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Le contrat de partage des avantages en France. Par Gabrielle Faure-André, Conseil en Propriété Intellectuelle, et Isabelle Lecat, Juriste en Propriété Intellectuelle.
Parution : mardi 12 juin 2018
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Comme nous l’avons expliqué dans nos précédents articles, tout utilisateur de ressources génétiques ou connaissances traditionnelles sous souveraineté française doit, avant d’accéder et utiliser ces ressources/connaissances, accomplir des formalités auprès des autorités françaises, quelle que soit la finalité des travaux envisagés.

Lorsqu’un développement commercial est prévu, une autorisation spécifique doit être délivrée par le ministère chargé de l’environnement, avant d’initier des travaux de recherche. [1]

L’étape essentielle permettant d’obtenir cette autorisation est la mise en place et la négociation, entre l’utilisateur et les autorités compétentes de l’État, d’un Contrat de Partage des Avantages. Le but de ce contrat est d’assurer un juste partage entre fournisseurs et utilisateurs de ressources / connaissances, et de contribuer à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité.

Le présent article vise à clarifier le contenu de ce contrat, la procédure et le timing à prévoir pour obtenir l’autorisation permettant d’initier des recherches impliquant de telles ressources/connaissances dans la perspective d’une exploitation commerciale.

Qui propose les termes de ce contrat ?

C’est à vous, l’utilisateur, de proposer les termes de partage que vous souhaitez mettre en place, en les formulant dans la demande d’autorisation CERFA15785*01 [2] que vous adresserez au Ministère chargé de l’Environnement [3]

Plus précisément, il vous convient de remplir la case n°7 « Modalités de partage des avantages », en proposant vos idées et en présentant vos capacités techniques et financières adaptées à celles-ci.

Une demande peut porter sur plusieurs ressources si (et seulement si) lesdites ressources sont toutes utilisées dans le cadre d’un seul et même projet.

Quel partage des avantages proposer ?

Selon les termes mêmes de la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (ci-après « la loi n°2016-1087 »), ce partage des avantages peut consister en :
a) L’enrichissement ou la préservation de la biodiversité in situ ou ex situ, tout en assurant son utilisation durable ;
b) La préservation des connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques par la création, le cas échéant, de bases de données sur les connaissances traditionnelles des communautés d’habitants concernées, avec leur consentement préalable donné en connaissance de cause, ainsi que la préservation des autres pratiques et savoirs traditionnels respectueux de la biodiversité ;
c) La contribution, au niveau local, à la création d’emplois pour la population et au développement de filières associées à l’utilisation durable des ressources génétiques ou des connaissances traditionnelles associées ou permettant la valorisation de la biodiversité, en lien avec les territoires qui ont contribué à la conservation de ces ressources ;
d) La collaboration, la coopération ou la contribution à des activités de recherche, d’éducation, de formation, de sensibilisation du public et des professionnels locaux, ou de transfert de compétences ou de transfert de technologies ;
e) Le maintien, la conservation, la gestion, la fourniture ou la restauration de services écosystémiques sur un territoire donné ;
f) Le versement de contributions financières.

Les actions mentionnées aux lettres a) et d) seront examinées en priorité. La loi n°2016-1087 ne donne pas d’orientations quant au type d’avantages qui sera privilégié suivant la nature de la ressource concernée : le ministère ou l’autorité compétente peut décider de privilégier un mode plutôt qu’un autre, à sa discrétion.

Ces dispositions ont été insérées dans le chapitre II du titre Ier du livre IV du Code de l’Environnement (en tant qu’Art.412-4, 3°). [4]

D’après l’Article L.412-8, V) de ce Code modifié, les contributions financières susceptibles d’être versées doivent être calculées sur la base d’un pourcentage du chiffre d’affaires annuel mondial hors taxes réalisé et des autres revenus, quelle que soit leur forme, perçus grâce aux produits ou aux procédés obtenus à partir de la ou des ressources génétiques faisant l’objet de l’autorisation. Ce pourcentage ne peut cependant pas dépasser 5 % (quel que soit le nombre de ressources génétiques couvertes par l’autorisation). En dessous du seuil de 1000 euros, aucune contribution financière n’est demandée. [5]

Lorsque le contrat négocié impose le versement de contributions financières, celles-ci seront recueillies par l’Agence française pour la Biodiversité, qui les utilisera exclusivement pour le financement de projets répondant aux objectifs énoncés aux lettres a à d mentionnées ci-dessus [6]

Quels sont les délais à prévoir si les termes proposés sont acceptés par l’État ?

Dans un délai d’un mois à compter de la réception d’une demande d’autorisation CERFA15785*01 complète, le ministère chargé de l’environnement notifie au demandeur le délai retenu pour parvenir à un accord sur le partage des avantages. Ce délai ne peut être supérieur à quatre mois, sauf si le demandeur a indiqué dans sa demande d’autorisation (case 7) souhaiter bénéficier d’un délai plus long.

Dans ce délai, le ministère adressera à l’utilisateur un contrat sur lequel un accord est possible. Ce contrat formalise le consentement préalable donné en connaissance de cause par l’État pour l’utilisation de la ressource génétique en question, pour les fins mentionnées précisément dans le document. Il précise les conditions d’utilisation ainsi que les conditions du partage des avantages découlant de cette utilisation.

Un contrat type est proposé en annexe de l’arrêté du 13 septembre 2017..

Bien que l’État n’ait aucune obligation d’utiliser ce contrat [7], le document qui sera proposé à l’utilisateur sera vraisemblablement basé sur ce contrat type, et les informations contenues dans la demande d’autorisation CERFA15785*01 (utilisation envisagée, modalités de partage, contrepartie, durée, etc.) y seront insérées (éventuellement modifiées / complétées).

Dans cette procédure, toute la négociation a lieu en amont, au stade administratif : le contrat n’est pas un forum de négociation. Dans cette perspective, nous vous conseillons d’être le plus précis et exhaustif possible dès le dépôt de la demande d’autorisation. En effet, on peut difficilement imaginer l’État accepter de nouvelles modalités au stade de la signature du contrat de partage, dont l’objectif est avant tout de formaliser l’accord entériné entre les Parties.

Une fois le contrat signé par les deux parties, le délai d’instruction de la demande d’autorisation ne peut excéder deux mois. [8]

Si, à l’expiration de ces deux mois, aucune décision contradictoire n’a été signifiée par le ministère, alors l’autorisation sera « délivrée d’office » [9] et l’utilisation pourra être initiée en toute légitimité (dans les conditions décrites dans le contrat).

Remarque : il semble que plusieurs documents pourront servir d’autorisation pour effectuer les démarches administratives et légales afférentes au projet. Il peut s’agir, dans un premier temps, du Contrat de Partage des Avantages décrit ci-dessus, signé par les deux parties, puis de « l’arrêté d’autorisation » qui sera vraisemblablement émis ultérieurement par le Ministère [10] et enfin du « Certificat de Conformité » qui sera ultimement fourni par le Centre d’échange international sur la base de l’arrêté d’autorisation français.

Que se passe-t-il si l’État n’est pas d’accord avec les termes proposés dans le formulaire CERFA ?

L’État peut s’opposer à autoriser les travaux de recherche si le partage proposé par le demandeur ne correspond pas à ses capacités techniques et financières.

Les modalités de partage des avantages doivent alors être négociées entre l’utilisateur et l’État.

Cette négociation ne peut pas excéder quatre mois à compter de la date de réception de la demande d’autorisation, faute de quoi la demande d’autorisation est refusée. Il convient alors de soumettre de nouveau une demande d’autorisation permettant de relancer les délais.

Une fois qu’un accord est obtenu, le délai de deux mois [11] est initié et la procédure continue telle que décrite ci-dessus.

Remarque : chaque pays (qu’il soit partie au Protocole de Nagoya ou non) a édicté ses propres règles en matière de partage des avantages. Ainsi la procédure applicable en France ne doit pas être considérée comme « la » règle d’application mondiale ! Il faut donc être vigilant lorsque vos projets impliquent des ressources/connaissances provenant de différents pays.

Quelle publicité sera donnée à ce contrat ?

L’arrêté d’autorisation et le contrat de partage des avantages sont transmis par le ministre chargé de l’environnement (le cas échéant après occultation ou caviardage des informations confidentielles), au Centre d’échange international sur l’accès et le partage des avantages (ABS-CH pour « Access and Benefit-Sharing Clearing-House »), la plateforme mise en place par le secrétariat de la Convention sur la Diversité Biologique [12].

Le contenu du Certificat émis par le Centre d’échange international sera ensuite intégralement publié en ligne sur la plate-forme.

De plus, un résumé de l’ensemble des autorisations délivrées est publié tous les six mois au Bulletin officiel du ministère chargé de l’environnement.

Enfin, les informations contenues dans les déclarations mises en ligne sur la plate-forme "DECLARE" [Cf. notre article de février 2018 ]] seront également régulièrement publiées sous la forme de « communiqués de point de contrôle ».

Il est donc très important de renseigner précisément les informations qui doivent demeurer « confidentielles » dans la case n°8 du formulaire CERFA N°15785*01, pour éviter qu’elles ne soient mises à disposition du public par les autorités compétentes.

Que devez-vous faire pour transférer la ressource génétique autorisée à un tiers ?

Pour transférer une ressource (ou les résultats issus de votre recherche sur cette ressource), il convient de fournir au tiers intéressé toutes les informations que vous avez collectées et tous les documents officiels que vous avez obtenus pour remplir les obligations de partage des avantages (autorisation, demandes effectuées, échanges avec les autorités, numéros d’enregistrement ou identificateur unique, etc.).

En effet, les mêmes obligations s’appliqueront au tiers, en tant que nouvel utilisateur.

Si les modalités du projet de recherche n’ont pas changé, le nouvel utilisateur n’aura pas à demander une nouvelle autorisation pour poursuivre les travaux engagés. Il devra seulement déclarer le transfert de la ressource ou des résultats au ministère chargé de l’environnement, pour mettre à jour les documents afférents à cette autorisation. [13]

Si le tiers souhaite modifier les modalités du projet de recherche, alors il lui appartiendra de déposer une nouvelle demande d’utilisation.

Nous vous recommandons de renseigner précisément l’ensemble des informations relatives au partage des avantages, ainsi que les obligations imposées à chaque partie, dans vos accords de transfert de matériel (MTA).

Comment prendre en compte toutes ces obligations dans le cas de projets multipartites ?

Pour s’assurer de la prise en compte des obligations françaises dans un projet impliquant plusieurs partenaires (académiques et/ou privés), il convient de définir dès le montage du projet le rôle et les responsabilités entre les partenaires, et retranscrire explicitement ces obligations dans les documents encadrant ce projet (accord(s) de collaboration, de consortium, etc.).

Il convient notamment de définir qui procède aux demandes d’autorisation, qui négocie le contrat de partage des avantages, qui rassemble les informations relatives à ces sujets, qui se charge de les transmettre aux tiers, etc.

Il convient également de prévoir comment seront remboursés les financements reçus en cas de manquement aux obligations légales. La responsabilité peut être solidaire ou individuelle selon les négociations de l’accord relatif à ce projet.

Que se passe-t-il si les modalités d’utilisation de la ressource sont modifiées après la signature du contrat ?

Un changement d’utilisation non prévu dans l’autorisation initiale ou un changement notable des informations initialement soumises requiert de déposer une nouvelle demande d’autorisation [14]

Par « changement d’utilisation », il semble que ne soient visés que les changements de domaine d’activité par rapport à l’utilisation initiale de la ressource (par exemple : une utilisation comme ingrédient alimentaire versus son utilisation cosmétique préalablement autorisée). Il faut également que la nouvelle utilisation ait pour objectif un développement commercial.

Nous vous recommandons néanmoins, par mesure de précaution, d’informer le ministère de tout changement d’utilisation envisagé, en transmettant une nouvelle demande d’autorisation.

Il est également conseillé de redéposer une demande pour prolonger la durée de l’autorisation si les travaux de recherche se prolongent de manière imprévue (sauf accord spécifique donné par l’autorité compétente, l’autorisation délivrée est a priori valable pour la durée du projet précis pour lequel elle a été demandée, cf. calendrier fourni dans la case 6 de la demande d’autorisation).

Si le ministère considère que la modification annoncée n’implique pas de revoir le contrat de partage des avantages, aucune réponse ne sera fournie. Dans ce cas, le silence gardé sur cette nouvelle demande plus de deux mois à compter de sa réception vaudra acceptation. Pendant ce délai, le ministère pourra, s’il y a lieu, assortir l’autorisation de prescriptions complémentaires [15]

L’accusé de réception de la nouvelle demande sera le témoin de votre bonne foi et pourra être utilisé comme preuve de l’acceptation par l’État de ce nouveau projet.

Remarque : la notion de « nouvelle utilisation » est hors du champ du Protocole de Nagoya et du règlement européen n°511/2014. Aucune déclaration de diligence nécessaire "DECLARE" ne sera donc à déposer pour cette nouvelle utilisation.

Quelles sont les conséquences en cas d’utilisation non (encore) autorisée ?

La loi française impose qu’aucun projet de recherche à visée commerciale ne peut être initié sans qu’il ait été au préalable autorisé par l’État et qu’un contrat de partage des avantages ait été conclu.

L’État peut s’opposer à autoriser vos travaux si aucun accord n’est envisageable ou si votre activité ou ses éventuelles applications risquent d’affecter la biodiversité de manière significative, restreindre l’utilisation durable de la ressource, ou l’épuiser. [16]

Ne pas respecter la législation française peut avoir des incidences non négligeables sur vos projets.

Des sanctions administratives et pénales sont prévues par la loi n°2016-1087. Notamment, une peine d’un an d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pourra être prononcée pour tout utilisateur de ressources génétiques ou connaissances traditionnelles françaises non autorisé par l’État. L’amende est portée à un million d’euros lorsque l’utilisation des ressources génétiques ou des connaissances traditionnelles française a déjà donné lieu à une utilisation commerciale. [17]

Attention : C’est vous, l’utilisateur (personne physique) qui mettez en jeu votre responsabilité pénale, bien que votre employeur (personne morale) puisse également être mis en cause si sa participation à l’infraction est caractérisée par les agissements de ses organes ou représentants pour son compte.

Vous-même (et/ou votre employeur) pouvez être en outre interdits pendant plusieurs années (au maximum 5 ans) de solliciter d’autres autorisations d’accès en vue de leur utilisation commerciale. [18]

Enfin, le remboursement des fonds publics (français ou européens) vous ayant été versés pour mener les recherches non autorisées peut être exigé. [19]

En cas de différend relatif à l’interprétation ou à l’exécution de ces dispositions légales, le contrat type prévoit que le litige devra être soumis aux juridictions administratives françaises.

Gabrielle FAURE-ANDRE Conseil en Propriété Intellectuelle et Mandataire européens faure-andre@regimbeau.eu Isabelle LECAT Juriste en Propriété Intellectuelle lecat@regimbeau.eu REGIMBEAU www.regimbeau.eu

[1Cf. nos articles de novembre 2017 et de février 2018.

[2Pour des raisons de clarté, le présent article mentionne les travaux impliquant des ressources génétiques françaises, mais les mêmes principes s’appliquent si vous utilisez des connaissances traditionnelles associées à des ressources génétiques. Dans ce cas, le formulaire CERFA15784*01 devra être utilisé.

[4La loi n°2016-1087 et les décrets de mise en œuvre subséquents ont modifié un grand nombre d’Articles et de Règles du Code de l’Environnement. Tous les articles (Art.) et règles (R.) ci-après mentionnés se réfèrent aux parties modifiées de ce code.

[5R.412-20. II. du Code de l’Environnement, modifié par le décret n°2017-848 du 10 mai 2017.

[6Art.L.412-8, VI.

[7R.412-20

[8Art. L.412-8.

[9R.412-22-II

[10R.412-24

[11Art. L.412-8

[12R.412-21

[13Art. L.412-17.

[14Art. L.412-17.

[15R. 412-26.

[16Art. L.412-8.

[17Art. L. 415-3-1. – I.

[18Art. L. 415-3-1. – II.

[19Art. L.412-18.