nombre et une densité de constructions significatifs ainsi que des hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. ». Le pouvoir réglementaire pourrait ainsi vouloir réintroduire une définition du « village » nécessitant l’existence actuelle ou passée d’équipements ou de lieux collectifs administratifs, cultuels ou commerciaux.

Ces péripéties ne sont satisfaisantes ni pour ceux qui les subissent ni pour les défenseurs de la loi « littoral ». Elles rendent l’application de cette loi totalement illisible et source d’une importante insécurité juridique. C’est la raison pour laquelle le temps pourrait être venu, pour le Gouvernement, de procéder à une analyse dépassionnée des difficultés rencontrées et, le cas échéant, des remèdes à y apporter. La loi « littoral » doit permettre de continuer à garantir la préservation du littoral, dans le cadre d’une mise en œuvre apaisée.

NB : cet article a été publié dans la revue Géomètre de juillet-août 2017.

Jean-François Rouhaud Avocat associé, Cabinet Lexcap Spécialisé en droit public et en droit immobilier

[1Rapport d’information n° 297 (2013-2014) de Mme Odette Herviaux et M. Jean Bizet, fait au nom de la commission du développement durable, déposé le 21 janvier 2014.

[2Par exemple, au cours de l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité, un amendement visait à autoriser la densification des hameaux existants situés en dehors des espaces proches du rivage (amendement n° 1341 présenté par MM. Le Ray, Lurton et Le Fur, Assemblée nationale, 1re lecture).

[3CE, 15 octobre 1999, n° 198578 et n° 198579.

[4Cette dérogation est codifiée aujourd’hui à l’article L.121-10 du code de l’urbanisme.

[5CE, 14 novembre 2012, n° 347778.

[6Article 138 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

[7Cette dérogation est codifiée aujourd’hui à l’article L.121-12 du code de l’urbanisme.

[8L’article L.146-6 du code de l’urbanisme a ainsi été modifié pour permettre d’autoriser, au sein des espaces littoraux remarquables, « les canalisations du réseau public de transport ou de distribution d’électricité visant à promouvoir l’utilisation des énergies renouvelables » (article 25 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes).

[9Article 8 de la loi n°94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction. Cette disposition est codifiée aujour- d’hui à l’article L.121-5 du code de l’urbanisme.

[10Dans son arrêt du 7 février 2005, au sujet de la ègle d’extension limitée au sein des espaces proches du rivage, le Conseil d’Etat a en effet considéré « qu’une opération qu’il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens du II de l’article L.146-4 du code de l’urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions ; qu’en revanche la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction ne peut être regardée comme constituant une extension au sens de la loi » (CE, 7 février 2005, n° 264315).

[11En principe, seules les constructions nouvelles sont concernées par la règle d’extension de l’urbanisation en continuité des villages et des agglomérations. L’extension d’une construction existante ne constitue pas une extension de l’urbanisation.

[12La circulaire du 14 mars 2006 a été abrogée par l’instruction du gouvernement du 7 décembre 2015 relative aux dispositions particulières au littoral du code de l’urbanisme (texte non paru au Journal officiel).

[13CE, 27 septembre 2006, n° 275924.

[14CE, 9 novembre 2015, n° 372531.

[15Voir en ce sens CAA Nantes, 5 février 2016, n° 15NT00387.

[16Instruction du gouvernement du 7 décembre 2015 relative aux dispositions particulières au littoral du code de l’urbanisme, NOR : ETLL1511660J (texte non paru au Journal officiel).

[17Page 2 sur 5.

[18Voir en ce sens CE, 30 décembre 2016, n° 398959.

[19Page 4 sur 5.

[20Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

[21Articles L.151-11, R.151-23 et R.151-24 du code de l’urbanisme.

[22Article L.151-13 du code de l’urbanisme.

[23Voir note 13.

[24Conclusions de M. Xavier de Lesquen sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 9 novembre 2015 (CE, 9 novembre 2015, n° 372531).

[25A la suite de la jurisprudence « Commune de Porto- Vecchio », le Conseil d’Etat a rappelé « qu’il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utili- sation du sol mentionnée au dernier alinéa de l’article L.146-1 du code de l’urbanisme, de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la confor- mité du projet avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral » (CE, 31 mars 2017, n° 392186).

[26Proposition de loi pour adapter les territoires litto- raux au changement climatique enregistrée à la prési- dence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2016.