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Les conséquences de l’obligation de motivation de l’article L424-3 du Code de l’urbanisme. Par Alexandre Bezaud, Avocat.
Parution : lundi 18 juin 2018
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Un avis du Conseil d’Etat précise les conséquences de l’obligation faite à l’autorité administrative par la loi "Macron" du 6 août 2015 d’indiquer l’intégralité des motifs justifiant une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable, notamment au regard du pouvoir d’injonction du juge administratif.

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite « Macron », avait modifié l’article L. 424-3 du Code de l’urbanisme, relatif à la motivation des décisions de rejet de demande de permis de construire ou d’opposition à une déclaration préalable, y ajoutant un deuxième alinéa ainsi rédigé : « Cette motivation doit indiquer l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d’opposition, notamment l’ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6. »

Cet ajout procédait de la volonté, présente dans d’autres dispositions de la loi, de simplifier la procédure permettant d’aboutir à l’obtention d’une autorisation de construire, en limitant la manœuvre pouvant consister, pour l’autorité en charge de la délivrance de l’autorisation, à opposer successivement à un même projet des refus fondés sur des motifs différents.

Cependant, de nombreuses interrogations demeuraient sur les implications procédurales de cette disposition.

La loi ne précisait en effet pas comment serait sanctionné l’irrespect de cette obligation par l’autorité administrative.

Il pouvait être envisagé que l’autorité administrative soit liée par les motifs de refus énoncés dans sa décision dès le stade de l’instance contentieuse, en étant dans l’impossibilité de procéder à une substitution de motifs.

Une telle solution aurait signifié l’abandon de la jurisprudence Hallal [1] dans le cadre du contentieux du refus de permis de construire ou de l’opposition à déclaration préalable.

Un tel cas de figure aurait nécessité une analyse poussée de chaque demande soumise à l’administration, afin de s’assurer de faire état de la totalité des motifs de refus pertinents dès le stade de la décision, dans la mesure où aucun « rattrapage » en cours d’instance n’aurait été possible.

Une autre implication potentielle, plus importante encore, était que le nouvel article L. 424-3 du code de l’urbanisme, couplé à l’article L. 600-2 du code, permettant à un requérant ayant obtenu l’annulation d’une décision de rejet d’autorisation d’urbanisme de voir sa demande réexaminée au regard des conditions de droit en vigueur au moment de sa demande initiale, aurait pu conduire le juge à enjoindre à l’autorité administrative de délivrer l’autorisation sollicitée.

Là encore, cette solution allait à l’encontre de la jurisprudence administrative traditionnelle, qui admet d’enjoindre à l’administration d’instruire à nouveau la demande, éventuellement dans un délai limité [2], mais considère que des conclusions tendant à ce que le juge enjoigne à l’autorité administrative de délivrer le permis sollicité ne peuvent qu’être rejetées. [3]

C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a rendu l’avis n° 417350 du 25 mai 2018.
Saisi d’une requête en annulation d’un refus de permis de construire un centre cultuel musulman sur la commune de Mantes-la-Ville, le Tribunal administratif de Versailles a fait droit à cette requête par jugement du 16 janvier 2018.

Le Tribunal administratif a en revanche sursis à statuer concernant les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte, et a soumis à l’examen du Conseil d’État les questions tenant :
- à la possibilité, dans le nouvel état du droit, de présenter une demande de substitution de motifs ;
- à l’obligation dans laquelle pourrait se trouver le juge administratif d’enjoindre à l’administration de délivrer une autorisation d’urbanisme après avoir annulé un refus de délivrance ;
- à l’influence que pourrait avoir sur l’exercice de ce pouvoir d’injonction la survenance de circonstances de droit ou de fait nouvelles.

La réponse du Conseil d’État apporte de nombreux éclairages concernant la possibilité de procéder à une substitution de motifs (1), et concernant les modalités d’exercice du pouvoir d’injonction du juge (2).

1. Le maintien de la possibilité de procéder à une substitution de motifs.

A la suite de l’arrêt URSSAF [4], l’administration ne pouvait pas invoquer en cours d’instance une substitution de motifs pour sauver une décision fondée sur un seul motif erroné.

Il lui était cependant possible, après annulation, de prendre une nouvelle décision fondée sur ce nouveau motif.

Un revirement de jurisprudence est intervenu en 2004 avec l’arrêt Hallal [5], la juridiction suprême admettant désormais la possibilité pour l’administration d’invoquer en cours d’instance un motif qui n’apparaissait pas dans sa décision, à condition qu’il soit relatif à la situation de droit et de fait à la date de la décision attaquée, que l’administration ait pu prendre la même décision en se basant sur ce seul motif, que le requérant puisse discuter cette substitution et qu’il ne soit pas ainsi privé d’une garantie légale.

Cette jurisprudence s’est rapidement étendue à la majorité des contentieux relevant de la compétence du juge administratif.

L’intervention de la loi du 6 août 2015 posait la question du maintien de cette jurisprudence concernant le contentieux du refus de permis de construire ou de l’opposition à déclaration préalable.

La loi imposant à l’administration d’indiquer l’intégralité des motifs justifiant sa décision, il était possible de considérer qu’elle n’était logiquement plus en droit d’invoquer un motif nouveau dans le cadre de l’instance contentieuse.

L’avis du Conseil d’État écarte sans ambiguïté cette interprétation puisqu’il indique dans son cinquième considérant que, pour apprécier s’il doit faire usage de son pouvoir d’injonction, le juge doit avoir « annul[é] un refus d’autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l’ensemble des motifs que l’autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu’elle a pu invoquer en cours d’instance ».

La contrainte pesant sur l’administration au moment de rendre sa décision s’en trouve donc quelque peu allégée, ou au moins retardée dans le temps.

Il restera possible à l’administration, éventuellement assistée d’un professionnel du droit, de soulever de nouveaux moyens de refus de la demande en cours d’instance.

2. Les modalités d’exercice du pouvoir d’injonction du juge.

Si le Conseil d’État n’interprète pas l’article L. 424-3, 2° du code de l’urbanisme comme impliquant que l’omission par l’administration d’un motif de refus soit sanctionnée par l’impossibilité de soulever ce motif au stade contentieux, il assure en revanche l’effectivité de cette disposition en affermissant le pouvoir d’injonction du juge administratif.

Le Conseil d’État rappelle qu’ « il ressort des travaux parlementaires de la loi du 6 août 2015 que ces dispositions ont pour objet de permettre d’accélérer la mise en œuvre de projets conformes aux règles d’urbanisme applicables en faisant obstacle à ce qu’en cas d’annulation par le juge du refus opposé à une demande d’autorisation d’urbanisme ou de l’opposition à la déclaration préalable, et compte tenu de ce que les dispositions de l’article L. 600-2 du même code cité au point 2 conduisent à appliquer le droit en vigueur à la date de la décision annulée, l’autorité compétente prenne une nouvelle décision de refus ou d’opposition ».

Pour assurer pleinement l’effectivité de cet objectif, les juges du Palais Royal élargissent donc le pouvoir d’injonction du juge administratif.

Lorsqu’une décision de refus d’autorisation ou d’opposition à déclaration fait l’objet d’une annulation, sans que l’instruction ait révélé que les dispositions en vigueur à la date de cette décision empêcheraient la délivrance de l’autorisation sollicitée, le juge doit ordonner à l’administration de délivrer l’autorisation au requérant.

Un changement des circonstances de fait pourrait justifier qu’il ne soit pas fait usage de ce pouvoir d’injonction, puisque l’article L. 600-2 « gèle » uniquement les circonstances de droit applicables à la date de la décision initiale, et non pas les circonstances de fait.

Non seulement le pouvoir d’injonction gagne en intensité, puisqu’il ne porte plus simplement sur le réexamen de la demande, mais sur son acceptation, mais il ne s’agit pas d’une simple possibilité pour le juge.

Dès lors que les conditions énoncées par le Conseil d’État sont remplies, le juge doit faire usage de son pouvoir d’injonction.

Il s’agit donc d’une avancée importante du contentieux du refus de permis de construire et de l’opposition à déclaration préalable, qui permettra de renforcer considérablement l’effectivité des décisions d’annulation rendues par le juge administratif en la matière en réduisant les pratiques d’obstruction administrative à un projet parfois constatées.

Avocat au Barreau de Montpellier alexandre.bezaud.avocat@gmail.com https://bezaud-avocat.fr

[1CE, 6 février 2004, n°240560.

[2Voir CE, 7 juillet 2004, n° 266599.

[3Voir CAA Paris, 20 août 1998, n° 96PA01218.

[4CE, 23 juillet 1976, n° 96526

[5CE, 6 février 2004, n° 240560