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Le bitcoin et le droit : problématiques de qualification, enjeux de régulation. Par Amaury Perrin.
Parution : vendredi 22 juin 2018
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« Quoi que l’on fasse, les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie. Les besoins de la société sont si variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés, et leurs rapports si étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout. »
C’est par ces quelques mots que Portalis, dans son Discours préliminaire sur le projet de Code civil, et à qui il était confié la lourde tâche de rédiger un Code unifiant en matière civile les différentes coutumes françaises, synthétisait sa vision de la loi. Elle devait être simple, claire, nécessaire et ne pas tomber dans l’écueil de prétendre tout prévoir. Ces lignes ont une résonance toute particulière concernant l’attitude que doit adopter le législateur face aux innovations technologiques, notamment dans le domaine virtuel de l’informatique et de l’internet et leurs répercussions sur la vie réelle. Le bitcoin représente l’une de ces innovations.

Le Bitcoin est un système de transaction électronique fonctionnant sur le principe de la « blockchain » ou « chaîne de blocs », qui est une technologie de stockage et de transmission d’information sans organe central de contrôle. Pour ce faire ce réseau fonctionne sur le principe du pair à pair ("peer to peer"), autrement dit les échanges s’opèrent d’ordinateur du réseau à ordinateur du réseau, sans passer par un serveur central. L’unité de compte du réseau Bitcoin qui fait l’objet de ces transactions est le bitcoin. Pour être effectives les transactions d’un utilisateur à un autre doivent être enregistrées sur la blockchain. La blockchain est constituée d’une chaîne de blocs contenant chacun un certain nombre de transactions. Pour être formé, un bloc nécessite une clé cryptographique qui permettra d’appareiller les transactions du bloc et sera également doté d’une clé de sortie qui permettra l’horodatage et la validation des informations cryptées.

Le travail de vérification-sécurisation-enregistrement des blocs est appelé « minage » et est effectué par des membres du réseau qui mettent la puissance de calcul de leur ordinateur à contribution, ce sont les « mineurs ». En contrepartie de leur prestation de certification des transactions, les mineurs perçoivent, par bloc de transaction résolu, une rémunération en bitcoins générés par le logiciel (actuellement de 12,5 bitcoins par bloc).

La quantité de bitcoins en circulation augmente donc lentement et le logiciel a été programmé de telle sorte que la difficulté de minage s’amplifie avec le temps, de manière à ce que le nombre total d’unités en circulation ne puisse dépasser les 21 millions.
Il faut comprendre ainsi que le réseau de la blockchain repose sur ses membres, il est par nature décentralisé et la chaîne de bloc est authentifiée, actualisée et enregistrée par tous les ordinateurs du réseau (les nœuds du réseau), qui possèdent une copie de la blockchain et non par un serveur central. Le nombre fait donc la force du réseau car chaque bloc ajouté à la chaîne doit correspondre au bloc précédent, par un jeu de question-réponse crypté.

Le bloc A pose une question cryptée, le bloc B doit y répondre à défaut de quoi il sera rejeté. C’est ce qui fait au réseau de la blockchain sa réputation d’inviolabilité, car pour pirater un tel système il faudrait corrompre plus de 50 % des ordinateurs participant au Bitcoin, ce qui, au vu de leur nombre, parait improbable.

Le fonctionnement technique du système Bitcoin ayant été succinctement décrit il faut maintenant tâcher de comprendre son histoire afin de mieux appréhender la nature des bitcoins.

Le Bitcoin est né en 2009 d’un mystérieux programmeur féru de cryptographie se présentant sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Sa création a rapidement séduit un grand nombre de développeurs et d’informaticiens, puis la notoriété de ce système n’a cessé de croître. La valeur du bitcoin a ainsi atteint la parité avec le dollar en 2011, puis son cours a fluctué à la hausse comme à la baisse selon la loi de l’offre et de la demande.

Le système Bitcoin a été conçu à l’origine comme un système de paiement reposant sur une « monnaie virtuelle » ou « cryptomonnaie », constituée par les unités bitcoins (de l’anglais bit : unité d’information binaire et coin : pièce de monnaie). Il s’agit alors de proposer dans la sphère virtuelle de l’internet un moyen de paiement pour s’échanger des biens et des services. Sa conception s’inscrit dans le contexte de la crise des subprimes de 2008 et de la perte de confiance dans les banques et les États. La philosophie sous-jacente est libertarienne. Elle est guidée par un objectif d’abolir le monopole des gouvernements sur la monnaie, par le biais des banques centrales, ainsi que le monopole des banques ; deux acteurs qui se sont montrés indignes de confiance lors de la crise de 2008. Roger Ver, un pionnier du Bitcoin surnommé le « Bitcoin Jésus », a ainsi affirmé : « Nous avons vu le Bitcoin comme un moyen de séparer la monnaie de l’État ».

Il s’agit alors de créer un système de paiement dématérialisé, réputé très sécurisé, en dehors de tout contrôle de l’État ou des banques, il faut éliminer ce tiers de confiance que sont les banques qui ont été incapables d’assurer leur mission. Comme l’explique un auteur, c’est l’ébranlement de la confiance éthique dans les monnaies nationales qui a engendré l’apparition de crypto-monnaies.

Au-delà de son pur aspect technique le Bitcoin est donc également une communauté avec une philosophie directrice, reste à savoir si les nouveaux acteurs de cette cryptomonnaie ont maintenu l’esprit fondateur et si le bitcoin conserve son usage de monnaie, rien n’est moins sûr, cela fera l’objet de développements plus conséquents dans le corps de cette présentation.

C’est volontairement que la nature du bitcoin n’a pas été développée plus avant dans cette introduction, sa nature juridique est en effet indéterminée aujourd’hui, ce qui pose le problème de sa qualification qui fera également l’objet de développements plus conséquents.

La philosophie motrice du système Bitcoin repose sur un rejet de l’autorité gouvernementale et du recours aux banques comme uniques tiers de confiance. Ainsi par sa nature et son essence même le Bitcoin s’oppose à toute idée de régulation, il s’autorégule grâce aux nœuds du réseau sans qu’un tiers de confiance n’intervienne.

Le principe est donc de transférer la confiance des utilisateurs du système de paiement bancaire centralisé, sur un système de paiement électronique décentralisé.
La question qui se pose est alors de savoir s’il est possible de réguler un système qui par son essence et son fonctionnement s’oppose à tout contrôle.

A la lumière du principe de nécessité de la loi cher à Portalis, il convient malgré tout de démontrer le caractère indispensable d’un encadrement légal du bitcoin, qui se heurte cependant à un obstacle de taille : la détermination de la nature juridique de cette cryptomonnaie (I). Face à ces difficultés se dresse une ébauche de régulation opportune mais transitoire (II).

(Retrouvez l’intégralité de l’article en PDF ci-après.)

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Amaury Perrin