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Inaptitude - désignation d’un médecin expert en référé : la prise d’acte d’un salarié rend elle la procédure caduque ? Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : jeudi 28 juin 2018
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Pour la première fois à notre connaissance, une Cour d’appel devait trancher la question de savoir si la prise d’acte de rupture de son contrat de travail par un salarié affectait une procédure de demande de désignation d’un médecin expert en référé diligentée par un employeur, suite à une déclaration d’aptitude avec aménagement de poste.

Dans un arrêt du 21 juin 2018, la Cour d’appel de Paris (Pole 6, chambre 2) considère que la prise d’acte de rupture du contrat de travail n’affecte pas la demande de désignation d’un médecin expert en référé.
(CA Paris, 6-2 21 juin 2018)

1) Demande de désignation d’un médecin expert (20 juin 2017) suivi d’une prise d’acte de rupture de contrat de travail par le salarié (16 août 2017).

Monsieur X a été engagé en qualité de d’auditeur banque finance à compter du 25 octobre 2010 par la Caisse des dépôts et consignations, selon un contrat de travail à durée indéterminée.

Il a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail successifs à compter du mois de février 2017.

Le 5 juillet 2017, le médecin du travail a rendu l’avis suivant : "Apte à la reprise avec aménagement de poste : le changement de service reste indispensable à sa recherche de mobilité. Affectation à un autre poste à prévoir".

La Caisse des dépôts et consignations contestant l’avis du médecin du travail et sollicitant la désignation d’un médecin expert a le 20 juillet 2017 saisi en référé le conseil de prud’hommes.

Le 16 août 2017, Monsieur X a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

2) Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 juin 2018.

La Cour d’appel de Paris :

- désigne M. R, expert près la Cour de cassation et près la cour d’appel de Versailles, en qualité de médecin-expert qui, après avoir pris connaissance du dossier médical de Monsieur X et en particulier des divers avis d’aptitude émis par le médecin du travail, procédera à l’examen médical de l’intéressé et donnera un avis motivé sur son aptitude ;

- Fixe à 1.000 € la provision à valoir sur les honoraires du médecin-expert que la caisse des dépôts et consignations devra consigner à la Caisse des dépôts et consignations dans le mois de la mise à disposition du présent arrêt ;

- Impartit à l’expert un délai de deux mois pour déposer son rapport, délai qui courra à compter du versement de la consignation ;

- Dit qu’il appartiendra à la Caisse des dépôts et consignations de ressaisir, en la forme des référés, le conseil de prud’hommes de Paris une fois l’expertise médicale réalisée.

2.1) L’article L. 4624-7 du code du travail : demande de désignation d’un médecin expert en référé.

L’article L 4624-7 du code du travail dans sa version issue de la loi 2016-1088 du 8 août 2016 (applicable du 1er janvier 2017 au 1er janvier 2018) dispose :

« I.-Si le salarié ou l’employeur conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail en application des articles L 4624-2, L 4624-3 et L 4624-4, il peut saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel. L’affaire est directement portée devant la formation de référé.

Le demandeur en informe le médecin du travail.

II.-Le médecin-expert peut demander au médecin du travail la communication du dossier médical en santé au travail du salarié prévu à l’article L 4624-8, sans que puisse lui être opposé l’article 226-13 du code pénal.

III.-La formation de référé ou, le cas échéant, le conseil de prud’hommes saisi au fond peut en outre charger le médecin inspecteur du travail d’une consultation relative à la contestation, dans les conditions prévues aux articles 256 à 258 du code de procédure civile.

IV.-La formation de référé peut décider de ne pas mettre les frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive. »

Selon l’article R.4624-45, dans sa version issu du décret n°2017-1008 du 10 mai 2017 applicable à l’espèce (version en vigueur du 12 mai 2017 au 18 décembre 2017), en cas de contestation portant sur les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail mentionnés à l’article L.4624-7, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification.

Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.

La formation des référés statue dans les conditions de l’article R.1455-12.

Sa décision se substitue aux éléments de nature médicale mentionnés au premier alinéa qui ont justifié les avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.

La Cour d’appel de Paris relève que « la contestation de la Caisse des dépôts et consignations formée dans le délai de quinze jours suivant l’avis d’aptitude émis par le médecin du travail est recevable ».

Elle fait « droit à la demande de la Caisse des dépôts et consignation fondée à solliciter la désignation d’un médecin expert auquel il incombera de rendre un avis éclairé sur l’adéquation entre l’état de santé du salarié et son poste de travail, ce qui implique qu’il étudie les éléments de nature médicale ayant fondé l’avis du médecin du travail sur l’aptitude du salarié ».

2.2) L’article R. 4624-45-1 du code du travail : le président du conseil de prud’hommes saisi en référé fixe la rémunération du médecin inspecteur.

Enfin, l’article R. 4624-45-1 issu du décret 2017-1008 du 10 mai, dispose :

« La provision des sommes dues au médecin-expert désigné en application de l’article L.4624-7 est consignée à la Caisse des dépôts et consignations.
Le greffe est avisé de la consignation par la Caisse des dépôts et consignations.
Le président de la formation de référé fixe la rémunération du médecin-expert.
La libération des sommes consignées est faite par la Caisse des dépôts et consignations sur présentation de l’autorisation du président de la formation de référé.
 »

La cour applique ces dispositions qui ne sont pas incompatibles avec sa saisine en référé.

Compte tenu des nouvelles dispositions sus-rappelées de l’article R 4624-45 et de la nouvelle version de l’article L 4624-7 issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (article 8), applicable, il appartiendra à la Caisse des dépôts et consignations de ressaisir, en la forme des référés, le conseil de prud’hommes de PARIS une fois l’expertise médicale réalisée.

2.3) La Cour d’appel considère que la prise d’acte du 16 août 2017 n’affecte pas la demande de désignation d’un médecin expert formée le 20 juillet 2017.

Le salarié plaidait que la procédure de la Caisse des dépôts était caduque car il avait pris acte de la rupture du contrat de travail depuis le 16 août 2017.

La Cour d’appel ne retient pas l’argument du salarié.

En revanche, dans son arrêt, elle ne motive pas sa décision sur le rejet de l’argument du salarié.

Le salarié va donc être examiné par le médecin expert en juillet 2018 sur son aptitude à son emploi d’auditeur au sein de la Caisse des dépôts et Consignations, alors qu’il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 16 août 2017.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum