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Le point sur la jurisprudence récente des clauses du contrat de travail. Par Pierre Befre, Avocat.
Parution : mercredi 20 juin 2018
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Conformément aux termes de l’article L. 1121-1 du Code du travail, un équilibre doit être trouvé entre le respect des intérêts du salarié et de ceux de l’entreprise.

Les juges vérifient l’étendue de la contrepartie pécuniaire qui est l’élément essentiel de la clause de non-concurrence (I) ; précisent les conséquences sur le préavis en cas de licenciement du salarié pour refus d’exécuter sa clause de mobilité (II).

La Cour de cassation rappelle que le montant de l’indemnité versée par le salarié est un élément essentiel de la clause de dédit-formation (III) ; et que la liberté du travail doit être respectée dans la mise en œuvre de la clause d’exclusivité (IV).

I/ La contrepartie pécuniaire : élément essentiel de la clause de non-concurrence.

La clause de non-concurrence est une clause du contrat de travail par laquelle le salarié s’engage à ne pas exercer, pendant une période déterminée à partir de la cessation de la relation de travail, une activité concurrente à celle de son employeur, pour son propre compte ou celui d’un autre employeur.

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la Cour de cassation a considéré que l’engagement du salarié, après la rupture du contrat de travail, à ne déposer aucun brevet pour des créations inventées pendant l’exécution de son contrait ainsi que son engagement de ne publier aucun article scientifiques et ne diffuser aucune information commerciale ni aucun renseignement technique, relatifs à la société, ne sont pas assimilables à une clause de non-concurrence et n’ouvrent pas droit au paiement d’une contrepartie financière [1].

Les juges du fond avaient assimilé ces obligations à une clause de non-concurrence, exigeant le versement d’une contrepartie pécuniaire.

Or, la clause de non-concurrence a pour objet d’indemniser le salarié qui consent pendant un certain temps à ne pas exécuter une activité professionnelle déterminée dans un espace délimité, ce qui n’est pas le cas de la limitation au droit à la propriété intellectuelle puisque son droit à l’exercice d’une activité professionnelle n’est pas menacé.

Pour être valable, la clause de non concurrence doit être écrite et doit respecter un certain nombre de conditions cumulatives définies par différents arrêts du 10 juillet 2002 [2].

Elle doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, doit être limitée dans le temps et dans l’espace, et doit tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié.

Enfin, cette clause a pour particularité de prévoir, nécessairement, une contrepartie pécuniaire versée au salarié.

D’ailleurs, le contentieux porte principalement sur cette cinquième condition. La Cour de cassation est toujours amenée à préciser dans quelles hypothèses la clause se trouve dénuée de toute contrepartie pécuniaire.

Dans un arrêt du 18 janvier 2018, la Cour de cassation a confirmé le principe selon lequel le montant de la contrepartie financière d’une clause de non-concurrence ne pouvait varier en fonction du mode de rupture du contrat. La nouveauté réside dans le fait que ce principe s’applique à l’hypothèse où aucune contrepartie n’avait été stipulée par la clause, et non pas à une simple contrepartie minorée.
Les juges considèrent que le montant de la contrepartie financière à une clause de non-concurrence ne pouvant être minoré en fonction des circonstances de la rupture, la contrepartie prévue par une convention collective en cas de licenciement est applicable à la rupture conventionnelle. Dans ces circonstances, une telle clause est réputée non écrite.

Ainsi, l’absence totale de contrepartie constitue une forme spéciale de la minoration [3].

L’employeur aura la possibilité de renoncer à la clause de non concurrence si le contrat de travail ou l’accord collectif le prévoit.

Lorsque le salarié viole son obligation de non-concurrence, la contrepartie pécuniaire n’est due que pour la période où le salarié a respecté sa clause. Il peut être, en plus, condamné à verser des dommages et intérêts à son ancien employeur, en fonction du préjudice subi par ce dernier. Le contrat de travail peut prévoir une clause pénale fixant le montant de l’indemnisation, mais les juges auront la possibilité de la réduire s’ils la jugent manifestement disproportionnée.

La responsabilité du nouvel employeur peut également être engagée si l’ancien employeur démontre qu’il avait connaissance de la clause de non-concurrence liant le salarié.

Si la clause de non-concurrence ne respecte pas les conditions de validité ci-dessus, le salarié pourra, seul, en demander la nullité.

L’annulation de la clause n’a pas d’effet rétroactif de sorte que le salarié conserve les sommes qui lui ont été versées.

Cependant, pour obtenir une indemnisation, le salarié devra rapporter la preuve d’un préjudice [4]. Cette preuve sera facile à rapporter s’il se trouve dans l’impossibilité de trouver un nouvel emploi du fait de sa clause de non-concurrence.

II/ Les conséquences sur le préavis en cas de licenciement pour refus d’exécuter sa clause de mobilité.

La clause de mobilité est la stipulation par laquelle le salarié accepte que l’employeur puisse modifier unilatéralement son lieu de travail dans une sphère géographique prédéterminée.

La clause de mobilité doit respecter des conditions de validité et de mise en œuvre pour être valablement applicable, à défaut cette clause n’est pas valable et peut être légitimement refusée par le salarié.

Mais si le refus du salarié est illégitime, le salarié pourra être sanctionné notamment par un licenciement. La Cour de cassation a été amenée à se prononcer, dans cette hypothèse, sur les modalités d’application du préavis.

La clause de mobilité doit définir de façon précise la zone géographique d’application et ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée [5]. Le salarié doit être en mesure de savoir où il pourrait être muté.

Cette exigence s’impose à toutes les clauses de mobilité, qu’elles soient insérées dans les conventions collectives ou stipulées dans le contrat de travail.

La clause de mobilité doit être mise en œuvre de bonne foi et dans l’intérêt de l’entreprise, étant précisé que la bonne foi est toujours présumée. Elle ne doit pas être abusive et l’entreprise doit respecter un délai de prévenance afin de laisser la possibilité au salarié de s’organiser. D’ailleurs, la mise en œuvre de la clause ne doit pas porter atteinte à la vie personnelle et familiale du salarié.

Lorsque la clause de mobilité ne remplit pas les conditions de validité et de mise en œuvre ci-dessus, le salarié pourra légitimement refuser le changement de son lieu de travail s’il se situe en dehors de son secteur géographique d’emploi puisqu’il s’agira d’une modification du contrat de travail. Si l’employeur licencie le salarié alors que son refus est légitime, le licenciement sera considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.

A l’inverse, si le refus du salarié est illégitime, cela constituera un manquement à ses obligations contractuelles sans que soit nécessairement caractérisée une faute grave. Cependant, la faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail peut être caractérisée en l’absence de justification légitime du refus de rejoindre une nouvelle affectation.

Ainsi, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 31 mars 2016 que lorsqu’un salarié est licencié suite à son refus d’être muté en application de sa clause de mobilité, l’employeur peut lui imposer d’exécuter son préavis dans les conditions nouvellement prévues [6].

Le salarié est responsable de l’inexécution du préavis qu’il refuse d’exécuter aux nouvelles conditions et le prive des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés afférents puisque sa mutation constituait un simple changement des conditions de travail.

III/ Le montant de l’indemnité versée par le salarié : élément essentiel de la validité de la clause de dédit-formation.

La clause de dédit-formation est la clause par laquelle l’employeur s’engage à financer une formation particulière à un salarié pour les besoins de ses fonctions. En contrepartie le salarié s’engage à rester au service de l’entreprise pendant un temps déterminé, et ce à peine de lui en rembourser le coût sous la forme du versement d’une indemnité forfaitaire de dédit.

La clause de dédit-formation doit respecter des conditions de validité et, lors de sa rédaction, doit comporter des éléments obligatoires pour être valable, notamment le montant du dédit remboursé par le salarié qui est rigoureusement contrôlé par la Cour de cassation.

La clause de dédit-formation doit être stipulée dans le contrat de travail avant l’engagement des actions de formation correspondantes [7]. Elle ne doit pas priver le salarié de la faculté de démissionner. En effet, le montant de la formation ne doit pas excéder le coût réel de la formation et la durée de l’engagement du salarié de rester au service de l’entreprise doit être courte.

Les frais de formation engagés par l’entreprise doivent être supérieurs aux dépenses de formation exigées par la loi ou la convention collective.

Le sommes recueillies par l’employeur au titre de l’application de la clause de dédit-formation doivent être intégralement affectées au financement d’actions de formation dans le cadre du plan de formation.

Dans sa rédaction, la clause doit contenir des éléments obligatoires pour être valable. A défaut, elle risque d’encourir la nullité.

L’employeur doit mentionner la date, la nature et la durée de la formation, le coût réel pour l’entreprise, la durée de l’engagement du salarié de rester au service de l’entreprise, ainsi que le montant de l’indemnité de dédit et modalités de remboursement à la charge du salarié qui ne respecterait pas la clause et quitterait l’entreprise avant l’échéance prévue.

Cette dernière stipulation est essentielle. L’entreprise doit être précise sur le montant de l’indemnité et les modalités de remboursement car la Cour de cassation veille au respect de cet élément.

D’après la Cour de cassation, l’employeur ne peut pas exiger le remboursement par le salarié, en cas de départ prématuré, des rémunérations versées pendant ses périodes de formation [8].

En effet, toute action de formation suivie par un salarié pour assurer son adaptation au poste de travail constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l’entreprise de la rémunération. L’entreprise ne peut pas en exiger le remboursement.

Une Cour d’appel a repris cette solution le 22 décembre 2017 en énonçant que la clause de dédit-formation ne peut être licite que si elle n’inclut pas dans l’indemnité de dédit le remboursement de salaires devant être obligatoirement maintenus par l’employeur [9].

Ne pouvant faire jouer une clause nulle, l’employeur ne peut, par conséquent, obtenir aucun remboursement à ce titre même en en excluant les salaires.

IV/ Le respect de la liberté du travail dans la mise en œuvre de la clause d’exclusivité.

Le salarié déclare s’engager, au cours de l’exécution de son contrat de travail, à consacrer l’intégralité de son activité professionnelle au service de son employeur et s’interdit donc d’accomplir, pendant la durée de ce contrat, une autre activité professionnelle pour le compte d’un autre employeur.

Le régime juridique de la clause d’exclusivité varie s’il s’agit d’un contrat de travail à temps partiel ou à temps plein.

La cour de cassation veille scrupuleusement à ce que les conditions de validité soient remplies car la clause d’exclusivité est une entrave à la liberté du travail.

Par principe, la clause est nulle dès lors qu’elle a pour objet de priver le salarié de compléter son activité professionnelle à temps partiel par une autre activité professionnelle dans le même secteur d’activité ou dans un secteur différent [10].

Exceptionnellement, la clause est valable si, au vu des fonctions que le salarié occupe sous la direction de son employeur d’origine ou du temps de travail qu’il y consacre, existe un risque de conflit d’intérêt, d’une concurrence déloyale ou d’une infraction par rapport à la réglementation des durées maximales de travail et des temps de repos et de pause [11].

La clause d’exclusivité ne doit pas porter une atteinte excessive à la liberté du travail du salarié concerné. L’employeur doit prouver qu’elle est justifiée par la nature des tâches ou fonctions confiées au salarié, mais aussi indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionné au but recherché [12].

Si la clause d’exclusivité ne remplit pas ces conditions, elle encourt la nullité et le salarié pourra obtenir des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi.

Les conditions de validité de la clause d’exclusivité sont censées être cumulatives afin de protéger la liberté de travailler du salarié.

Pourtant dans un arrêt du 29 septembre 2016, la Cour de cassation avait déduit de la présence de l’une des conditions la réunion des deux autres [13].

En effet, les juges avaient estimé que la clause d’exclusivité était justifiée par la nature des fonctions confiées à l’intéressée touchant à des éléments essentiels et confidentiels de la vie de la société, ce dont il résultait que la clause était indispensable à la protection des intérêts légitimes de la société et proportionnée au but recherché.

Mais la Cour de cassation semble revenir à une solution plus classique en considérant que la clause d’exclusivité est illicite lorsqu’elle est rédigée en termes généraux et imprécis ne spécifiant pas les contours de l’activité complémentaire qui serait envisagée par le salarié, ne permettant pas de limiter son champ d’application ni de vérifier si la restriction à la liberté du travail était justifiée ou proportionnée [14].

Pour vérifier si la clause d’exclusivité est valable, elle s’attache à la rédaction de la clause en vérifiant que toutes les conditions soient remplies.

Pour conclure, l’employeur doit être vigilant dans la rédaction des clauses du contrat de travail : un seul élément omis ou mal rédigé l’empêcherait de faire usage des clauses de sorte que les intérêts de l’entreprise ne pourraient pas être protégés de manière optimale.

Maître Pierre BEFRE Avocat au Barreau de Paris Cabinet AP http://www.cabinet-ap.fr/

[1Cass. Soc. 3 mai 2018, n°16-25.067.

[2Cass. Soc. 10 juillet 2002, n°99-43.334 ; Cass. Soc. 10 juillet 2002, n°99-43.336.

[3Cass. Soc. 18 janvier 2018, n°15-24.002.

[4Cass. Soc. 25 mai 2016, n°14-20.578.

[5Cass. Soc. 14 octobre 2008, n°06-46.400.

[6Cass. Soc. 31 mars 2016, n°14-19.711.

[7Cass. Soc. 4 février 2004, n°01-43.651.

[8Cass. Soc. 5 octobre 2016, n°15-17.127.

[9CA Bourges, 22 décembre 2017, n°16/01460.

[10Cass. Soc. 11 juillet 2000, n° 98-43.240.

[11Cass. Soc. 16 septembre 2009, n°07-45.346.

[12Cass. Soc. 14 octobre 2008, n°07-40.523.

[13Cass. Soc. 29 septembre 2016, n°14-24.296.

[14Cass. Soc. 16 mai 2018, n°16-25.

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