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Le Défenseur des droits rend une décision constatant un harcèlement discriminatoire subi par une salariée de Publicis. Par Frédéric Chhum et Mathilde Mermet-Guyennet, Avocats.
Parution : lundi 11 juin 2018
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Dans une décision très argumentée du 5 avril 2018 (en pdf ci-après), le Défenseur des droits constate que Madame Y, responsable juridique, a fait l’objet d’une discrimination en raison de son état de santé et que la société a manqué à son obligation de protéger la santé physique et mentale de la salariée et en conséquence décide de présenter ses observations devant le Conseil de prud’hommes.

1) Rappel des faits.

Madame Y a été engagée par la société Saatchi et Saatchi en 1983 ; en 2010 son contrat de travail était transféré au sein de la société Re:sources (groupe Publicis).

La collaboration s’est déroulée sans heurt jusqu’en 2013 ; Madame Y d’abord employée en qualité de secrétaire juridique, gravissait les échelons pour être promue Responsable Juridique.

Néanmoins, en 2013, les conditions de travail de la salariée se sont violemment et soudainement dégradées à son retour d’un premier arrêt maladie, d’une durée de 3 mois, nécessité par une intervention chirurgicale cardiaque lourde.

Après une visite médicale de reprise organisée tardivement, le médecin du travail émettait un avis d’aptitude avec réserves ; la durée du travail hebdomadaire devait être réduite à 3 jours par semaine, et Madame Y devait bénéficier de journées de télétravail.

La salariée plaidait que la société ne respectait jamais les préconisations du médecin du travail en refusant d’aménager le poste de Madame Y et d’alléger sa charge de travail, et pire en lui confiant un volume de travail excessif.

Parallèlement, Madame Y plaidait qu’elle subissait jusqu’à son licenciement, le comportement harcelant, de sa hiérarchie, cela manifesté notamment par une mise à l’écart et une stigmatisation de Madame Y au sein de son équipe. A titre d’exemple, la responsable du service décidait d’organiser la réunion hebdomadaire d’équipe, le jour de télétravail de Madame Y.

Finalement, Madame Y se voyait notifier son licenciement le 18 décembre 2015, soit la semaine de Noël sous un prétexte purement fallacieux : avoir rétracté une offre de stage d’une durée de trois mois, auprès d’une candidate juste après avoir confirmé son embauche.

Madame Y saisissait le Défenseur des droits afin de voir reconnue la discrimination dont elle était l’objet et saisissait le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir des dommages-intérêts pour licenciement nul car fondé sur son état de santé, ainsi que des indemnités pour harcèlement et violation de l’obligation de sécurité de l’employeur.

2)Décision du Défenseur des droits (n°2018-104) du 5 avril 2018 : la salariée a subi un harcèlement discriminatoire en raison de son état de santé.

Aux termes de sa décision le Défenseur des droits affirme que : « Les éléments recueillis au cours de l’enquête permettent de considérer que Madame Y n’a pas bénéficié d’aménagement effectifs de son poste, qu’elle a en conséquence fait l’objet d’un harcèlement discriminatoire et que son licenciement pour un motif manifestement disproportionné d’avoir refusé un stage à une candidate, doit s’analyser dans ce contexte comme une mesure d’éviction discriminatoire ».

De même, s’agissant du traitement discriminatoire subi par Madame Y à compter de sa première hospitalisation et de l’obligation qui s’en est suivie d’aménager sa charge de travail, le Défenseur des droits relève que : «  D’autre part, il apparaît que la société Re:sources n’a pas réagi aux alertes que Madame Y a émises sur la dégradation de son état de santé et enfin, que Madame Y a été marginalisée dans un environnement de travail stigmatisant pour les salariés dont l’état de santé est fragilisé, en ce qu’il est perçu comme un moindre investissement professionnel.  » (…)

Le Défenseur des droits constate donc que "Madame Y a fait l’objet d’un harcèlement discriminatoire en raison de son état de santé, dès lors que l’absence d’aménagement de son poste a crée un environnement professionnel ayant eu pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer, à son détriment, un environnement intimidant, hostile, dégradant et humiliant ».

Enfin, concernant, le licenciement de Madame Y, le Défenseur des droits relève que « Aussi, dès lors que la société Re :sources ne présente aucun élément objectif à l’appui du licenciement de Madame Y, et dont il a été démontré qu’il est consécutif à sa marginalisation provoqué par la critique de l’allègement médical de sa charge de travail, il apparaît comme un prétexte pour l’évincer en raison de son état de santé fragilisé et comme un licenciement discriminatoire. A ce titre, il encourt la nullité en application de l’article L.1132-4 du Code du travail. »

Le Défenseur des droits, qui est un amicus curiae, est intervenu volontairement à l’instance prud’homale de la Responsable juridique pour présenter ses observations. (Pdf joint).

L’affaire a été plaidée devant le Conseil de prud’hommes de Paris – section encadrement, le 16 mai 2018 et le délibéré fixé au 27 juillet 2018.

A suivre...

Décision du Défenseur des droits du 5 avril 2018
Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum