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Point sur la domanialité applicable aux pépinières d’entreprises. Par Elodie Cheikh. Elève-avocate.
Parution : lundi 16 juillet 2018
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L’article L.2111-1 du CG3P dispose que : “Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public.
Les pépinières d’entreprises sont affectées à un service public, celui du développement économique local (TA Versailles Ordonnance 2015-08-03, 1503585).

En effet, les pépinières sont destinées à remplir une mission d’intérêt général d’ordre économique, en faveur de la création et du développement d’entreprises.

Néanmoins, dans cette décision précitée, le Tribunal Administratif de Versailles retient que : “Dans la mesure où elles ne sont pas spécialement aménagées pour cette mission, elles ne peuvent être regardées comme faisant partie du domaine public.”

Il était question dans cette affaire de mettre à disposition, temporairement et contre un petit loyer, des bureaux ordinaires dans un immeuble avec, éventuellement, des services communs.

Néanmoins, le juge administratif a retenu qu’il ne s’agissait pas d’aménagements indispensables au sens des dispositions de l’article L. 2111-1 du Code général des propriétés publiques.

Cette décision s’inscrit dans la lignée d’une décision du tribunal administratif de Rouen. [1]

En effet, dans cette affaire, le Tribunal Administratif de Rouen avait affirmé dans son cas d’espèce que :

“Les locaux hébergeant la pépinière d’entreprises n’appartenaient pas au domaine public faute de disposer d’un aménagement indispensable au service public auquel ils étaient affectés, mais au domaine privé de la communauté de l’agglomération de Rouen-Elbeuf-Austreberthe, devenue la métropole Rouen Normandie.”

A la lecture de ses deux jurisprudences, il apparaît que, pour que le juge administratif vienne retenir le critère de l’aménagement indispensable, la personne publique doit aller au delà de la simple mise à disposition de bureaux ou locaux ordinaires dans un immeuble, avec éventuellement des services communs.

La personne publique doit aller plus loin pour que le juge vienne reconnaître le caractère indispensable de ces aménagements. Indispensables bien évidemment à l’exécution de ce service public.

C’est en ce sens que M. le Sénateur Jean Louis Masson (Moselle - NI) a demandé au Ministère de l’Intérieur, le 15 mars 2018, par question écrite, si les pépinières d’entreprises mises en place par des communes ou des groupements de communes doivent être regardées comme des éléments de leur domaine public faisant obstacle à la conclusion de baux commerciaux.

Le 17 mais 2018, le Ministre de l’intérieur a apporté la réponse suivante : [2] :
“Selon l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, le domaine public des personnes publiques est constitué des biens qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service.

S’agissant des pépinières d’entreprises, celles-ci sont considérées comme relevant d’une mission de service public, dans la mesure où elles participent au développement économique local.

Toutefois, le juge administratif a eu l’occasion d’indiquer que ces pépinières, lorsqu’elles bénéficient de la mise à disposition de bureaux ou locaux ordinaires dans un immeuble, avec éventuellement des services communs, ne sont pas considérées comme spécialement aménagées au sens de l’article L. 2111-1 précité (Tribunal administratif de Versailles, 3 août 2015, ordonnance n° 1503585).

Dès lors que le critère de l’aménagement indispensable n’est pas rempli, ces pépinières ne peuvent appartenir au domaine public de la personne publique concernée, mais intègrent son domaine privé. Dans ce cas, la conclusion de baux commerciaux est possible.”

Le Ministre de l’intérieur n’a fait que reprendre le raisonnement des deux décisions précitées.

On peut donc s’interroger légitimement : à partir de quel moment le juge administratif considère que les aménagements réalisés sont indispensables à l’exécution du service public ?

En l’état actuel de la jurisprudence, il semble impossible d’apporter une réponse claire à cette interrogation.

Ce flou juridique quant à la domanialité des pépinières ne cesse de questionner.

En témoigne une récente question de Mme Christine Herzog, qui est venue demander le 19 avril 2018 à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, si les pépinières d’entreprises mises en place par des communes ou des groupements de communes doivent être regardées comme des éléments de leur domaine public faisant obstacle à la conclusion de baux commerciaux. [3].

Le ministre de l’intérieur est venu répondre de manière très lacunaire à cette question, le 21 juin 2018 en affirmant que :
“[Selon l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, le domaine public des personnes publiques est constitué des biens qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service. S’agissant des pépinières d’entreprises, celles-ci sont considérées comme relevant d’une mission de service public, dans la mesure où elles participent au développement économique local.

Toutefois, le juge administratif a eu l’occasion d’indiquer que ces pépinières, lorsqu’elles bénéficient de la mise à disposition de bureaux ou locaux ordinaires dans un immeuble, avec éventuellement des services communs, ne sont pas considérées comme spécialement aménagées au sens de l’article L. 2111-1 précité (tribunal administratif de Versailles, 3 août 2015, ordonnance n° 1503585). Dès lors que le critère de l’aménagement indispensable n’est pas rempli, ces pépinières ne peuvent appartenir au domaine public de la personne publique concernée, mais intègrent son domaine privé. Dans ce cas, la conclusion de baux commerciaux est possible.”

On voit bien que le Ministre de l’intérieur ne donne pas davantage d’explication, celui-ci se contente pour l’essentiel de reprendre les dispositions de l’article L2111-1 du CG3P et se retranche derrière le considérant de principe de la décision du TA de Versailles, en date du 3 août 2015. On voit bien que nul ne semble prendre les devants, préférant attendre que les réponses soient apportées directement par le juge administratif.

Quant à lui, le Tribunal des conflits aurait pu venir apporter des précisions sur l’appartenance au domaine public de locaux affectés à une pépinière d’entreprises mais, tel n’a pas été le cas. [4].

Malgré ce manque de clarté, il ne semble plus être suffisant que la personne publique indique simplement avoir effectué des aménagements comme étant nécessaires et indispensables à la concrétisation de leur destination, les rendant ainsi parfaitement indispensables, pour que le juge les regarde comme tels.

Ainsi, si un article d’une DSP prévoit que “les biens immeubles mis à disposition du délégataire font partie du domaine public de (...)”, rien n’empêche le juge de considérer le contraire. Le juge appréciera au cas par cas l’importance des aménagements réalisés, et ne se cantonnera à ce qui est affirmé par la personne publique.

En effet, comme l’a rappelé la Cour de cassation [5], “l’appartenance d’un bien au domaine public d’une personne publique ne se présume pas mais résulte de son affectation, soit à l’usage direct du public, soit à un service public, pourvu qu’en ce cas il soit spécialement aménagé en vue de l’exécution de ce service public”. Le critère de l’affectation est systématiquement vérifié, même si les biens font partie d’une catégorie de dépendances qui relève habituellement de la domanialité publique.

Il semblerait donc que dans les cas où la personne publique ne prévoit qu’une simple mise à disposition de locaux dans un immeuble, avec éventuellement une mise à disposition de services communs, cela ne suffise plus pour que les pépinières d’entreprises, malgré leur affectation à un service public, soient reconnues comme faisant parties du domaine public.

Ainsi, sans être certain qu’il ne s’agisse pas de 2 jurisprudences isolées, les deux jugements du TA de Versailles [6] et du TA de Rouen [7] semblent avoir eu un retentissement particulier puisqu’ils servent de base de raisonnement aux réponses ministérielles. Il faut néanmoins rester prudent et attendre une confirmation du Conseil d’État.

En tout état de cause, il apparaît néanmoins que l’ampleur des aménagements réalisés déterminera la nature des contrats qui pourront être passés :

S’il s’agit d’une simple mise à disposition de bureau et/ou mise à disposition de services communs, la pépinière n’intègre pas le domaine public de la collectivité mais intègre son domaine privé.

A ce titre, la conclusion de baux commerciaux, de baux dérogatoires ou le cas échéant, de conventions d’occupation précaire sera possible.

A l’inverse, si les aménagements sont plus importants (sans qu’il ne soit possible à ce jour d’apporter plus de précisions, ni d’apprécier le degré d’aménagement qu’il faut réaliser et ce, à défaut de jurisprudence en la matière), la pépinière intègre le domaine public de la collectivité.

Si par exemple, la pépinière intègre en plus un espace de télétravail, une maison des entreprises, des ateliers, un espace de repos, un espace de restauration (restaurant d’entreprise, cafétérias..), un parking privatif, un espace documentation, des salles de réunion, de conférence, de séminaire, de visioconférence… ce serait d’avantages d’aménagements qui permettraient de concourir à la reconnaissance de son appartenance au domaine public.

A ce titre, la conclusion contrats d’occupation du domaine public sera possible.

Elodie CHEIKH, élève-avocate en droit public.

[1TA Rouen 2015-03-12, 1203745

[2Sénat - R.M. N° 03819 - 2018-05-17

[3Sénat, question écrite n°4462, publication au JO, 19 avril 2018

[4T. confl., 6 juill. 2015, n° 4011 , Métropole Rouen Normandie c/ Sté EURL Sanka Distribution

[5Cass. 1re civ., 4 nov. 2010, n° 09-15800

[63 août 2015, ordonnance n° 1503585.

[712 mars 2015 n°1203745

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