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La nomenclature Dintilhac face au pouvoir créateur du juge. Par Isabelle Brient, Avocate.
Parution : lundi 25 juin 2018
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La victime bénéficie d’un droit à « réparation intégrale » de son dommage corporel conformément au principe « le dommage, tout le dommage, rien que le dommage » excluant toute indemnité forfaitaire et tout enrichissement sans cause. Un préjudice ne doit être indemnisé qu’une seule fois. La victime doit être replacée, dans la mesure du possible dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s‘était pas produit. Il appartient donc à l’avocat de déterminer avec précision chaque poste de préjudice dans ses conclusions afin d’obtenir une indemnisation maximale et satisfactoire. Les avocats, les juges, les médecins et les victimes vont se servir d’un guide, d’une norme de référence : la nomenclature Dintilhac qui établit une liste non limitative des préjudices indemnisables.

Cette nomenclature n’a cependant ni valeur législative, ni valeur réglementaire.

Elle est composée de 27 chefs de postes de préjudices qui consacre la triple distinction entre :
- les victimes directes (les personnes directement victimes de l’accident, de l’erreur médicale, de l’attentat ou autre). - les victimes indirectes (ou par ricochet : les proches de la victime directe atteintes par ricochet c’est-à-dire parce que la victime directe est elle-même atteinte) avec une distinction en cas de survie de la victime directe.
- les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux.
- les préjudices temporaires et préjudices permanents ou définitifs qui s’articulent avant ou après la consolidation (une victime est consolidée lorsque son état s’est stabilisé). La consolidation est définie par la nomenclature Dintilhac comme « le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il devient possible d’apprécier l’existence éventuelle d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique ». La date de consolidation sera fixée par un expert en dommage corporel et il est important que la victime soit assistée dans cette étape déterminante d’un avocat et d’un médecin-conseil.

La nomenclature Dintilhac a eu le mérite de recenser et d’ordonnancer les préjudices corporels. Elle avait même pris la précaution de créer une catégorie de préjudices « atypiques » dits « préjudices permanents exceptionnels » permettant, le cas échéant d’indemniser, à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice permanent non indemnisable par un autre biais. La Cour d’Appel de Lyon, par un arrêt du 24 janvier 2017 [1] a reconnu l’existence d’un préjudice permanent exceptionnel de « dépersonnalisation avec perte identitaire » concernant une victime ayant subi un traumatisme crânien suite à un accident de travail (conducteur travaux qui avait effectué une chute de 3,6 m à travers un plancher provisoire en cours de décoffrage).

Mais face à de nouveaux faits générateurs, certains préjudices demeuraient toutefois non indemnisés.

Les juges du fond vont faire preuve de création et reconnaître de nouveaux préjudices comme « le préjudice de contamination », « le préjudice de séropositivité » lors de la découverte du SIDA ou encore « le préjudice d’anxiété » pour les victimes exposées à l’amiante et plus récemment pour les victimes du Médiator. Au-delà du préjudice d’anxiété, la jurisprudence a reconnu tout dernièrement « le préjudice d’angoisse de mort imminente » à l’initiative de l’ordre du barreau de Paris qui avait demandé que ce préjudice soit listé pour les victimes directes des attentats tout comme « le préjudice d’attente et d’inquiétude » subi par les proches des victimes des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, préjudice qui avait été déjà retenu lors d’accidents collectifs de circulation par le tribunal correctionnel de Thonon les Bains lors de la collision d’un TER et d’un car scolaire le 2 juin 2008 causant la mort de 7 collégiens et faisant 49 blessés. Ce préjudice compense la détresse, l’attente insoutenable des proches sur l’incertitude de la gravité des blessures, voir du décès, du lieu d’hospitalisation d’un membre de leur famille, d’un ami…)

Les aléas de l’actualité comme les attentats ont donc été un facteur de progrès.

La Cour de Cassation et le Conseil d’État admettent désormais l’existence du « préjudice d’impréparation » découlant d’un défaut d’information sur les risques d’un acte médical.

En matière de préjudice corporel, il n’y a donc pas de principes acquis, la liste non exhaustive de la nomenclature Dintilhac permet aux magistrats de la faire évoluer afin de mieux protéger les intérêts de la victime, de mieux l’indemniser au nom du postulat de « la réparation intégrale du préjudice ».

Toutefois, cette évolution en corrélation avec l’actualité renforce l’idée que mieux vaut une réparation du dommage corporel judiciaire que transactionnelle, certes souvent plus longue, plus complexe, plus coûteuse mais qui offrira une indemnisation plus importante, plus personnalisée et peut-être plus actuelle.

Lors du procès de l’accident de Saint Médard sur Ille qui s’est ouvert le 16 avril 2018 devant le tribunal correctionnel de Rennes (collision survenue le 12 octobre 2011 entre un TER et un camion sur un passage à niveau causant la mort de 3 personnes et 45 blessés), un de mes confrères, avocat d’une partie civile a demandé au tribunal de revenir sur une transaction pour intégrer de nouveaux préjudices reconnus postérieurement à celle-ci.

La loi du 18 novembre 2016 donne une nouvelle définition de la transaction, l’article 2044 du Code Civil la définit désormais comme « un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». Toutefois, la référence à l’autorité de la chose jugée, jusqu’alors attachée à la transaction a disparu. L’ancien article 2052 du Code Civil disposait que : « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort (…), le nouvel l’article 2052 du Code Civil dispose dorénavant que « la transaction fait toutefois obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ».

Cette nouvelle rédaction ne devrait pas avoir d’impact majeur, dès lors que l’autorité de la chose jugée a précisément pour conséquence d’empêcher l’introduction d’une nouvelle action entre les parties et portant sur le même objet. Comme précédemment, donc, l’existence d’une transaction devrait toujours constituer une fin de non-recevoir empêchant toute nouvelle action.

Jugement le 2 juillet 2018.

Isabelle BRIENT Docteur en droit Avocate Activités dominantes: droit de la responsabilité médicale, droit des malades, droit du dommage corporel Autres domaines d’activites: droit pénal, droit administratif, droit de la famille, droit des assurances.

[1N°13/07753