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La servitude de cour commune en droit de l’urbanisme. Par Victor de Chanville, Avocat.
Parution : mercredi 20 juin 2018
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La conclusion d’une servitude de cour commune peut avoir une incidence sur l’application des règles d’urbanisme, en particulier celles relatives aux distances par rapport aux limites séparatives du terrain d’assiette de la demande. Ce mécanisme, faisant l’objet de dispositions expresses dans le code de l’urbanisme, peut s’avérer aussi précieux que, parfois, complexe.

L’article L 471-1 du code de l’urbanisme dispose que :
« Lorsqu’en application des dispositions d’urbanisme la délivrance du permis de construire est subordonnée, en ce qui concerne les distances qui doivent séparer les constructions, à la création, sur un terrain voisin, de servitudes de ne pas bâtir ou de ne pas dépasser une certaine hauteur en construisant, ces servitudes, dites "de cours communes", peuvent, à défaut d’accord amiable entre les propriétaires intéressés, être imposées par la voie judiciaire dans des conditions définies par décret.
Les mêmes servitudes peuvent être instituées en l’absence de document d’urbanisme ou de mention explicite dans le document d’urbanisme applicable
 ».

1/ Notion et objet.

L’institution d’une servitude de cour commune a pour objet d’assurer une certaine distance entre les constructions et de garantir un certain prospect (distance minimale) entre le bâti de deux propriétés voisines, conformément aux règles de l’article 7 du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) concernant l’implantation par rapport aux limites séparatives (autrement dit les limites de propriété du terrain d’assiette du projet).

Le règlement du PLU, s’il autorise parfois une implantation en limite séparative, prévoit souvent une règle de prospect imposant le respect d’une certaine distance entre le bâtiment projeté et les limites séparatives :
- soit en fixant seulement une distance précise (souvent 3 ou 4 mètres, selon les zones),
- soit en se référant à la hauteur de la construction, prévoyant par exemple que la distance horizontale de tous points du bâtiment à édifier au point le plus proche de la limite séparative doit être au moins égale à la moitié de la différence de hauteur entre ces deux points sans être inférieure à une distance précise (là encore souvent 3 ou 4 mètres).

C’est ici que la servitude de cour commune intervient : elle permettra (en rendant inconstructible une partie de la propriété voisine) de calculer le retrait de la construction projetée par rapport à un point situé sur la propriété voisine et non au regard des limites séparatives du terrain d’assiette.

Ainsi et à titre d’illustration, si le règlement du PLU exige que tout bâtiment nouveau soit situé à 4 mètres au moins de la limite séparative et que le propriétaire du terrain d’assiette obtient une servitude de cour commune empêchant toute construction sur la propriété voisine sur une bande de 2 mètres à compter de la même limite séparative, il pourra édifier la construction projetée à 2 mètres de la limite séparative au lieu des 4 mètres exigés par le PLU (2m sur sa propriété + 2m sur la parcelle voisine = les 4m exigés par le PLU).

En revanche, cette servitude ne permet pas de déroger aux dispositions des articles 6 (implantation par rapport aux voies et emprises publiques, lesquelles ne peuvent faire l’objet d’une servitude) et 8 du règlement du PLU (implantation des constructions les unes par rapport aux autres sur un même terrain, puisqu’une servitude ne peut concerner que deux fonds distincts).

Précisons que, contrairement à ce que son intitulé laisse à penser, une telle servitude donne rarement lieu à une cour et, le cas échéant, cette cour ne serait pas commune.

Elle ne peut, comme cela a été dit, être constituée sur le domaine public (mais peut l’être sur le domaine privé d’une collectivité publique, c’est à dire sur un terrain non affecté à l’usage du public ou à un service public).

Elle doit concerner une partie non bâtie du fonds servant (celui sur lequel elle est constituée au profit d’une autre propriété qualifiée de fonds dominant).

Il sera ajouté ici que depuis la suppression du coefficient d’occupation des sols par la loi dite « ALUR » du 24 mars 2014, les règles d’implantation des bâtiments par rapport aux limites séparatives sont devenues, notamment avec celles relatives à l’emprise au sol et à la hauteur autorisée des constructions, particulièrement importantes et contraignantes : l’intérêt de conclure une convention de cour commune est d’autant plus avéré.

2/ Nature et constitution.

La servitude de cour commune peut d’abord être instituée par une convention.

Elle constitue alors un contrat de droit privé conclu entre deux propriétaires voisins, au même titre par exemple qu’une servitude de passage.

Elle consistera le plus souvent en une servitude « non aedificandi », qui interdira de bâtir sur une certaine distance à compter de la limite séparative (sur une ou plusieurs propriétés puisque la servitude peut être réciproque).

Son contenu doit évidemment être explicite et précis pour garantir le respect des règles de distance et permettre tant à l’administration (du moins à l’autorité qui pourrait être amenée à instruire une demande d’autorisation d’urbanisme) qu’au juge de bien déterminer sa portée exacte.

Elle relève ainsi des dispositions de l’article 686 du code civil, aux termes desquelles « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public ».

Elle peut donc être librement négociée, souvent en échange d’une indemnité, en particulier lorsqu’elle est sollicitée en vue d’un important projet immobilier.

Étant constitutive de droits réels immobiliers, elle devra être publiée au service de publicité foncière (décret du 4 janvier 1955) pour être opposable aux acquéreurs successifs.

La servitude de cour commune peut également résulter d’une décision judiciaire, comme cela ressort expressément des dispositions de l’article L 471-1 du code de l’urbanisme cité en début d’article.

Les conditions d’obtention en justice d’une telle servitude sont les suivantes :
- la création de la servitude doit conditionner l’obtention de l’autorisation d’urbanisme (mais il n’est pas nécessaire que le document d’urbanisme y fasse expressément référence) ; les permis de construire comme les déclarations préalables étant concernés, il convient de démontrer que : d’une part, les dispositions d’urbanisme en cause prévoient des règles de prospect spécifiques en cas de servitude de cour commune,
d’autre part, les caractéristiques du projet rendent indispensable l’établissement d’une telle servitude,
- aucun accord amiable n’a pu intervenir, ce qui implique d’établir que des démarches amiables ont été entreprises.

Concrètement, la demande sera présentée au Président du Tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé (ce qui correspond à une procédure d’urgence, simplifiée).

Une indemnité sera due au propriétaire de la propriété grevée par une servitude de cour commune, souvent fixée après expertise.

3/ Effets de la servitude de cour commune.

Comme cela a déjà été indiqué, sa constitution va permettre la délivrance d’une autorisation d’urbanisme qui, à défaut, aurait été refusée pour ne pas respecter les règles de distance par rapport aux limites séparatives prévues par le document d’urbanisme applicable.

L’édification de constructions nouvelles sera interdite sur le périmètre concerné par la servitude.

Classiquement, il sera possible d’obtenir en justice la démolition des constructions réalisées en méconnaissance de l’acte de servitude.

Tout n’est cependant pas interdit, les plantations ou constructions souterraines étant par exemple permises.

Il est important par ailleurs de noter les termes de l’article L 471-2 du code de l’urbanisme selon lesquels : « si, dans un délai de un an à compter de l’institution de la servitude de cours communes, le permis de construire n’a pas été délivré ou si, dans le même délai à compter de la délivrance du permis de construire, le demandeur n’a pas commencé les travaux ou si les travaux sont interrompus pendant au moins une année, la décision judiciaire qui a institué la servitude, même passée en force de chose jugée, pourra, sans préjudice de tous dommages-intérêts, être rapportée à la demande du propriétaire du terrain grevé ».

Pour être opérante, la convention de cour commune doit être rédigée correctement (ce qui peut impliquer des subtilités, notamment quand le terrain d’assiette et celui destiné à être grevé par la servitude appartiennent au même propriétaire) et il doit être justifié de son existence dans le cadre du dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme.

La jurisprudence administrative sanctionne les conventions imprécises ou incomplètes et n’admet pas toujours un simple projet, la Cour administrative d’appel de Versailles ayant par exemple eu l’occasion de juger que, « dès lors que l’édification d’une construction est, pour l’application des dispositions relatives à l’urbanisme, subordonnée à l’institution d’une servitude de cour commune, celle-ci doit avoir pris effet au plus tard à la date de délivrance du permis de construire afin que puisse être alors apprécié le respect par le projet des règles d’urbanisme » (CAA Versailles, 19/05/2016, n° 14VE01628).

Le Conseil d’Etat a néanmoins nuancé cette dernière position en censurant l’arrêt précité de la Cour administrative d’appel de Versailles, cela après avoir constaté que le pétitionnaire avait produit en annexe de la demande de permis « outre la copie du projet de convention d’institution de la servitude, la promesse unilatérale de vente de la commune ... mentionnant expressément que celle-ci s’engageait à constituer une convention de cour commune grevant la propriété qu’elle conserverait et définissant, de manière précise et circonstanciée, les contours de la servitude en cause ».

Il est vrai que cette décision paraît plus raisonnable dans la mesure où il paraît assez sévère d’exiger que la convention soit conclue préalablement au dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme alors que cela est parfois impossible.

Nous retiendrons que le Conseil d’Etat exige pour que la servitude de cour commune soit prise en compte par le service instructeur, de manière parfaitement logique à mon sens, qu’il soit justifié :
- de l’existence d’un engagement irrévocable de créer une telle servitude si l’autorisation d’urbanisme est obtenue ;
- de la teneur précise de la servitude afin que le respect des règles d’urbanisme puisse être vérifié.

Pour terminer, il est notable que la servitude de cour commune présente une nature perpétuelle excluant son extinction ou sa prescription, même si bien entendu son bénéficiaire peut parfaitement y renoncer.

Maître Victor de CHANVILLE Avocat au Barreau de Marseille www.dechanville-avocat.fr
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