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Produits de « luxe » et vente en ligne : des restrictions de distribution sont permises. Par Julie Prost, Avocat.
Parution : vendredi 6 juillet 2018
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La Cour d’appel de Paris s’est prononcée, le 28 février 2018, sur la licéité de clauses contractuelles interdisant la vente en ligne de produits de luxe sur des places de marché généralistes. Le litige opposait la société Coty, spécialisée dans le secteur des produits de beauté, à la plateforme de vente en ligne généraliste « Showroomprivé.com » qui avait commercialisé sur son site des parfums, sans autorisation de Coty.

Pour mieux comprendre les enjeux de cette décision, rappelons que les restrictions de distribution étant dérogatoires au droit de la concurrence. [1] , celles-ci ne sont admises, en principe, que si elles permettent de répondre à une exigence légitime (la nécessaire préservation de la marque et de la qualité de sa production) et que les distributeurs sont sélectionnés d’après des critères objectifs de qualité (formation des vendeurs, services fournis, gamme de produits commercialisés), uniformes, non discriminatoires et proportionnés [2].

C’est sur la base de ces critères que la cour d’appel de Paris a analysé la licéité des clauses du contrat de distribution de Coty France. Pour ce faire, elle a suivi la position adoptée par la Cour de justice de l’Union Européenne qui s’était prononcée, quelques mois auparavant dans une décision portant sur un litige similaire opposant Coty Germany cette fois, à l’un de ses distributeurs agrée [3].

La Cour de justice avait jugé que le droit de l’Union européenne « ne s’oppose pas à une clause contractuelle (…) qui interdit aux distributeurs agréés d’un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits, de recourir de manière visible à des plateformes tierces pour la vente Internet des produits contractuels, dès lors que cette clause vise à préserver l’image de luxe desdits produits, qu’elle est fixée de manière uniforme et appliquée de façon non discriminatoire, et qu’elle proportionnée au regard de l’objectif poursuivi. ». Elle admettait « le risque d’une détérioration dans la présentation desdits produits sur internet, qui était de nature à porter atteinte à leur image de luxe et, partant, à leur nature même » (point 49) et avait ajouté que « le fait que la vente en ligne des produits de luxe s’effectue uniquement dans les boutiques en ligne des distributeurs agréés contribue à cette image de luxe » (point 50).

Dans l’affaire dont était saisie la cour d’appel de Paris le 28 février 2018, Coty faisait valoir que, outre le fait que Showroom privé n’était pas un distributeur agrée, la commercialisation de ses parfums à côté d’autres produits qui n’étaient pas estampillés « luxe » altérait la différenciation voulue pour la vente de ces parfums. De son côté, Showroomprivé entendait démontrer que la clause interdisant le recours à des plateformes tierces insérée dans le contrat de distribution de Coty état illicite, en raison des restrictions verticales imposées et notamment l’interdiction du recours à la vente en ligne via des places de marché.

À l’issue de l’examen de la clause litigieuse, la cour d’appel de Paris a rejeté tous les arguments Showroomprivé et l’a validée en estimant qu’elle était « appropriée pour préserver l’image de luxe [des produits de Coty] » et qu’elle « ne dépassait pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, car elle n’interdisait pas de manière absolue aux distributeurs agréés de vendre sur internet les produits contractuels ».

Bien avant les affaires « Coty », la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà admis la possibilité pour les « produits pour lesquels il est nécessaire de préserver leur qualité et leur bon usage », de recourir à la distribution sélective mais dans les cas d’espèce ces clauses avaient été invalidées.
Ainsi, lorsque L’Oréal avait conditionné la vente de ses produits capillaires « Kerastase » à la présence d’un coiffeur-conseiller « Kérastase », la Cour avait jugé que cette mesure était disproportionnée et constituait un abus de position dominante [4]. Dans l’affaire dite Pierre Fabre, la société du même nom avait conditionné la vente de ses produits à la présence d’un pharmacien diplômé dans les lieux de vente de produits Pierre Fabre, ce que la Cour avait jugé illicite car anti-concurrentiel. Elle avait par ailleurs précisé que cette restriction ne se justifiait pas par un progrès économique qui aurait éventuellement permis de la valider [5].

Le caractère luxueux des produits au centre de l’affaire Coty empêche, à notre sens, de considérer qu’il s’agit d’un revirement de la jurisprudence Pierre Fabre mais peut s’interpréter comme une inflexion des juridictions dans l’admission des restrictions de distribution.

Il faut toutefois rester prudent dans la mesure où ni la CJUE ni la cour d’appel de Paris n’ont donné de définition précise du terme « luxe », la Cour de justice se référant simplement à « l’allure et l’image de prestige qui leur confèrent une sensation de luxe [6] » pour les consommateurs. Il en résulte que chaque produit et chaque potentielle restriction devront être pris en compte au cas par cas pour déterminer si une distribution sélective est justifiée ou non.

Dès lors, les entreprises qui souhaiteraient se prévaloir à l’avenir du caractère luxueux de leurs produits pour justifier une restriction de distribution devront le démontrer selon des critères qui restent à déterminer.

Julie Prost Avocat au Barreau de Paris IMPALA AVOCATS https://www.impala-avocats.com

[1Article 101§1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)

[2CJUE 25 Octobre 1977, Metro I, Metro SB-Großmärkte v Commission, 26/76, EU:C:1977:167

[3CJUE, 6 décembre 2017, C-230/16, Coty Germany GmbH vs Parfümerie Akzente GmbH

[4CJCE, 11 décembre 1980, L’Oréal, aff. 31/80

[5Autorité de la concurrence, n°13-D-14 du 11 juin 2013

[6CJUE, 6 décembre 2017, C-230/16, Coty Germany GmbH vs Parfümerie Akzente GmbH