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La Cour d’appel de Paris s’empare sévèrement du problème des sous-locations illicites sur AirBnB. Par Romain Darriere, Avocat.
Parution : mardi 12 juin 2018
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Ce mardi 5 juin 2018, la Cour d’Appel de Paris a condamné un couple de locataires à rembourser à leur bailleur plus de 28.000 € de loyers perçus en sous-location sur le fondement de l’accession prévu à l’article 546 du Code civil. Une décision très attendue par des propriétaires qui ont souvent la mauvaise surprise de retrouver leur bien proposé à la sous-location sur des plateformes comme AirBnB ou Wimdu sans pour autant pouvoir agir efficacement contre cette pratique.

Dans les faits, il s’agissait d’un propriétaire qui, ayant hérité d’un très bel appartement situé en plein cœur de Paris, à deux pas de Notre-Dame, s’est aperçu que ses locataires proposaient son duplex à la sous-location depuis 2012 sur la plateforme de location entre particuliers AirBnB.

Condamnés par le Tribunal de Grande Instance de Paris à verser au propriétaire la somme de 5.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral, ces derniers ont interjeté appel. Peut-être aurait-il mieux valu pour eux qu’ils en restent là.

Car si la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision de première instance et a validé le raisonnement consistant à dire que le propriétaire a subi un préjudice moral (arbitrairement évalué à 5.000 euros) du fait de l’activité de sous-location illicite, cette dernière a néanmoins contredit les juges du fond sur la question du remboursement des loyers perçus pendant la durée de la sous-location non autorisée.

En effet, la juridiction d’appel a, pour la première fois à notre connaissance et sur la base d’un fondement juridique novateur dans ce genre d’affaires, condamné les locataires à rembourser plus de 28.000 € à leur bailleur.

Le fondement inattendu de l’accession prévue à l’article 546 du Code civil.

Le droit d’accession de l’article 546 du Code civil permet au propriétaire d’un bien immobilier d’en percevoir tous les fruits et l’article 547 du même Code précise qu’il peut notamment s’agir des fruits civils tels que les loyers. Ce sont ces deux articles que le propriétaire a brandi au soutien de sa demande de remboursement, dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris.

Selon les locataires, ces articles du Code civil ne pouvaient toutefois pas être invoqués par le propriétaire pour demander le remboursement des loyers de la sous-location, dès lors que ce dernier percevait déjà les loyers de la location. Ils fondaient leur argumentation sur la théorie de l’enrichissement sans cause.

La Cour ne les a cependant pas suivi. En effet, les juges d’appel ont considéré, au contraire, que les loyers issus de sous-locations illicites sont des fruits civils produits par l’appartement et que, de ce fait, ils doivent nécessairement revenir au propriétaire.

La Cour a ainsi précisé que les locataires d’un bien immobilier ne sont pas autorisés à le faire fructifier, cette prérogative étant celle du propriétaire, donneur à bail.

Seule la jouissance paisible du bien, à savoir l’usus, est dévolue au locataire ; le fructus et l’abusus sont quant à eux réservés au propriétaire, ce qui a été rappelé comme suit : « Les locataires ne pouvaient donc valablement payer au bailleur leur loyer avec d’autres fruits civils produits par l’appartement, car les fruits reviennent tous au propriétaire par accession ».

En d’autres termes, loyers et sous-loyers ne se fondent pas, ils se distinguent.

Par conséquent, il convient de retenir que les locataires sont redevables envers le bailleur tant des loyers que des sous loyers et ce, à chaque fois que le contrat de bail ne prévoit pas de stipulations permettant expressément la sous-location du bien. En effet, l’article 8 de la loi du 6 juillet 1989 interdit en principe la sous location « sauf accord écrit du bailleur ».

Une décision sévère mais attendue.

La décision de la Cour d’appel est extrêmement sévère à l’encontre des locataires mais elle était toutefois espérée de longue date par de nombreux propriétaires qui, jusque-là, ne parvenaient pas à démontrer l’existence d’un préjudice quantifiable et se voyaient souvent débouté de leur demande de remboursement.

C’est ainsi que, dans un jugement en date du 13 février 2014, le Tribunal d’Instance du 9ème arrondissement de Paris avait rejeté les demandes d’un bailleur social aux motifs que ce dernier n’établissait pas « un préjudice financier, ayant reçu son dû, ou moral, et que faire droit à ce chef de demande reviendrait à lui permettre de s’enrichir indûment. » Le tribunal n’avait donc opéré aucune distinction entre loyers et sous-loyers allant même jusqu’à considérer le versement des sous-loyers au propriétaire comme un enrichissement sans cause.

De même, le 31 mars 2017, le Tribunal d’instance du 20ème arrondissement de Paris avait retenu une solution similaire en refusant de concevoir les sous-loyers comme des fruits civils et en considérant là-encore que la demanderesse n’établissait nullement le préjudice personnel qu’elle alléguait avoir subi « étant constant par ailleurs que les défendeurs se sont régulièrement acquittés de leur loyer ».

Enfin, le Tribunal d’Instance du 15ème arrondissement de Paris avait lui aussi considéré, le 19 juin 2017, que « la justification de la demanderesse se rapporte, de fait, au gain commercial réel et indu de la locataire, qui ne fonde pas pour autant le préjudice matériel de la demanderesse », revenant ainsi à dire que les sommes perçues par la sous-location ne constituent pas un manque à gagner et ne reviennent donc pas au bailleur.

Avec son arrêt du 5 juin 2018, la Cour d’appel de Paris prend le contre-pied de ces décisions et clarifie la situation.

Ainsi, le recours à l’accession de l’article 546 du Code civil permet désormais de faire tomber d’un seul et même coup les obstacles qui empêchaient jusqu’alors la pleine perception des sous-loyers par le propriétaire. En effet, Il n’y a pas d’enrichissement sans cause si la cause elle-même est le droit de propriété ; et partant, il n’y a pas de préjudice à démontrer outre celui tiré de la violation du droit de propriété du bailleur par le locataire qui sous-loue le bien. Il faut en convenir, ce préjudice est bien plus aisé à démontrer pour le propriétaire ou le donneur à bail.

Une possible raison à cette sévérité : des locations touristiques entre particuliers constamment en hausse depuis des années.

C’est probablement parce que cette pratique, très souvent illégale, est de plus en plus commune et répandue que la Cour d’appel a entendu y mettre un frein ou du moins tenter de dissuader ceux qui souhaiteraient s’y adonner sans l’accord de leur bailleur. Car en effet, selon un rapport de l’Insee paru le 22 février 2017, les locations touristiques entre particuliers par le biais de plateformes de locations en ligne ont augmenté de 30 % en 2016, soit près de 25,5 millions de nuitées au total pour l’année.

Toutefois, rien ne permet de supposer que cette pratique phare de l’économie participative sera contenue ou résorbée par la seule intervention de la Cour d’appel. Bien au contraire, cette pratique qui génère des revenus confortables, reste pour beaucoup un moyen facile et rapide d’arrondir les fins de mois, si bien que certains, comme la Mairie de Paris, entendent frapper directement à la source du problème : les plateformes elles-mêmes.

Les plateformes de location entre particuliers dans le collimateur de la Ville de Paris.

La Ville de Paris a ainsi indiqué avoir assigné en référé l’américain AirBnB et l’allemand Wimdu devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, l’audience devant se tenir le 12 juin prochain.

En effet, la Mairie de Paris reproche à ces plateformes de ne pas respecter les dispositions de la loi du 7 octobre 2016 dite Loi pour une République Numérique et notamment l’article L.324-1-1 du Code du tourisme introduit par cette législation. En vertu de cette loi, et ce depuis le 1er décembre 2017, tout loueur de meublé touristique peut être tenu de se faire enregistrer et il peut lui être imposé de faire figurer son numéro d’enregistrement sur l’annonce en ligne.

Or, selon la municipalité, les plateformes seraient tenues de n’afficher que des annonces mentionnant ce fameux numéro d’enregistrement et, par dérivation, de supprimer celles dans lesquelles ne figure pas cet identifiant.

La démarche de la Mairie de Paris peut se comprendre. En effet, selon une enquête parue dans le journal Le Figaro et qui concerne le site AirBnB, près de 80% des annonces françaises ne comportent pas le précieux identifiant.

Romain Darriere Avocat au Barreau de Paris Henri de Charon Juriste www.romain-darriere.fr