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La Loi Badinter s’applique-t-elle aussi à celui qui avait les mains dans le moteur ? Par Alain Dahan, Avocat.
Parution : lundi 9 juillet 2018
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La loi dite Badinter, comme tout le monde le sait, est la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 qui s’applique en matière d’accidents de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur. L’intitulé exact de cette loi est « Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation ». Dès lors la réponse à la question posée ci-dessus semble a priori évidente. En réalité, tel n’est pas le cas...

Ces dernières années, le champ d’application de l’article 1 de la loi du 5 juillet 1985 n’a cessé de s’accroître.

Dans une affaire récente, une personne avait proposé son aide bénévole pour réparer une pièce mécanique du moteur de l’automobile appartenant à une autre personne.

Malheureusement, l’aimable bricoleur a été blessé alors qu’il avait les mains dans ce moteur au moment où son propriétaire l’a démarré.

La victime a alors assigné le propriétaire, ainsi que son assureur de responsabilité civile, en indemnisation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie.

L’affaire finit en appel et la cour d’appel condamne l’assureur à la réparation de divers préjudices au profit de la victime ainsi qu’au remboursement de prestations versées par la CPAM.

Selon la Cour d’appel, la victime s’était proposé bénévolement pour aider le propriétaire du véhicule à remplacer une pièce mécanique du moteur et c’est en démarrant par inadvertance le véhicule que l’accident s’était produit puisque la victime avait encore ses mains dans le moteur.

De plus, l’arrêt relevait que le véhicule en cause, même si son moteur avait été mis en route, était stationné au domicile de son propriétaire et qu’il était resté immobile.

Dès lors, il en était conclu que c’était bien la seule faute d’imprudence de son propriétaire qui était à l’origine du dommage subi par la victime et qu’en principe, n’est pas un accident de la circulation le sinistre qui procède du seul comportement fautif de l’homme et non d’un rôle spontané du véhicule.

Dès lors, en l’absence du moindre fait de circulation du véhicule, la loi du 5 juillet 1985 ne pouvait s’appliquer au litige.

Il est vrai qu’une telle motivation semble fondée si l’on s’en tient effectivement à un critère de « circulation » du véhicule pour retenir l’application de la loi du 5 juillet 1985.

La Cour de cassation en a jugé autrement dans un arrêt de sa deuxième chambre civile en date du 14 juin 2018. « En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que M. X. (la victime) avait été blessé par le fonctionnement du moteur du véhicule, de sorte que même si celui-ci était stationné et immobile, il était impliqué dans un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, la cour d’appel a violé le texte susvisé par refus d’application ».

On précisera le contenu de cet article : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

Comme les tribunaux ont parfois tendance à l’oublier, la notion de circulation, au sens de la loi Badinter, ne se confond pas nécessairement avec la notion de mouvement.

Même si cela semble heurter le bon sens, il est fréquemment jugé qu’un véhicule à l’arrêt ou en stationnement est bien un véhicule en circulation au regard de la loi de 1985.

Davantage que la notion de circulation, c’est celle d’implication du véhicule qu’il faut garder présente à l’esprit.

C’est ce que n’a pas fait la Cour d’appel dans l’affaire ci-dessus relatée.

Alain DAHAN, Avocat au barreau de Toulouse http://www.avocat-dahan-alain.com/ [->maitre.dahan.alain@free.fr]