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CDI ou CDD : Le bon choix est-il celui que l’on croit ? Par Alain Hervieu.
Parution : jeudi 12 juillet 2018
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CDI ou CDD ? Depuis plusieurs années, le second a manifestement la préférence des employeurs : Cette préférence est elle justifiée ?

Tout le monde connaît la dualité de contrats de travail auxquels peut recourir un employeur pour l’embauche d’un salarié : le contrat à durée indéterminée couramment appelé CDI, qui est le principe et le CDD ou contrat à durée déterminée qui est lui, l’exception.

Alors que la conclusion d’un CDI est toujours possible, en revanche, le recours au CDD n’est possible qu’en respectant les cas de recours limitativement prévus par la loi, les durées maximum fixées et les conditions de forme, ces limitations du recours au CDD étant souvent interprétées largement par les employeurs, avec les conséquences qui en résultent en cas de non respect de celles-ci, de requalification en CDI, à l’initiative du seul salarié.

Pourtant, on sait que les employeurs manifestent toujours une préférence pour les CDD, quitte à en faire un usage maladroit et dangereux, voire carrément non conforme à la réglementation.

Une étude récente du ministère du travail publiée le 21 juin dernier, a montré que 86% des embauches en 2017 l’ont été en CDD et que 83% de ceux-ci ont une durée inférieure à un mois.

Cette pratique ayant évidemment une incidence sur l’assurance chômage, a conduit le législateur à reprendre l’idée d’une taxation applicable aux contrats courts, actuellement en négociation et qui soulève de nombreuses polémiques.

Sans entrer dans le détail de celle-ci, on peut penser que c’est pourtant pour ces contrats courts que cette mesure se justifierait le moins en tant que mesure de rétorsion, dans la mesure où pour une courte durée, le CDD est la seule solution qui s’offre à l’entreprise, alors que l’alternative du CDI dans ce cas ne paraît pas réaliste.

Il reste bien sûr légitime de sanctionner les pratiques abusives de certains qui recourent systématiquement et en tout cas de façon excessivement répétée aux CDD, souvent avec les mêmes salariés pour des raisons de commodité.

Même si la réforme résultant de l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 a assoupli les règles du CDD et même si la jurisprudence depuis son arrêt du 14 février 2018 a assoupli le mode d’appréciation des renouvellements de CDD successifs, le principe selon lequel « la mise œuvre de CDD successifs… ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » demeure et permet de sanctionner les abus de CDD.

Sans s’attarder sur ces abus ni sur les contrats courts pour lesquels le CDI n’apparaît pas envisageable, on doit s’interroger au contraire pour les contrats à destinés à avoir une « certaine » durée, ( supérieure à 6 mois ?) d’ailleurs pas toujours facile à anticiper.

La préférence des employeurs pour le CDD reste manifeste, alors même que l’alternative du CDI est ouverte, et qu’il y a donc un véritable choix à faire.

Cet engouement pour le CDD au détriment du CDI est-il toujours justifié ?

Une rapide comparaison des deux types de contrats permet d’en douter sérieusement.

Au stade de sa formation, le CDI a l’avantage incontesté d’être plus souple que le CDD, n’étant enfermé ni dans des cas de recours limités, ni dans sa forme, ni dans sa durée, alors même que plus le contrat doit être long, plus sa durée déterminée est difficile à maîtriser, ce qui explique en partie les renouvellements hasardeux.

Ensuite, pendant son exécution, là encore, le CDI est plus souple que le CDD plus rigide.

S’il se manifeste pour diverses raisons, un besoin d’adaptation du contrat à l’évolution des besoins de l’entreprise, le CDI autorise l’employeur à décider de changer les conditions de travail du salarié, voire, avec son accord à modifier véritablement son contrat et à défaut d’accord, à en tirer les conséquences en procédant à son licenciement.

Ces possibilités n’existent pas dans le CDD, d’abord en raison même de son objet théorique et ensuite, d’une part, parce qu’une modification par accord est susceptible de rendre le contrat irrégulier et d’entrainer sa requalification et d’autre part, parce qu’à défaut d’accord, le refus par le salarié d’une modification et même d’un simple changement de ses conditions de travail ne constitue pas (comme pour le CDI d’ailleurs) en soi, une faute grave [1] seule susceptible ici de justifier la rupture du CDD.

Il en résulte que le CDD conclu initialement est intouchable et que l’employeur ne peut qu’attendre patiemment le terme du contrat pour adapter le prochain à ses nouveaux besoins.

Le CDD se révèle donc là encore plus rigide que le CDI et le risque de voir se manifester ces « inconvénients » croit d’ailleurs avec la durée du contrat.

De même, en matière disciplinaire, sans aller jusqu’à la rupture qui sera évoquée plus loin, l’employeur ne peut prononcer que des sanctions mineures ou en tout cas que le salarié ne peut pas refuser parce qu’elles modifieraient son contrat de travail, pour les mêmes raisons que précédemment, ce qui limite donc sérieusement ce pouvoir disciplinaire.

Reste le problème de la durée du contrat et de son achèvement. Ce sont ces deux points qui focalisent les craintes des employeurs et les conduisent à préférer le CDD au CDI.

Quant à la durée, le CDI est évidemment supérieur au CDD, puisque sa durée, qui n’est pas pour autant éternelle, est a priori durable mais peut aussi prendre fin par décision de l’employeur par la voie du licenciement alors que la durée du CDD, outre qu’elle est limitée, est plus rigide et ne peut pas, en principe, prendre fin de façon anticipée.

La jurisprudence s’est souvent montrée réticente à accepter dans le cadre des CDI, un motif de licenciement prévu, voire prévisible dès l’embauche.

C’est là sans doute l’une des raisons qui ont conduit les employeurs à privilégier les renouvellements de contrats courts, pour les faire coïncider avec les nécessités de l’entreprise, au besoin par une interprétation laxiste des textes.

Néanmoins, depuis la réforme Macron du 22 septembre 2017, cette alternative se présente avec un nouvel élément de poids : le « contrat de projet » prévu à l’article L1223.8 du Code du travail, qui reprend et étend le contrat de chantier qui existait dans le bâtiment, pour le généraliser à d’autres secteurs d’activité, à la seule condition que cette possibilité soit prévue dans le secteur d’activité concerné, par un accord de branche étendu.

Le contrat d’opération ou de chantier est un CDI qui prend normalement fin sous la forme d’un licenciement dont le motif réel et sérieux est l’achèvement du chantier ou de l’opération, ce qui sera possible dans les conventions de branche qui l’auront intégré, ce qui ne se fera peut être pas sans difficultés.

Il faut préciser que l’alinéa 2 du texte, comme l’avait déjà admis la jurisprudence [2] autorise cependant un usage direct de ce contrat en précisant qu’ « à défaut d’un tel accord, ce contrat peut être conclu dans les secteurs où son usage est habituel et conforme aux usages de la profession, qui y recourt au 1er janvier 2017 ».

Cette expression n’est pas sans rappeler celle du 3° de l’article L 1242.2 Code du travail qui autorise la conclusion de CDD sans motif particulier pour « les emplois pour lesquels dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendus, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée, en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».

Il restera cependant à voir quelle place les partenaires sociaux et la pratique réserveront à ce type de contrat nouveau qu’est le contrat de projet.

Enfin bien entendu, le point crucial de la distinction entre CDI et CDD réside dans la fin du contrat c’est-à-dire généralement sa rupture.

Certes, en principe, le CDD prend fin naturellement et sans difficulté par l’échéance de son terme, sous réserve qu’il ne soit pas requalifié ce qui pose alors un autre problème.

Il faut néanmoins envisager aussi les possibilités de rupture anticipée du CDD et là encore, plus le contrat est long, plus les risques de rencontrer une telle situation augmentent.

Dans le cadre du CDI, la seule possibilité ouverte à l’employeur de rompre le contrat est le licenciement, ce qui implique, le respect d’une procédure, l’exigence d’un motif réel et sérieux, avec en cas d’erreur, le risque de dommages et intérêts dissuasifs dans l’esprit de beaucoup d’employeurs.

Aujourd’hui pourtant cette considération ne doit pas jouer en faveur du CDD, mais à l’inverse en faveur du CDI.

En effet, en ce qui concerne d’abord la procédure de licenciement, il suffit pour éviter les sanctions d’un peu de rigueur dans la forme et dans le suivi des délais à respecter, ce qui ne doit pas être dissuasif, pour au moins deux raisons :

En matière de licenciement, la réforme opérée par l’ordonnance du 22 septembre dernier a assoupli dans l’article L 1253-2 CT les modalités d’énonciation des motifs du licenciement en permettant à l’employeur de préciser ses motifs dans le délai de 15 jours, sauf en matière disciplinaire où l’article L 1332-2 CT qui exige que le salarié soit informé des motifs de la sanction dans la lettre de notification de celle-ci, prévaut sur le texte précédent. [3].

Or, justement, le CDD ne peut, sous réserve des cas de force majeure et d’inaptitude du salarié ou de l’hypothèse visée par l’article L 1243.1 al 2 du Code du travail, prendre fin par décision unilatérale de l’employeur que pour un motif disciplinaire qui l’oblige alors à respecter la procédure disciplinaire des articles L 1332-2 et suivants.

En outre, à côté de la forme de la rupture et sous les mêmes réserves, ce motif disciplinaire permettant la rupture d’un CDD est nécessairement une faute grave, appréciée de façon plutôt restrictive par la jurisprudence, ce qui est donc plus contraignant pour l’employeur que le simple motif réel et sérieux exigé pour le licenciement dans le cadre du CDI.

A défaut, la rupture anticipée d’un CDD sera abusive avec des conséquences qui peuvent être bien plus lourdes aujourd’hui qu’en cas de licenciement sans motif réel et sérieux.

En effet, aujourd’hui, avec une ancienneté du salarié n’excédant pas deux ans, les dommages et intérêts pour licenciement sans motif réel et sérieux sont plafonnés pour les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017, à une indemnité maximum de 3,5 mois de salaire, alors que dans la même situation, l’article L 1243-4 du Code du travail prévoit que le salarié dont le CDD a été rompu abusivement de façon anticipée, aura droit, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat, à une indemnité au minimum égale au montant des rémunérations restant à courir jusqu’au terme normal du contrat.

Ainsi, si un CDD de 18 mois est rompu abusivement au bout de 6 mois, l’indemnité minimale selon la loi est donc de 12 mois de salaire, alors que le salarié qui a un CDI licencié sans motif réel et sérieux au bout du même délai n’aura droit qu’à une indemnité maximum d’un mois de salaire et il devra attendre une ancienneté de 14 ans, pour pouvoir prétendre, en cas de licenciement sans motif réel et sérieux à une indemnité équivalente de 12 mois de salaire au maximum.

Au terme de cette rapide comparaison des deux types de contrats, on peut penser, à l’encontre des idées reçues, que la faveur des employeurs dont bénéficie le CDD est totalement injustifiée dès lors qu’il doit avoir une certaine durée, de sorte que le CDI se présente alors comme une alternative qui devrait le plus souvent emporter la préférence.

Alain HERVIEU

[1Cass. Soc. 20 novembre 2013

[2Cass. Soc. 5 décembre 1989

[3Cf notre article précédent :« La nouvelle énonciation des motifs du licenciement »

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