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Expropriation et érosion cotière : vers une indemnisation ? Par Virginie Miré, Avocat.
Parution : vendredi 22 juin 2018
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Le Code de l’environnement prévoit l’indemnisation des propriétaires de biens ayant fait l’objet d’une expropriation en raison d’une exposition à certains risques naturels. Les propriétaires de biens évacués en raison de l’érosion côtière peuvent-ils également bénéficier de ces dispositions ?

Les articles L 561-1 et suivants du Code de l’environnement prévoient l’expropriation et l’indemnisation des propriétaires confrontés à certains risques naturels.

Selon l’article L 561–1 du Code de l’environnement, l’État peut décider de l’expropriation des personnes exposées à certains risques naturels.
Les risques visés par ces dispositions du Code de l’environnement sont les risques prévisibles « de mouvements de terrain ou d’affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d’avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marin ».

Selon ce texte, l’expropriation peut être décidée lorsque le risque en cause « menace gravement des vies humaines ».

Une telle expropriation donne lieu à l’application de l’article L 561-3 du Code de l’environnement selon lequel les expropriations ordonnées sur le fondement de l’article L 561-1 du Code de l’environnement ouvrent droit à une indemnisation provenant d’un « fonds de prévention des risques naturels majeurs ».

L’expropriation et l’indemnisation prévues par les articles L 561 – 1 du Code de l’environnement ne sont pas applicables dans l’hypothèse d’une érosion côtière.

La question s’est récemment posée de savoir si le mécanisme des articles L 561-1 et suivants du Code de l’environnement, peut également recevoir application, même si cette hypothèse n’est pas visée par la loi, dans le cas où un immeuble a dû être évacuée en raison du risque d’érosion côtière.
Était concerné l’immeuble dénommé  "Le Signal" à Soulac-sur-Mer (33).
Cet immeuble de 4 étages, construit en 1967, à 200 mètres du front de mer, est désormais éloigné, du fait de l’érosion côtière, de seulement une dizaine de mètres d’une falaise donnant sur la mer.
En raison du risque d’effondrement de l’immeuble, ses occupants ont donc dû être évacués, et l’immeuble a été interdit à l’habitation.
L’expropriation prévue par l’article L 561–1 Code de l’environnement aurait permis aux propriétaires de cet immeuble de bénéficier d’une indemnisation versée par le fonds prévu à l’article L 561–3 de ce code.
Toutefois, le préfet de la Gironde a refusé d’engager la procédure d’expropriation prévue par l’article L 561–1 du Code de l’environnement, procédure dont dépend le versement de l’indemnité prévue par l’article L 561-3 de ce code.
En effet, il n’est pas considéré par les pouvoirs publics que l’érosion côtière justifierait l’application de l’expropriation, et de la procédure d’indemnisation visée par les articles L561–1 et suivants du Code de l’environnement.

Comme cela a été indiqué par Madame Brune Poirson, Secrétaire d’État auprès du Ministre de la transition écologique et solidaire, l’érosion côtière constitue un phénomène «  prévisible, quantifiable, cartographiable ».

Nous serions donc ici en présence, non d’un simple risque, mais d’un évènement dont la survenance est certaine, et qui n’a pas vocation à être indemnisé par le fonds prévu par l’article L 561-3 du Code de l’environnement.
La décision du préfet de la Gironde a été soumise par les copropriétaires de l’immeuble à la cour d’appel de Bordeaux, puis, après le rejet par la Cour d’appel des demandes des copropriétaires, au Conseil d’État.
La décision du Conseil d’État a été rendue le 17 janvier 2018.

Le Conseil d’État exclut l’application des règles issues des articles L 561–1 et suivants du Code de l’environnement au phénomène d’érosion côtière, en indiquant « que le législateur n’a pas entendu étendre le régime d’expropriation qu’elles instituent aux risques liés à l’érosion côtière, lesquels ne sont assimilables ni aux risques de submersion marine, ni, par eux-mêmes, aux risques de mouvements de terrain » mentionnés par l’article L 561–1 du Code de l’environnement.
Toutefois, le Conseil d’État a sursis à statuer sur la demande du syndicat des copropriétaires de l’immeuble « Le Signal ».
En effet, il a préalablement soumis la question de la conformité de l’article L 561–1 du Code de l’environnement, qui ne vise pas l’hypothèse de l’érosion côtière, à la constitution, et « notamment au principe d’égalité et au droit de propriété garantis respectivement par les articles 6 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Dans une décision du 6 avril 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L 561-1 du Code de l’environnement conforme à la constitution.

Le conseil constitutionnel indique en effet que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général », et que le fait d’exclure du dispositif issu des articles L 561-1 et suivants du Code de l’environnement les dommages dus à l’érosion côtière n’entraîne pas une rupture de l’égalité devant la loi.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel indique que le défaut d’application à l’érosion côtière de l’expropriation prévue par l’article L 561-1 du Code de l’environnement n’entraîne aucune atteinte aux droits de propriété, et que, dans le cadre de son pouvoir de police le maire peut prescrire les mesures exigées par la prévention des accidents naturels.

Une solution législative ?

Selon la loi actuelle, et l’interprétation qui en est faite par les juges, les victimes de l’érosion côtière ne peuvent donc prétendre à une indemnisation par le fonds de prévention des risques naturels majeurs.
La seule solution, pour les propriétaires d’un immeuble touché par l’érosion côtière, est que la loi soit modifiée, solution qui ne peut donc venir que du législateur.
Une proposition de loi relative «  au développement durable des territoires littoraux », votée en première lecture par le Sénat, et transmise à l’Assemblée nationale prévoit que le fonds d’indemnisation prévue par l’article L 561-3 du Code de l’environnement puisse financer également « les indemnités allouées au propriétaire d’un bien immeuble ayant fait l’objet d’une interdiction définitive d’habiter ou d’occuper les lieux prise en raison du risque de recul du trait de côte », et ce toutefois en l’absence de plan de prévention des risques naturels.
Cependant, cette proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 31 janvier n’a toujours pas débouché sur le vote d’une loi.
Le 16 mai 2018, une proposition de loi « visant à instaurer un régime transitoire d’indemnisation pour les interdictions d’habitation résultant d’un risque de recul du trait de côte » a été transmise par le Sénat à l’Assemblée nationale.
Celle-ci, ne comporte qu’un article qui fait bénéficier également de l’indemnisation prévue par l’article L 561-3 du Code de l’environnement, certains propriétaires de biens immobiliers faisant l’objet d’une interdiction d’habiter ou d’occuper les lieux du fait du recul du trait de côte.
La loi actuelle, qui ne permet pas aux propriétaires de biens immobiliers évacués du fait de l’érosion côtière d’être indemnisés par le fonds de prévention des risques naturels majeurs, pourrait donc bientôt changer.

Virginie Miré Miré Blanchetière - Avocats avocats@cabinet-mb.fr