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Un fonctionnaire peut-il suivre son conjoint muté dans un autre département ? Par Tom Riou, Avocat.
Parution : mardi 3 juillet 2018
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Répondant à la question d’un député, le ministre de l’Education nationale s’est prononcé sur les possibilités offertes aux enseignants contraints de suivre leur conjoint, muté dans un autre département.

Si la réponse ministérielle concerne les agents de l’Education nationale, des règles similaires trouvent à s’appliquer à l’ensemble des fonctionnaires d’Etat, territoriaux ou hospitaliers.

Rép. Min. n°6075, JO Assemblée nationale du 26 juin 2018, p.5566

M. Jean-Noël Barrot, député des Yvelines, a interrogé le ministre de l’Education nationale sur le sort des nombreux enseignants auxquels une demande de mutation, pour suivre leur conjoint, a été refusée.

Le député s’étonne de ce qu’il n’existe aucun dispositif de soutien aux enseignants qui échouent à être mutés dans la même région que leur conjoint.

Il expose que ces agents sont, pour la plupart, obligés de solliciter un placement en disponibilité pour suivre leur famille.

A cet égard, le ministre rappelle que les affectations des enseignants doivent garantir l’efficacité, la continuité et l’égalité d’accès au service public de l’éducation nationale, de sorte que les mutations ne peuvent intervenir que si elles sont compatibles avec le bon fonctionnement du service et, partant, avec les besoins d’enseignants sur le territoire national.

Cependant, le ministre expose que, dans le cadre de l’article 60 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, qui encadre les mutations de fonctionnaires, le ministère prête attention à la situation des agents séparés de leur conjoint, en cherchant à faciliter leur mutation dans le respect des nécessités de service.

Par ailleurs, il fait valoir que le ministère a souhaité instaurer, de manière expérimentale à compter de la rentrée 2018, une fonction de gestionnaire des ressources humaines de proximité, qui aura pour objectif d’assurer un accompagnement individualisé des agents en termes de parcours de carrière, de formation et d’évolution professionnelle.

Néanmoins, il est légitime de s’interroger sur les possibilités offertes aux fonctionnaires auxquels une mutation a été refusée.

Ceux-ci peuvent, en effet, bénéficier d’une « disponibilité », qui est l’une des positions statutaires commune à l’ensemble des trois fonctions publiques, qui correspond à une cessation de fonctions, pour une période préalablement définie.

Cette position est accordée, de droit, à l’agent qui fonde sa demande sur la nécessité de suivre son conjoint ou partenaire avec lequel il est lié par un PACS, lorsque ce dernier est, pour des raisons professionnelles, tenu d’établir sa résidence habituelle en un lieu éloigné du lieu de travail du fonctionnaire.

Si cette solution peut sembler, à première vue, satisfaisante, le fonctionnaire devra, avant de solliciter le bénéfice d’une disponibilité, veiller aux conséquences de ce choix, l’article 51 de la loi statutaire du 11 janvier 1984 disposant que :

« La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d’origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l’avancement et à la retraite ».

Ainsi, lorsqu’il est en disponibilité, le fonctionnaire :
- ne reçoit aucune rémunération de son administration d’origine, n’accomplissant aucun service (le droit de la fonction publique prévoit, en effet, que les agents ont droit à une rémunération après service fait) ;
- ne cotise pas pour sa retraite ;
- ne peut pas percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE).

Ce dernier point, souvent méconnu, peut entraîner des conséquences importantes sur la situation de l’agent.

En effet, en vertu de L.5422-1 du code du travail, applicable aux fonctionnaires, « ont droit à l’allocation d’assurance [chômage] les travailleurs involontairement privés d’emploi […], aptes au travail et recherchant un emploi qui satisfont à des conditions d’âge et d’activité antérieure ».

L’article 2 du règlement général, annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage, liste les cas de privation involontaire d’emploi : licenciement, rupture conventionnelle du contrat de travail, fin de contrat à durée déterminée, rupture anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée à l’initiative de l’employeur, démission considérée comme légitime ou, encore, licenciement économique.

En complément, le juge administratif a posé, concernant les agents placés en disponibilité, que seuls ceux placés d’office dans cette position, dans l’attente d’une réintégration qu’ils ont sollicité mais qui ne peut leur être immédiatement accordée, sont considérés comme involontairement privés d’emploi et peuvent, de ce fait, prétendre au bénéfice de l’ARE à l’issue d’un délai de trois mois suivant une demande de réintégration non satisfaite (CE, 28 juillet 2004, Office public d’aménagement et de construction Sarthe habitat, req. n°243387, mentionné aux T. du Rec. CE ; CE, 27 janvier 2017, req. n°392860, mentionné aux T. du Rec. CE).

Dès lors, les agents en disponibilité de droit, à leur demande, ne peuvent pas bénéficier des indemnités chômage.

Cette position comporte, également, des risques lorsque l’agent sollicite sa réintégration.

L’administration, qui n’est pas tenue de réintégrer le fonctionnaire dans son ancien poste peut, en effet, procéder à son licenciement, après avis de la commission administrative paritaire, lorsque l’agent refuse successivement trois postes qui lui sont proposés (article 51 de la loi statutaire du 11 janvier 1984).

Partant, le choix de la disponibilité peut, dans de nombreux cas, constituer un piège qui se referme sur le fonctionnaire.

Le risque doit, toutefois, être nuancé, la réglementation actuelle relative à l’exercice d’activités privées par les agents publics permettant aux fonctionnaires en disponibilité d’exercer une activité rémunérée, dans le secteur privé, sous réserve d’en informer par écrit l’autorité dont ils relèvent trois mois au moins avant le début de l’exercice de leur activité privée.

Par ailleurs, il convient de noter que le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel envisage de permettre aux fonctionnaires en disponibilité exerçant une activité dans le secteur privé de voir leurs droits à l’avancement maintenus pendant cinq ans.

Ces mesures permettront-elles aux agents de mieux concilier vie privée et vie professionnelle ? Il faut le souhaiter !

Tom Riou, Avocat au Barreau de Paris tomriou.avocat@gmail.com [->https://www.tomriou-avocat.com/]