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Licenciement suite à une enquête interne : le juge ne peut fonder sa décision uniquement sur des témoignages anonymes. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : mardi 17 juillet 2018
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En cas de licenciement suite à une enquête interne dans une entreprise, le juge, saisi d’une contestation de son licenciement par un salarié, ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes.

A notre connaissance, l’arrêt du 4 juillet 2018 est inédit dans ce domaine.

Cet arrêt doit être approuvé car il renforce les droits de la défense des salariés en cas de licenciement suite à une enquête interne.

1) Rappel des faits.

M. X... a été engagé le 1er mars 2007 en qualité d’acheteur expert bâtiment par la SNCF mobilités.
Les 4 et 5 février 2013, le salarié et Mme Z... ont saisi la direction éthique de la SNCF.

Suite à une enquête interne, la société a notifié au salarié le 18 septembre 2013 une mesure de suspension et l’a convoqué devant le conseil de discipline.

Il a été licencié le 25 septembre 2013 pour faute.

Il était reproché au salarié des propos à connotation raciste à l’égard d’un collègue de religion musulmane et des propos insultants à l’égard de sa hiérarchie.

2) En cas d’enquête interne, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes.

Au visa de l’article 6 §1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans son arrêt du 4 juillet 2018, la Cour de cassation affirme que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ».

L’article 6 §1 de la CEDH dispose que :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

L’article 6 §3 de la CEDH dispose que

« Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience
 ».

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui a considéré que la procédure de licenciement est régulière et le licenciement justifié et après avoir retenu que « l’atteinte aux droits de la défense fondée sur le caractère anonyme des témoignages recueillis par la direction de l’éthique n’est pas justifiée dans la mesure où le salarié a eu la possibilité d’en prendre connaissance et de présenter ses observations, s’est fondée de manière déterminante sur le rapport de la direction de l’éthique ».

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 17 mars 2017 en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle renvoie l’affaire devant la Cour d’appel d’Angers.

3) Apport de l’arrêt du 4 juillet 2018.

En cas de licenciement, si une entreprise diligente une enquête interne, les salariés qui témoignent doivent être identifiables.

A défaut, le licenciement pourra être invalidé car les témoignages risquent d’être écartés des débats par le juge du fait de leur caractère anonyme.

En tout état de cause, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes

Il faut saluer cette décision qui renforce les droits de la défense des salariés en cas de licenciement suite à une enquête interne.

Source : Cour de cassation

- c. cass. 4 juillet 2018, n° 17-18.241 (M. X c/ établissement SNCF mobilités).
- Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales telle qu’amendée par les Protocoles n° 11 et n° 14.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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