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Report de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif anti-cadeaux : la prudence s’impose ! Par Barbara Bertholet et Rachel Devidal, Avocats.
Parution : jeudi 28 juin 2018
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Le 1er juillet est là et l’ordonnance du 19 janvier 2017 relative au dispositif anti-cadeaux [1] (l’« Ordonnance ») est censée entrer en vigueur, à défaut de décret d’application pris au préalable, au plus tard à cette date.
Or selon toute vraisemblance, aucun texte d’application ne sera publié avant cette échéance…

Ainsi en l’absence de décret, faut-il considérer que cette ordonnance s’applique avec les changements importants qu’elle implique, pour partie à tout le moins ?

Le LEEM vient d’indiquer à ses adhérents que la DGOS considère que le dispositif anti-cadeaux actuel demeure applicable tant dans son champ que dans ses modalités d’application jusqu’à l’entrée en vigueur des textes d’application de l’Ordonnance. La DGOS devrait officialiser sa position avant le 1er juillet.

Mais peut-on considérer une telle position comme une assurance tous risques et attendre les textes d’application sans rien changer à ses pratiques et procédures ? En d’autres termes, un juge, non tenu par la position de la DGOS pourrait il adopter une position différente ?

Si certains commentaires vont en ce sens, la prudence s’impose selon nous.
En effet, le principe est que « les dispositions légales entrent en vigueur à la date qu’elles fixent ou, en l’absence de précision, le lendemain de leur publication. Toutefois, certaines dispositions de la loi ne sont applicables qu’une fois prises les mesures réglementaires nécessaires à leur mise en œuvre ». [2]

Ainsi, l’absence de règlements d’application ne peut justifier le retard dans l’application d’une loi que si ces règlements sont nécessaires, c’est-à-dire si l’application de la loi est manifestement impossible avant la publication des textes d’application [3]

La question est donc de savoir si l’application des dispositions de l’Ordonnance est manifestement impossible en l’absence de décret d’application ou si ses dispositions sont suffisamment précises pour s’appliquer à compter du 1er juillet ?

Pour mémoire, l’article 1 de l’Ordonnance élargit considérablement le champ d’application du dispositif anti-cadeaux, puisqu’il étend le principe de l’interdiction :
1) aux personnes produisant ou commercialisant des produits de santé, même ceux non remboursés [4], ainsi qu’aux personnes assurant des prestations de santé ;
- 2) à d’autres bénéficiaires, à savoir :
- à l’ensemble des professions de santé réglementées par le Code de la santé publique ainsi qu’aux ostéopathes, aux chiropracteurs et aux psychothérapeutes [5] ;
- aux associations qui regroupent des professionnels de santé et des étudiants, y compris les sociétés savantes et les conseils nationaux ; [6] 
-aux fonctionnaires et agents des administrations de l’État, des collectivités territoriales et leurs établissements publics ou des autorités administratives qui élaborent ou participent à l’élaboration des politiques de santé et sécurité sociale ou disposant d’un pouvoir de police sanitaire.

Il donne également une définition négative de la notion d’avantages et liste les dérogations à l’interdiction d’offres d’avantages, dont l’admission est conditionnée à la conclusion d’une convention qui doit être déclarée ou autorisée selon les cas.

Enfin, il précise expressément que les modalités d’application de ces dispositions sont déterminées par un décret en Conseil d’État et notamment la définition de la notion de « prestation de santé », des procédures de déclaration et d’autorisation, ainsi que de l’autorité compétente chargé de réceptionner les déclarations et demandes d’autorisation.

Des arrêtés doivent également intervenir afin de fixer le seuil en deçà duquel un avantage est de valeur négligeable si bien qu’il n’est pas soumis au dispositif anti-cadeaux et le seuil au-delà duquel un avantage peut être admis à titre dérogatoire s’il est soumis à autorisation et non plus à simple déclaration. [7]

A notre sens, et à l’exception de la notion de prestations de santé qui doit être définie par décret, l’extension du champ de l’interdiction posée par l’Ordonnance pourrait être considérée comme applicable par les juges à compter du 1er juillet, en l’absence de textes d’application.

Ainsi, il nous semble prudent de considérer que le principe d’interdiction est étendu, dès le 1er juillet
- aux entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé non remboursables ;
- aux nouveaux bénéficiaires visés par le texte ci-dessus rappelés.

En clair doivent d’ores et déjà se sentir concernés - en sus des entreprises qui le sont déjà car elles commercialisent des produits remboursables- celles qui ne commercialisent que des produits de santé non remboursables, soit des produits de médication familiale, OTC, ou des dispositifs médicaux non remboursés. Les professionnels de santé et les associations jusque-là non concernés doivent également être vigilants quant aux avantages susceptibles de leur être proposés.

En revanche, il ne fait aucun doute qu’il n’est pas possible d’appliquer au 1er juillet, en l’absence de textes d’application, les dispositions relatives aux « dérogations à l’interdiction d’offre d’avantages » puisqu’elles dépendent de la détermination de seuils et de précisions sur les procédures de déclaration et d’autorisation.

Durant cette période, il nous semble que les entreprises déjà soumises au dispositif devraient continuer d’appliquer l’ancienne procédure d’avis.

Quant aux autres, elles ne devraient pas pouvoir bénéficier du régime de dérogation non encore applicable.

Est-ce à dire que l’octroi de tout avantage, même entrant dans le cadre d’une dérogation, devrait leur être strictement interdit ? Une telle position irait à l’encontre du principe d’égalité de la loi pénale selon lequel tous les acteurs doivent bénéficier des mêmes exceptions et dérogations.

Nous pensons dès lors que les fabricants de produits OTC et de DM non remboursables devraient pouvoir proposer des avantages sans respect de formalités, dès lors qu’ils rentrent dans le cadre des dérogations telles que posées par l’ordonnance et sont raisonnables au sens de ce que les Ordres ont défini jusqu’à ce jour. Ainsi l’hospitalité offerte, si elle est raisonnable (pas d’hôtel de luxe !), ne devrait pas être valablement contestée par un juge.

Reste la question des sanctions prévues à l’article 2 de l’Ordonnance. Aucune référence n’est faite à la nécessité d’un texte d’application.

Pour rappel :
- les peines d’amende encourues sont doublées pour les entreprises (de 75.000 à 150.000 euros d’amende pour les personnes physique et de 375.000 à 750.000 euros d’amende pour les personnes morales, ce montant pouvant être porté à 50% des dépenses engagées pour la pratique constituant le délit),
- les peines d’emprisonnement sont atténuées pour les professionnels de santé qui voient la peine maximale de prison encourue ramenée de 2 ans à 1 an.

Ainsi, il ne peut être exclu qu’un juge estime que le fait de proposer ou de recevoir des avantages purement et simplement interdits ou qui seraient au-delà du raisonnable au vu des pratiques actuellement reconnues, est soumis aux nouvelles sanctions ci-dessus.
En revanche, le non-respect des procédures prévues par l’Ordonnance ne devrait pas être sanctionnable dans la mesure où celles-ci doivent être considérées comme inapplicables en l’absence de textes d’application. Néanmoins ces dispositions n’ayant pas été ratifiées par le Parlement, elles n’ont à ce jour qu’une valeur réglementaire, et leur application est questionnable. [8]

Il en résulte qu’à compter du 1er juillet 2018, une partie des dispositions de l’Ordonnance - à savoir l’essentiel des dispositions relatives au principe de l’interdiction - devrait entrer en vigueur, tandis que les dispositions relatives aux modalités d’application des dérogations, demeureront conditionnées à l’entrée en vigueur des textes d’application. Bien entendu ces dispositions ne s’appliqueront qu’aux faits postérieurs au 1er juillet 2018.

Même si le risque nous parait peut-être plus théorique que pratique, il nous a semblé important d’attirer votre attention sur la prudence à avoir, notamment pour les nouveaux acteurs qui n’étaient pas concernés jusque-là : vigilance donc aux fabricants d’OTC et de DM non remboursés, mais également aux nouveaux professionnels de santé visés comme les aides-soignants ou les diététiciens, dès maintenant en espérant que le décret d’application ne soit pas attendu trop longtemps encore.

Nous reviendrons vers vous dès sa publication pour partager nos commentaires et points de vigilance !

Barbara BERTHOLET Avocat Associée Rachel DEVIDAL Avocat Cabinet Adaltys

[1Ordonnance n° 2017-49 du 19 janvier 2017 relative aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé.

[3Conseil d’État : L’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article L. 24 du code des pensions exige un décret, Mattias Guyomar, Commissaire du Gouvernement, AJDA 2005, p. 901.

[4Demeurent exclus du champ des entreprises concernées les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage.

[5Dans le régime actuel, seuls sont visés les médecins, les dentistes et les sages-femmes ainsi que les pharmaciens, les infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologies, orthophonistes et orthoptistes.

[6Dans le régime actuel, seules sont visées les associations représentative des intérêts des professionnels et étudiants visés.

[7Pour plus de détails quant aux nouveautés et modifications apportées par l’Ordonnance, nous vous renvoyons à notre article du 25 janvier 2017 intitulé « Le dispositif anti-cadeau bientôt renforcé » accessible ici.

[8En application de l’article 34 de la Constitution, la définition des crimes et délits et les sanctions qui leur sont applicables relèvent du domaine de la loi.

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