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Salariés, cadres, cadres dirigeants, accords de performance collective et forfait jours : comment ça marche ? Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.
Parution : mardi 19 juin 2018
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Les accords de performance collective ont été mis en place par l’article 3 de l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017.

Ils ont pour spécificité de prévaloir sur les clauses du contrat de travail individuel y compris dans un sens défavorable au salarié.

Or, à l’occasion de la loi nº 2018-217 du 29 mars 2018 de ratification des ordonnances Macron, les parlementaires ont ajouté une disposition qui a suscité de vifs débats puisqu’elle permet à ces accords de modifier ou de mettre en place des forfaits annuels en jours (article L2254-2 du Code du travail).

1) Qu’est-ce qu’un accord de performance collective ?

1.1. Objet de l’accord : répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi.

L’accord de performance collective est un accord collectif conclu « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi » et dont les stipulations se substituent aux clauses contraires ou incompatibles du contrat de travail individuel. (Art. L. 2254-2, I du Code du travail)

1.2. Un accord majoritaire.

Il regroupe et remplace les anciens dispositifs existants : les accords de maintien dans l’emploi, les accords de préservation ou de développement de l’emploi, les accords de réduction de la durée du travail et les accords de mobilité interne.

Pour être valable, l’accord de performance collectif doit recueillir la signature d’une ou plusieurs organisations syndicales ayant obtenu plus de 50% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles.

1.3. Accord de performance collective : exception au principe de faveur !

Les stipulations de l’accord ainsi concluent se substituent de plein droit aux clauses contraires ou incompatibles du contrat de travail. (Art. L. 2254-2, III du Code du travail)

Il s’agit donc là d’une exception au principe de faveur puisque les stipulations de l’accord collectif prévaudront sur les clauses du contrat de travail, peu important qu’elles soient plus ou moins favorables au salarié.

1.4. En cas de refus par un salarié : licenciement sui generis.

Le salarié pourra toujours refuser l’application des stipulations de l’accord et la modification de son contrat de travail qui s’ensuit dans un délai d’un mois suivant la date à laquelle l’employeur l’aura informé de l’accord et de son contenu. (Art. L. 2254-2, IV du Code du travail)

Le cas échéant, l’employeur dispose d’un délai de deux mois pour prononcer le licenciement, le refus du salarié constituant un motif de licenciement sui generis qui emporte les mêmes conséquences qu’un licenciement pour motif personnel outre l’abondement du compte personnel de formation à hauteur de 100 heures minimum. (Art. L. 2254-2, V du Code du travail)

2) L’insertion d’un forfait jours par un accord de performance collective.

L’accord collectif peut parfaitement prévoir la mise en place d’un forfait annuel en jours puisque l’article L.2254-2 du Code du travail vise précisément l’aménagement de « la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ». (Art. L. 2254-2, I du Code du travail)

Toutefois, la mise en place d’un forfait jours demeure subordonnée aux conditions afférentes à ce mode d’organisation du travail prévues aux articles L. 3121-53 à L.3121-66 du Code du travail : « Les articles L. 3121-53 à L. 3121-66 s’appliquent si l’accord met en place ou modifie un dispositif de forfait annuel, à l’exception de l’article L. 3121-55 et du 5° du I de l’article L. 3121-64 en cas de simple modification. » (Art. L. 2254-2, II, 4° du Code du travail)

2.1. Nécessité d’une convention de forfait jours écrite.

L’accord de performance collective ne permet donc en aucun cas à un employeur d’imposer au salarié de passer sous forfait jours.

L’employeur est toujours tenu de conclure une convention individuelle de forfait par écrit avec le salarié dont il doit obtenir le consentement exprès.

Sur ce point, la Direction générale du travail a d’ailleurs pu préciser que le refus du salarié de signer une convention de forfait, même sur le fondement d’un accord de performance collective, ne saurait constituer un motif de licenciement. (cf. Liaisons Sociales 4 juin 2018 : L’accord de performance collective peut-il imposer un forfait annuel à un salarié ?)

2.2. Suivi de la charge de travail du salarié sous forfait jours.

De même, la mise en place d’un forfait jours ne dispense pas l’employeur de réaliser un entretien annuel de suivi du forfait jours.

2.3. Attention : toujours pas de forfait jours pour les salariés en travail « posté ».

Surtout, l’employeur ne peut toujours pas soumettre n’importe quel salarié à un forfait jours. Seuls y sont éligibles soit les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ; soit les salariés qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. (Art. L.3121-56 du Code du travail)

Un tel dispositif est donc exclu pour l’ensemble des emplois postés (assistante, comptable, etc.).

3) La modification d’un forfait jours par un accord de performance collective.

La situation est en revanche très différente lorsqu’il s’agit, par le biais de l’accord collectif, non pas d’insérer un forfait jours mais de modifier un forfait jours déjà existant.

En effet, l’article L.2254-1 du Code du travail exclut, en cas de simple modification du forfait annuel en jours, l’application des articles L. 3121-55 (nécessité d’obtenir l’accord du salarié et de conclure d’une convention individuelle écrite) et du 5° du I de l’article L. 3121-64 du Code du travail (nécessité pour la convention individuelle de fixer le nombre de jours compris dans le forfait). (Art. L. 2254-2, II, 4° du Code du travail)

Dès lors, l’accord de performance collective peut valablement modifier le nombre de jours prévus par le forfait et le salarié qui est concerné par cette modification dispose d’un mois pour la refuser.

Le cas échéant, il pourra être licencié dans les conditions précédemment exposées (cf. § 1.4 ci-dessus).

Toutefois, le salarié pourra toujours contester la validité de son forfait initial pour non-respect des conditions classiques de recours au forfait jours devant le Conseil de prud’hommes.

D’autant plus que s’il obtient gain de cause sur ce point, il sera alors possible de plaider que le licenciement fondé sur le refus de la modification d’un forfait jours non valable est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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