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Le retrait des actes non réglementaires non créateurs de droits. Par Thibaut Philippon, Avocat.
Parution : mardi 19 juin 2018
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La disparition juridique rétroactive d’un acte administratif répond à des conditions précises dont la maîtrise s’avère essentielle dans la pratique du contentieux du droit public.

Les règles relatives au retrait peuvent sembler absconses aux juristes non avertis dès lors qu’elles varient en fonction d’une quadruple dichotomie : la qualité de la personne sollicitant le retrait ou l’abrogation de l’acte administratif en cause, sa nature règlementaire ou individuelle, son caractère légal ou illégal ainsi que son éventuelle capacité à créer des droits à l’égard de son destinataire.

Sur ce dernier point, il convient de préciser que sont créateurs de droits, les actes administratifs individuels qui donnent à leurs bénéficiaires un droit acquis à leurs maintiens sans qu’il y ait la possibilité pour l’administration, en principe, de les remettre en cause. Les décisions individuelles dont le bénéfice est soumis à certaines conditions sont créatrices de droits dès lors que ces conditions sont remplies mais perdent cette qualité dans le cas contraire (par exemple, une autorisation d’exploiter un débit de boissons constitue une décision créatrice de droits dont son bénéficiaire peut se prévaloir tant qu’il respecte les règles établies par le Code des débits de boissons).

D’autres actes ne sont jamais créateurs de droits dès lors que les destinataires de ces décisions n’ont aucun droit acquis à leur maintien. Cette catégorie d’acte administratif concerne en premier lieu les actes règlementaires et les décisions d’espèce.
Les décisions d’espèce sont des actes administratifs unilatéraux qui, bien que ne visant pas une personne ou une catégorie de personnes en particulier, ne constituent pas pour autant des actes de nature réglementaire. Elles ont uniquement pour objet « d’appliquer une réglementation préexistante à un cas concret sans procéder, en tant que telles, à une subjectivisation de leurs effets » (Valentin Vince, « l’introuvable notion d’acte créateur de droits ? », AJDA 2017, p. 2181).
Autrement posé, il s’agit de décisions qui édictent des normes d’espèce, des normes particulières quoiqu’impersonnelles, qui se rapportent à une situation ou à une opération déterminée. Il peut s’agir d’un arrêté constituant une commission de remembrement, d’une déclaration d’utilité publique, d’une décision de découpage des circonscriptions électorales, d’une décision portant reclassement d’une section de route, d’un arrêté ministériel autorisant l’ouverture d’un concours etc. L’article L. 221-7 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) évoquent des décisions « ni réglementaires ni individuelles ».

D’autres décisions administratives, bien qu’individuelles, sont insusceptibles de créer des droits à l’égard de leurs destinataires. Cela concerne, notamment, les actes de nominations sur des emplois à la décision du gouvernement [1] ou sur des postes de directeurs de certains établissements publics de l’État pour lesquels une révocation ad nutum est autorisée [2]. Rentrent également dans cette catégorie, les actes inexistants [3] ou obtenus par fraude [4].

Les règles relatives à l’abrogation et au retrait des actes administratifs, jusque là largement définies par la jurisprudence, ont fait l’objet d’une codification avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, du Code des relations entre le public et l’administration.
Les dispositions de ce code relatives à l’abrogation sont pleinement applicables, pour l’ensemble des actes administratifs, depuis le 1er juin 2016. Les dispositions relatives au retrait ne s’appliquent toutefois qu’aux actes administratifs édictés depuis le 1er juin 2016.

La présente publication vise à fixer les règles relatives au retrait des actes administratifs non réglementaires et non créateurs de droits, qu’ils soient légaux (A) ou illégaux (B).

Etant précisé que l’ensemble de ces règles sont valables sous réserve des exigences découlant du droit de l’Union européenne et de dispositions législatives et réglementaires
spéciales (article L. 241-1 du CRPA). En outre, tout acte administratif unilatéral, peu
importe sa nature, peut être abrogé ou retiré à tout moment lorsqu’il a été obtenu par
fraude (article L. 241-2 du CRPA).

A/ Le retrait des décisions légales non réglementaires non créatrices de droits.

Le principe de sécurité juridique, érigé en principe général du droit par le Conseil d’État
 [5], sous l’influence de la jurisprudence traditionnelle de la Cour de justice de l’Union européenne [6], vise notamment à protéger les droits acquis par les administrés en raison des actes administratifs unilatéraux pris par l’administration. Toutefois, certaines décisions individuelles et l’ensemble des décisions d’espèces sont insusceptibles de créer des droits au profit de leurs destinataires.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’État autorisait l’administration à prononcer, sans condition de délai, le retrait des décisions non créatrices de droits, même devenues définitives, pour tout motif, et pas seulement dans les seules hypothèses d’illégalité [7].

Toutefois, le CRPA semble aujourd’hui être revenu sur cette jurisprudence, puisque son article L. 243-3 interdit aujourd’hui formellement le retrait d’un acte non réglementaire non créateur de droits légal. Tout au plus l’article L. 243-4 du même code permet-il le retrait, sans condition de délai, de toute mesure administrative à caractère de sanction.

Cependant, les règles du CRPA relatives au retrait n’étant applicables qu’aux actes administratifs édictés depuis le 1er juin 2016, les règles jurisprudentielles susmentionnées ne semblent pas devoir être définitivement écartées.

B/ Le retrait des décisions illégales non réglementaires non créatrices de droits.

Le Conseil d’Etat, privilégiant le principe de légalité sur celui de sécurité juridique, permettait que l’administration retire, sans condition de délai, un acte administratif illégal non réglementaire et non créateur de droits pour son destinataire [8].

Toutefois, le CRPA, dans un souci de simplification et d’harmonisation des conditions de retrait des actes non réglementaires non créateurs de droits et des actes réglementaires est venu modifier cette jurisprudence. Ainsi, l’article L. 243-3 de ce code n’autorise aujourd’hui l’administration à retirer un acte illégal non réglementaire non créateur de droits que dans le délai de quatre mois qui suit son édiction.
Ce nouveau délai semble s’aligner sur la jurisprudence traditionnelle relative au retrait des décisions explicites individuelles illégales créatrices de droits [9].

Par exception, l’article L. 243-4 du même code autorise néanmoins le retrait de toute mesure administrative à caractère de sanction sans condition de délai.

Encore faut-il préciser que, les règles du CRPA relatives au retrait n’étant applicables qu’aux actes administratifs édictés depuis le 1er juin 2016, les règles prétoriennes susmentionnées relatives au retrait des actes illégaux non réglementaires non créateur de droits ne semblent pas encore devoir être définitivement écartées.

Thibaut PHILIPPON, Avocat. https://www.philipponavocat.com

[1CE, 14 mai 1986, Rochaix, n° 60852.

[2CE Ass. 22 décembre 1989, Morin, n° 82237.

[3CE, 18 mars 1998, M. Khellil, n° 160933.

[4CE, 29 novembre 2002, Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, n° 223027.

[5CE, 24 mars 2006, Société KPMG, n° 288460.

[6CJCE, 14 juillet 1972, Azienda Colori Nazionali c. Commission, n° C-57/69.

[7CE Ass., 29 avril 1994, Associaton Unimate 65 et autres, n°s 112910, 115044 ; CE, 23 novembre 1990, Fondation du centre hospitalier des courses, n° 49086.

[8CE, 15 octobre 1976, Buissière, n° 97478 ; a fortiori : CE Ass., 29 avril 1994, Associaton Unimate 65 et autres, n°s 112910, 115044.

[9CE, Assemblée, 26 octobre 2001, Ternon, n° 197018.

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