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Autorité parentale, réseaux sociaux et publication par le parent séparé de photographies de son enfant. Par Sophia Binet, Avocat.
Parution : mardi 19 juin 2018
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Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, Snapchat, les réseaux sociaux font aujourd’hui partie de notre quotidien, et les enfants sont les grands concernés compte tenu des enjeux commerciaux pour ces plateformes. Beaucoup de parents ou d’enfants y partage des photographies de vacances, vêtements, mets culinaires, évènements, concerts, mais aussi les instants passés en famille. Or, la publication de photographies du quotidien de son enfant sur ces réseaux n’est pas un acte anodin, ce qui explique qu’il est bien un acte non usuel nécessitant l’accord des deux parents.

Article mis à jour par l’auteure en mars 2024.

Publier des photographies du quotidien de ses enfants sur les réseaux sociaux est en effet devenu une pratique courante, à tel point qu’on lui a donné un nom, le « sharenting ». Cette expression anglo-saxonne associe deux mots, « sharing » qui signifie « partage » et « parenting » qui renvoie à l’adjectif « parental ».

Cette pratique peut sembler anodine, mais il convient de se demander si les parents séparés qui postent ainsi des photographies de leurs enfants sur les réseaux sociaux peuvent se voir reprocher de tels actes.

Avant propos : Les avancées législatives en matière de publication de photographies de son enfant.

Loi promulguée.

La loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants a été promulguée le 19 février 2024, et publiée au JO du 20 février 2024.
 [1]

Contexte.

Face aux dangers de surexposition (utilisation par des réseaux de pédophilie, identification de lieux ou d’habitudes, question du droit à l’oubli et conséquence(s) pour l’enfant devenu adulte, etc.), la question du droit à l’image de l’enfant, sa vie privée doit trouver sa place puisque la publication par les parents élude le consentement du mineur.

Il faut préciser que l’atteinte au droit à l’image peut être caractérisée même lorsque l’enfant est simplement « identifiable » par le contexte ou les personnes l’entourant (Civ. 1re, 9 avr. 2014, no 12-29.588).

Il a été voté une loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne (Par exemple, le père ou la mère d’un enfant mineur ou le dirigeant d’un organisme doivent faire une déclaration lorsque l’enfant est le sujet principal de la vidéo).

En 2022, la Défenseur des Droits, Mme Claire Hédon, et le Défenseur des enfants, M. Éric Delemar, ont indiqué dans leur rapport annuel sur la protection des droits des enfants, « les violations du droit à l’image des enfants, composante du droit au respect de leur vie privée, restent en pratique communément admises » (cf. pages 69 et suivantes).

Contenu de la nouvelle Loi du 19 février 2024 : Que change-t-elle ?

Le Code civil a été modifié pour intégrer la notion de « vie privée » dans l’article 371-1 alinéa 2 qui est alors ainsi rédigé « [L’autorité parentale] appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. »

Il s’agit alors d’une consécration légale de l’obligation parentale de veiller au respect de la vie privée de l’enfant, et à ce titre de son droit à l’image, puisque cela résulte précisément des prérogatives issues de l’exercice de l’autorité parentale.

Un article spécifique 372-1 du Code civil vise désormais spécifiquement le fait que les parents protègent le droit à l’image de leur enfant mineur « Les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur, dans le respect du droit à la vie privée mentionné à l’article 9.
Les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité.
 ».

Il est également fait référence à cette disposition dans l’article 226-1 du code pénal prévoyant une sanction pénale par les personnes qui publierait des images d’un mineur sans le consentement des parents.

Ces dispositions précédentes introduisent alors la faculté, désormais plus précise et claire, pour le Juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent.

La nécessité de l’accord des deux parents pour la publication de l’image d’un enfant est précisée sans faire mention des actes usuels ou non usuels, préférant alors une formule plus directe : un 4ème alinéa est créé à l’article 373-2-6 du code civil qui dispose que « Il peut également, en cas de désaccord entre les parents sur l’exercice du droit à l’image de l’enfant, interdire à l’un des parents de diffuser tout contenu relatif à l’enfant sans l’autorisation de l’autre parent. »

Après la diffusion de l’image, dans le cadre d’un contrôle a posteriori, il est prévu une délégation partielle et forcée de l’autorité parentale à un tiers en cas de diffusion de l’image de l’enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale.

La loi créé un alinéa 4 à l’article 377 du Code civil rédigé comme suit « Lorsque la diffusion de l’image de l’enfant par ses parents porte gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de celui-ci, le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou un membre de la famille peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer l’exercice du droit à l’image de l’enfant. »

Que viserait cette « atteinte » ? Les travaux préparatoires ont évoqué « une mise en danger de l’enfant dans sa santé, sa sécurité ou sa moralité » comme le désintérêt manifeste des parents ou la poursuite ou condamnation du parent pour une infraction commise sur la personne de l’autre parent.

Enfin, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est modifiée pour permettre à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de saisir le juge des référés en cas d’atteinte aux droits du mineur.

Il s’agirait alors de demander le blocage d’un site internet qui diffuse des images d’enfants

Il est ajouté au IV de l’article 24 la mention surlignée ci-après « IV.-En cas d’atteinte grave et immédiate aux droits et libertés mentionnés à l’article 1er de la présente loi ou, lorsqu’il s’agit d’un mineur, en cas de non-exécution ou d’absence de réponse à une demande d’effacement des données à caractère personnel, le président de la commission peut en outre demander, par la voie du référé, à la juridiction compétente d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, toute mesure nécessaire à la sauvegarde de ces droits et libertés. »

Les travaux préparatoires visaient ici les cas dans lesquels, par exemple, il était déposé une plainte d’un parent qui n’a pas donné son accord à la diffusion de l’image de son enfant, sans condition toutefois de gravité ou d’immédiateté de l’atteinte.

Les contours juridiques et jurisprudentiels de la question restent les mêmes comme il le sera expliqué ci-après.

1. L’interdiction de publier des photographies du quotidien de son enfant sur les réseaux sociaux sans l’autorisation de l’autre parent.

1.1. Une demande en ce sens a été formulée par une mère dans le cadre d’une procédure de divorce devant la Cour d’appel de Paris. En l’espèce, le père de famille avait publié sur son compte Facebook plusieurs photographies de ses enfants, âgés au jour du jugement de 9 et 6 ans.

Dans un arrêt du 9 février 2017, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la mère et a « interdit à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent ». [2]

La Cour d’appel de Paris précise qu’une telle interdiction s’impose aux fins de « respecter l’exercice conjoint de l’autorité parentale qui nécessite l’accord des deux parents concernant les décisions à prendre dans l’intérêt de l’enfant ».

Sans s’ériger en autorité dictant l’éducation que les parents doivent donner à leurs enfants, la Cour d’appel de Paris paraît exprimer une certaine méfiance à l’égard des réseaux sociaux et des dangers auxquels ils peuvent exposer les enfants si des photographies d’eux y sont publiées.

Elle s’emploie dès lors à prendre toutes les précautions pour protéger les enfants des éventuelles dérives des réseaux sociaux.

Elle donne donc à une pratique extrêmement fréquente, diffuser une photographie banale de son enfant, une importance toute particulière, en admettant implicitement que le fait pour un parent de diffuser une photographie de son enfant sans l’accord de l’autre parent est contraire à l’intérêt de l’enfant puisque l’arrêt était fondé sur l’article 371-1 du Code civil (dans son ancienne rédaction avant la loi du 19 février 2024) qui disposait que « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

1.2. L’autorité parentale est en principe exercée par les deux parents en commun jusqu’à la majorité de l’enfant. L’article 373-2 du même code précise que la séparation des parents est sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale.

Autrement dit, même séparés, les parents continuent d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leurs enfants. C’est le principe de coparentalité qui est ainsi consacré par le Code civil. Ce principe a pour objet de conférer aux deux parents les mêmes droits quant à l’éducation de leurs enfants, qu’ils vivent en couple ou qu’ils soient séparés. L’objectif poursuivi par la loi parait être de conserver ses deux parents à l’enfant, quelles que soient les crises et les conflits entre eux.

Cependant, l’exercice conjoint de l’autorité parentale ne signifie pas que toutes les décisions concernant l’enfant doivent être prises par les deux parents d’un commun accord puisqu’en pratique, il serait impossible d’imposer aux parents de demander l’accord de l’autre pour effectuer tous les actes qu’implique la vie courante de l’enfant.

En faisant interdiction à chacun des parents de « diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent », la Cour d’appel de Paris fait donc de la décision de diffuser des photographies de ses enfants, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur un autre support, un acte non usuel nécessitant l’accord des deux parents.

1.3. La Cour d’appel de Versailles avait déjà eu à se prononcer en ce sens. [3] En l’espèce, un père avait demandé à son ex-femme de cesser de publier des photographies de leur enfant âgé de 4 ans sur son compte Facebook et de supprimer les commentaires et photographies déjà publiés relatifs à l’enfant. Les juges Versaillais ont alors fait droit à cette demande en ordonnant à la mère de cesser de publier tout document concernant l’enfant sans autorisation du père et de supprimer tous les commentaires et photographies de l’enfant déjà publiés sur Facebook.

Pour parvenir à une telle solution, la Cour d’appel de Versailles a retenu que « la publication de photographies de l’enfant et de commentaires relatifs à celui-ci sur le site Facebook ne constitue pas un acte usuel mais nécessite l’accord des deux parents ».

Il en résulte que pour assurer l’effectivité de l’interdiction de publier tout document concernant l’enfant, commentaires ou photographies lorsque le parent désapprouve la publication, il est possible de solliciter devant le Juge aux affaires familiales la cessation de toute publication, ainsi que la suppression, notamment sous astreinte, de tout élément déjà publié sur le fondement de l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant.

1.4. Cette solution se démarque toutefois de la position qu’avait prise la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 4 janvier 2011. [4]

La situation était pourtant strictement identique : une mère demandait à ce que son ex-concubin retire les photographies qu’il avait publiées sur Facebook de leur fille âgée de 6 ans.

Les juges Bordelais ont toutefois rejeté cette demande au motif que « (…) les photographies de l’enfant photographies s’inscrivent dans le cadre de communication personnelle entre amis (photos d’anniversaire de l’enfant) (…) ».

Ainsi, si on s’en tient au raisonnement de la Cour d’appel de Bordeaux, si le parent configure son compte Facebook de manière à ce que les photographies qu’il publie ne puissent être consultées que par ses « amis », il n’aurait pas besoin d’avoir l’accord de l’autre parent pour les publier.

Il faudrait alors, selon cet arrêt, distinguer le cas où les photographies du quotidien de l’enfant sont visibles par un groupe restreint de personnes (acte usuel) et lorsqu’elles sont visibles par tout public, c’est-à-dire par des tiers (acte non usuel).

1.5. Le Code civil fait en effet une distinction entre les actes usuels et les actes non usuels. Seuls les deuxièmes requièrent l’accord des deux parents.

1.5.1. Les actes usuels sont des actes de faible gravité, de la vie quotidienne. D’après la doctrine, l’acte non usuel est celui qui s’inscrit dans la continuité de la vie de l’enfant et n’engage pas son avenir.

L’article 372-2 du Code civil pose une présomption d’accord en cas d’accomplissement par un parent seul d’un tel acte. Autrement dit, si un parent décide seul, d’accomplir un acte usuel relatif à l’enfant, l’autre parent sera présumé avoir donné son accord.

Cependant, cet article précise que la présomption d’accord ne s’applique qu’à l’égard de tiers de bonne foi, ce qui signifie que si les tiers sont informés du désaccord qui existe entre les parents, la présomption d’accord est renversée et l’acte ne pourra pas être accompli.

Ont notamment été considérés par la jurisprudence, comme des actes usuels :
- l’accomplissement de démarches administratives ;
- la réinscription dans un établissement scolaire ou l’autorisation d’effectuer des sorties scolaires, l’établissement d’un passeport pour l’enfant mineur [5] ;
- des consultations ponctuelles et d’une durée limitée chez un psychologue constituent [6].

1.5.2. Les actes non usuels, nécessitent, quant à eux, l’accord systématique des deux parents, en raison de leur gravité ou de leur caractère inhabituel. Un parent ne peut pas sans l’autre accomplir de tels actes. Les parents sont donc amenés à trouver un terrain d’entente pour effectuer ces actes. En cas de désaccord persistant entre les parents, c’est au Juge aux affaires familiales qu’il reviendra de prendre la décision d’accomplir tel ou tel acte.

Une proposition de loi non suivie d’effet du 1er avril 2014 avait proposé de définir l’acte non usuel comme étant « L’acte qui rompt avec le passé et engage l’avenir de l’enfant ou qui touche à ses droits fondamentaux ».

Ont notamment été considérés par la jurisprudence, comme des actes non usuels :
- la scolarité et l’orientation professionnelle ;
- les sorties du territoire national, la religion, la santé, les autorisations de pratiquer des sports dangereux ; [7]
- le fait d’adjoindre, à titre d’usage, au nom de l’enfant, le nom de celui des parents qui ne lui a pas transmis le sien, les actes médicaux sur la personne de l’enfant ; [8]
- les actions en justice exercées au nom de l’enfant mineur ; [9]
- les actes de disposition de nature à appauvrir et à modifier de façon permanente le patrimoine de l’enfant ; [10]
- les décisions relatives à l’engagement de frais importants d’inscription de l’enfant dans un établissement privé ; [11]
- le changement de nationalité de l’enfant ; [12]
- le choix de la religion dans laquelle l’enfant sera éduqué. [13]

1.5.3. : La loi du 19 février 2024 sans référence à cette distinction d’acte usuel/non usuel ajoute à l’article 373-2-6 du code civil un 4ème alinéa inscrivant clairement la nécessité de l’accord des deux parents pour la publication de l’image d’un enfant.

2. Quid lorsque le parent séparé ouvre un compte au nom de l’enfant mineur ?

2.1. Il peut également arriver qu’un parent séparé décide, sans l’accord de l’autre, d’ouvrir un compte au nom de son enfant mineur sur un réseau social tel que Facebook.

Même si dans ses conditions générales d’utilisation, Facebook interdirait de créer un compte aux mineurs de moins de 13 ans, il semblerait que ce réseau ne procède à aucune vérification de l’âge de ses utilisateurs et ne demande aucune autorisation des titulaires de l’autorité parentale lors de l’inscription.

Il serait donc en pratique possible pour un parent de créer un compte Facebook au nom de son enfant mineur, sans l’accord de l’autre.

Dans un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence du 2 septembre 2014, la question s’est posée de savoir si le parent séparé, qui n’a pas donné son accord à l’ouverture du compte Facebook de son enfant mineur, pouvait en demander la clôture.

En l’espèce, un père avait demandé à ce qu’un compte ouvert au nom de son enfant âgé de 7 ans par sa mère soit supprimé. La mère prétendait que ce compte n’était pas utilisé par l’enfant et avait simplement été créé pour qu’il puisse jouer à des jeux sur sa tablette. Les magistrats Aixois ont toutefois accueilli la demande du père et condamné la mère à clôturer ce compte dans les 10 jours à compter de la signification de l’arrêt et, passé ce délai, sous astreinte. [14]

Cette décision s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence déjà établie, notamment par un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Agen le 16 mai 2013 dans lequel, sans en ordonner la clôture, les juges Agenais avaient considérés que l’ouverture par une mère d’un compte Facebook au nom de sa fille de 10 ans était de nature à la mettre en danger. [15]

2.2. Cependant, ce type de contentieux pourrait théoriquement moins se poser compte tenu de l’adoption, le 14 mai dernier, du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

Dorénavant, une « majorité numérique », c’est-à-dire un âge à partir duquel le mineur n’a plus besoin d’une autorisation parentale pour ouvrir un compte à son nom sur un réseau social, est fixée à 15 ans.

Un mineur de moins de 15 ans devrait donc théoriquement obtenir une autorisation des titulaires de l’autorité parentale pour pouvoir créer un compte Facebook et un parent seul ne pourra pas décider d’ouvrir un compte Facebook à son enfant, en se dispensant de l’accord de l’autre. Reste à voir comment le parent pourra contraindre l’autre en pratique...

3. Quid du droit à l’image de l’enfant et de l’exercice de l’autorité parentale ?

3.1. L’image est un des attributs de la personnalité. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « Toute personne a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion sans son autorisation ». [16]

Chacun a droit de s’opposer à l’utilisation ou à la diffusion de son image. L’utilisation ou la diffusion de l’image d’autrui suppose donc son consentement.

Lorsque la personne qui apparait sur l’image est mineure, il est nécessaire de recueillir l’autorisation des titulaires de l’autorité parentale. [17]

Il faut néanmoins s’intéresser à l’articulation entre l’atteinte à l’exercice de l’autorité parentale et l’atteinte au droit à l’image.

3.2. Dans un arrêt du 10 septembre 2013, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a retenu que « le juge aux affaires familiales n’a pas compétence, aux termes des dispositions de l’article L 213-3 du code de l’organisation judiciaire pour statuer sur les actions relatives à la protection de l’image des enfants mineurs ». [18]

En l’espèce, une mère avait demandé à ce que son ex-mari supprime les photographies qu’il avait posté de leurs deux enfants âgés de 10 et 8 ans sur son compte Facebook.

La Cour d’appel d’Aix-en-provence a déclaré que le juge aux affaires familiales était bien incompétent pour statuer sur les demandes de la mère fondées sur le droit à l’image et non sur l’autorité parentale.

Cette solution paraît logique. L’atteinte au droit à l’image est sanctionnée sur le fondement de l’article 9 du Code civil, qui consacre le droit au respect de la vie privée, le Juge aux affaires familiales n’étant pas le Juge du droit commun compétent pour statuer sur le droit à l’image mais sur le respect ou non, de l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

3.3. L’atteinte au droit à l’image en tant que telle peut toutefois donner lieu à des sanctions civiles, voire pénales.

Au plan civil, l’atteinte au droit à l’image est sanctionnée des mêmes peines que l’atteinte au respect de la vie privée, soit par l’attribution de dommages et intérêts et/ou par la prescription par le juge de toutes mesures visant à faire cesser l’atteinte.

Si l’image a été prise dans un lieu privé, l’agent s’expose même à des sanctions pénales. L’article 226-1 2° du Code pénal a été précisé par la loi du 19 février 2024 et incrimine en effet « le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ».

Cet article ajoute dans l’alinéa 6 in fine, une référence à l’article 372-1 du Code civil si les actes ont été accomplis sur la personne d’un mineur auquel cas il est nécessaire d’avoir le consentement des titulaires de l’autorité parentale, protecteurs de la vie privée de l’enfant.

Les peines ne sont pas négligeables, l’auteur d’une atteinte au droit à l’image étant exposé à une peine d’un an d’emprisonnement et 45.000€ d’amende.

3.4.

La situation s’est présentée notamment devant les Tribunaux étrangers, notamment en Autriche et en Italie.
En septembre 2016, une jeune femme Autrichienne de 18 ans a déposé plainte contre ses parents et elle leur a reproché d’avoir attenté à sa vie privée et à son droit à l’image en publiant près de 500 photographies d’elle sur Facebook alors qu’elle était encore mineure.
De même, en janvier 2018 le Tribunal civil de Rome a ordonné à une mère de retirer les photographies qu’elle avait publiées de son fils enfant sur Facebook. Celle-ci a en outre été condamnée à devoir verser 10.000 € de dommages et intérêts si elle ne s’exécute pas ou si elle publie de nouvelles photographies.
A notre connaissance, la situation ne s’est pas encore présentée en France, les générations exposées ainsi sur les réseaux sociaux étant peut être encore trop jeunes pour pouvoir intenter une telle action en justice contre leurs parents, sous réserve du délai de prescription.

En résumé.

Notre société tournée vers l’image, a amené le Législateur à se pencher sur la question du droit à la protection de la vie privée des enfants, du traitement de leur image sur les réseaux sociaux, surtout quand on sait que plus de 300 millions de photographies sont diffusées chaque jour sur ces plateformes, et qu’un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches.

Cette loi du 19 février 2024 est un premier grand pas pédagogique vers un apprentissage raisonnable et cadré juridiquement de l’utilisation de l’image et de la vie privée des enfants par les parents sur les réseaux sociaux.

Pour nous, praticiens, nous pourrons adapter et préciser dans nos actes ces articles - repris également par les Juges dans leurs décisions - afin que cette pratique banale de l’utilisation de l’image des enfants, qui n’est pas sans risque, puisse être mieux comprise par nos clients, et ce pour éviter les dérives (diffusion d’image pouvant porter préjudice sur le long terme, utilisation détournée par des réseaux pédophiles ou encore risques psychologiques chez les enfants).

Quant à l’utilisation des recours devant nos Tribunaux, il faudra voir si le contentieux n’est pas mis au second rang ce qui est probable au vu de l’engorgement des contentieux en matière familiale et en matière d’assistance éducative face à des dossiers présentant des violences immédiates causées à l’enfant et auquel le juge doit répondre urgemment.

Reste à voir de quoi l’avenir sera fait.

Sophia Binet Avocat au Barreau de Paris [->contact@binet-avocats.com] www.binet-avocats.com

[2CA Paris, Pôle 3, chambre 4, 9 février 2017, n° 15/13956.

[3CA Versailles, 2e ch. Sect. 1, 25 juin 2015, n°13/08349, JurisData n 2015-015861.

[4CA Bordeaux, 4 janvier 2011, n° 09/00788.

[5CA Lyon, 24 mai 2016 : JurisData n° 2016-010179

[6Quest. n° 66112 : JO 14 oct. 2014 ; JO 24 févr. 2015 ; CA Rennes, 6e ch. B, 7 janv. 2014, n° 12/07471, inédit. ; CA Bastia, 27 nov. 2013, n° 12/00982, inédit.

[7CA Douai, 16 juillet 2015, n° 14/06791, JurisData n° 2015-017240.

[8CE, 7 mai 2014, JurisData n° 2014-009605.

[9CAA Paris, 23 févr. 2012, n° 10PA04232 , inédit. - CA Versailles, 31 janvier 2013, n° 11/03284, JurisData n° 2013-004990

[10CA Aix-en-Provence, 20 févier 2014, JurisData n° 2014-004097.

[11CA Versailles, 26 juin 2014, n° 13/03781, inédit.

[12CA Nouméa, 25 juin 2012, JurisData n° 2012-024152, approuvé par Cass. 1ère civ., 4 décembre 2013, n° 12-26161, JurisData n° 2013-027970

[13CA Paris, 17 juin 2004, JurisData n°2004-255819.

[14CA Aix-en-Provence, 6e ch. C, 2 septembre 2014, n° 13/19371 Jurisdata 2014-019786.

[15CA Agen, ch. mat. 1, 16 mai 2013, n° 11/01886, JurisData n°2013-009716.

[16Cass. Civ. 1ère, 27 février 2007, n° 06-10393

[17Cass. 1ère civ., 12 décembre 2000, n°98-21.311, X. c/ Julien, Juris-Data n° 2000-007309, Cass. 1ère civ., 12 juillet 2006, n°05-14.831, FS-P+B, Sté Hachette Filipacchi assoc. c/ Mme X., Juris-Data n° 2006-034563.

[18CA Aix-en-Provence, 6e ch. C, 10 septembre 2013, n°13/01400, Jurisdata 2013-024828.

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