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La grande transformation de la pratique professionnelle de la propriété industrielle est en cours. Par Philippe Schmitt, Avocat.
Parution : vendredi 6 juillet 2018
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Successivement l’ordonnance du 9 mai 2018 et la loi pacte présentée le 18 juin annoncent de profonds changements dans la pratique des professionnels de la propriété industrielle qu’ils soient avocats ou conseils en propriété industrielle.

Le contentieux des brevets devant la Juridiction unifiée du brevet.

L’ordonnance du 9 mai 2018 relative au brevet européen à effet unitaire et à une juridiction unifiée du brevet déplacera le contentieux des brevets après leur délivrance par l’Office européen des brevets (OEB) des juridictions nationales à une seule juridiction pour l’ensemble de l’Union européenne, la juridiction unifiée du brevet dont l’importance a déjà été indiquée ici.
Seront soumis à cette compétence exclusive le brevet unitaire, - le titre de brevet pour l’ensemble de l’union européenne- , et passée la période transitoire de sept ans, tous les brevets nationaux issus des demandes européennes et pendant la période transitoire ces mêmes brevets qui n’ont pas fait l’objet d’une demande de dérogation ("opt-out").

Ne resteront de la compétence des juridictions nationales que les titres délivrés par les offices nationaux, l’INPI en ce qui concerne la France.

Le cumul de protection pour le seul brevet unitaire et leur brevet français de priorité.

L’ordonnance du 9 mai 2018 prévoit le cumul de protection, le titulaire du brevet français qui demandera sur la base de la priorité de celui-ci une demande européenne à l’OEB pourra le conserver même quand le titre européen sera accordé sous réserve de demander la délivrance d’un brevet unitaire.
Le cumul de protection demeure impossible entre la partie française d’un brevet européen et le brevet français de priorité, ce qui constituera une sérieuse motivation au choix du brevet unitaire.

L’entrée en vigueur de la juridiction unifiée du brevet n’attend que la ratification de l’Allemagne.

La prise d’effet de l’ordonnance est conditionnée à l’entrée en vigueur de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet qui n’attend que la ratification de l’Allemagne après celles déjà intervenues de la France et de l’Angleterre. Précision d’importance apportée par l’ordonnance, l’expiration de la période transitoire n’aura pas d’incidence sur les actions introduites devant les juridictions nationales avant la fin de cette période.

D’autres impacts sur le contentieux en France des brevets français sont à attendre de l’entrée en vigueur de l’Accord sur une juridiction unifiée du brevet.

Mais l’ordonnance du 9 mai ne se limite pas à intégrer l’accord sur une juridiction unifiée du brevet et le brevet unitaire au Code de la propriété intellectuelle, elle étend à différents licenciés du brevet le bénéfice de l’action en contrefaçon, action dont elle réécrit les conditions de la prescription dans des termes analogues à ceux de l’article 2224 du Code civil tout en prenant soin de préciser que son point de départ est la date du dernier fait lui permettant de l’exercer.
Quand l’ordonnance entrera en vigueur, ces nouvelles dispositions ne s’appliqueront qu’aux brevets français éventuellement aux brevets européens qu’ils soient unitaires ou nationaux si l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, ses règles d’application, et les règlements 1257/2012 [1] et 542/2014 [2] l’y renvoient.

Cette éventualité doit rappeler que l’existence des dispositions du brevet unitaire et de la juridiction unifiée du brevet sont susceptibles d’affecter également la pratique devant les juridictions françaises quand celles-ci connaîtront du contentieux de la validité et de la contrefaçon du brevet français et de la partie française du brevet européen en cas de "opt-out".

Imprescriptibilité de l’action en nullité du brevet devant les juridictions françaises est repoussée à l’entrée en vigueur de cette ordonnance.

Plus étonnante encore à cette ordonnance, la présence les dispositions relatives à la prescription de l’action en nullité du brevet. Son article 13 prévoit en effet, que l’action en nullité du brevet est imprescriptible. Cette question, on le sait, a suscité un important contentieux à propos du brevet français et du brevet européen désignant la France. Il y avait donc une actualité urgente, mais la solution législative voit son application repoussée, sans raison, à l’entrée en vigueur de la juridiction unifiée du brevet qui a priori ne connaît pas cette règle de prescription puisque issue de la loi de 17 juin 2008.
L’article 23 de l’ordonnance en limite encore les effets « ... elle est sans effet sur une prescription déjà acquise. Elle s’applique aux actions pour lesquelles, à la date de son entrée en vigueur, le délai de prescription n’est pas encore arrivé à expiration. ».

De nouveaux champs d’action pour les professionnels de la propriété industrielle avec la loi Pacte.

Le projet de loi Pacte, le Plan d’action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises, présenté le 18 juin 2018 au Conseil des ministres modifie aussi la nature des titres de propriété industrielle et le rôle de l’INPI et partant le champs d’action des professionnels de la propriété industrielle.

La demande provisoire de brevet interviendra par une simple modification des dispositions réglementaires du Code de la propriété intellectuelle, afin de permettre au demandeur de reporter le dépôt de ses revendications et le cas échéant, d’y renoncer sans avoir à engager les frais d’une demande de brevet. Le certificat d’utilité voit son intérêt réactualisé par une validité portée à 10 ans et l’annonce d’une plus grande facilité pour le transformer en demande de brevet.

La loi Pacte permettra au gouvernement de procéder par voie d’ordonnance pour intégrer le Paquet marque dans notre droit interne, c’est-à-dire la création d’une procédure en nullité et en déchéance des marques nationales devant l’INPI.
Seconde habilitation donnée au gouvernement à relever ici, la création d’une procédure d’opposition après délivrance du brevet français par l’INPI pour obtenir sa révocation ou sa modification.
Si les objectifs du Paquet marque sont connus car posés par la directive 2015/2436, peu d’informations sont disponibles en ce qui concerne cette procédure d’opposition au brevet après délivrance pour laquelle le point essentiel sera de permettre ou non au tiers opposant d’invoquer tous les motifs de nullité du brevet ou seulement ceux que l’Office peut retenir lors de l’examen de la demande.

Juridiction unifiée du brevet, procédures en nullité et en déchéance des marques nationales devant l’INPI, procédure en révocation ou en modification du brevet français après délivrance devant l’INPI également, de grands changements sont annoncés pour les professionnels de la propriété industrielle.

Philippe Schmitt Avocat www.schmitt-avocats.fr https://www.linkedin.com/in/avocatmarquebrevetmodele/

[1Règlement du 17 décembre 2012 mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet.

[2Règlement portant modification du règlement 1257/2012 en ce qui concerne les règles à appliquer relatives à la juridiction unifiée du brevet et à la cour de justice Benelux.

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