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Santé et sécurité des travailleurs dans le cadre du télétravail. Par Jean-Marc Noyer, Avocat.
Parution : vendredi 15 juin 2018
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Le Code du travail soumet l’employeur à une obligation de santé et la sécurité à l’égard de ses salariés. Or, l’on peut se demander comment articuler cette obligation aux exigences professionnelles liées au télétravail. De même, lorsque le salarié exerce dans un espace n’appartenant pas à l’entreprise (centre d’affaires, télécentres, espace de co-working), cette problématique demeure. L’interrogation est donc la suivante : comment articuler les exigences professionnelles liées au télétravail et les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité ?

Après un bref rappel des textes instituant les obligations de l’employeur en matière de sécurité et de santé à l’égard des travailleurs (1), il conviendra de s’intéresser plus spécifiquement à l’articulation de ces règles avec le télétravail (2).

1) Les obligations pesant sur l’employeur en matière de sécurité et de santé à l’égard de ses salariés.

L’article 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
"

L’article 4161-1 dispense ainsi une liste de différents risques professionnels. Il s’agit entre autres :
- Des contraintes physiques marquées (Manutentions manuelles de charges, Postures pénibles définies comme positions forcées des articulations) ;
- D’un environnement physique agressif (Agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, Bruit) ;
- De certains rythmes de travail (Travail de nuit dans les conditions fixées aux articles L.3122-2 à L. 3122-5).

En d’autres termes, il incombe à l’employeur d’éviter les risques, d’adapter le travail à ses salariés, de planifier la prévention ou encore d’évaluer les risques qui ne peuvent être évités.

L’article 4111-5 du même Code précise que l’employeur est tenu aux obligations précitées à l’égard de toute personne placée sous son autorité (stagiaire, salariés temporaires).

S’agissant des télétravailleurs, l’article 8 l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 précise que les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et la sécurité au travail leur sont applicables.

Il n’est pas inintéressant de rappeler que les télétravailleurs bénéficient également de la législation relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

2) L’articulation entre les obligations de l’employeur en matière de sécurité et de santé et le télétravail.

Naturellement, l’employeur n’est pas exonéré de ses obligations au seul motif que le salarié exerce son activité en dehors des locaux de l’entreprise.

Il est donc impératif en pratique d’adapter ces dispositions aux travailleurs en situation de télétravail.

Certaines interrogations méritent en effet d’être posées : comment protéger le télétravailleur du tabagisme, de TMS (troubles musculo-squelettiques) ou prévenir les risques d’exposition aux champs électromagnétiques alors que celui-ci travaille en dehors des locaux de l’entreprise ?

L’article 8 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 apporte plusieurs précisions à ce sujet : « L’employeur informe le télétravailleur de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail, en particulier, des règles relatives à l’utilisation des écrans de visualisation. Le télétravailleur est tenu de respecter et d’appliquer correctement ces politiques de sécurité.
Afin de vérifier la bonne application des dispositions applicables en matière de santé et de sécurité au travail, l’employeur, les représentants du personnel compétents en matière d’hygiène et de sécurité (CHSCT ou délégués du personnel dans les entreprises qui en sont dotées) et les autorités administratives compétentes ont accès au lieu du télétravail suivant les modalités prévues par les dispositions légales et conventionnelles en vigueur. Si le télétravailleur exerce son activité à son domicile, cet accès est subordonné à une notification à l’intéressé qui doit préalablement donner son accord. Le télétravailleur est autorisé à demander une visite d’inspection.
 »

En toute logique, le Conseil économique et social devrait pouvoir bénéficier de cet accès au lieu de télétravail.

Par ailleurs, et ce, afin de tenir compte des particularités du télétravail, des accords spécifiques complémentaires collectifs et/ou individuels peuvent être conclus.

De par sa nature, le télétravail peut entraîner :
- Un isolement voir l’exclusion du télétravailleur exerçant depuis son domicile, celui-ci n’ayant plus d’interaction physique avec ses collègues.
- Un risque d’hyperconnectivité du travailleur. Surtout ce dernier pourrait éprouver certaines difficultés à distinguer sa vie privée de sa vie professionnelle.

Quels moyens sont mis à la disposition de l’employeur ?

Pour exemple, les mesures ci-après listées ont été adoptées dans divers accord :
- Demande d’attestation sur l’honneur du salarié de la conformité de son logement ;
- Financement par l’employeur d’un audit de conformité auprès d’un organisme certifié (conformité de la qualité générale de l,’installation, du mobilier, de la connexion internet, de l’équipement etc…) ;
- Obtention par l’assureur d’une attestation pour l’usage du domicile comme lieu de travail ;
- Mise en place d’un numéro d’appel dédié aux télétravailleurs ;
- Désignation d’un tuteur dans l’entreprise pour répondre aux questions du salarié ;
- Faciliter les interactions entre les différents membres d’une équipe au sein d’une entreprise par le biais d’outils collaboratifs (messagerie professionnelle, visio-conférence etc…) ;
- Augmenter le nombre de visites à la médecine du travail à des fins de prévention (attention à bien le préciser dans le contrat de travail et/ou dans l’accord) ;
- Ne pas spontanément proposer le télétravail à domicile et songer au télétravail au sein de centres d’affaire ou d’espaces de coworking.

Cette liste n’est naturellement pas exhaustive et il appartiendra aux entreprises recourant au télétravail d’adapter ces mesures à la nature du poste du salarié.

Jean-Marc Noyer, Avocat au Barreau de Paris.